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Mardi, on me fusille

Par Copeau @Contrepoints

On oublie souvent que la Russie soviétique ne fut pas le premier pays, à tout le moins pas le seul au début du 20e siècle, qui établit la persécution religieuse comme mode de gouvernement socialiste et totalitaire.

Mardi, on me fusille
En 1917, à la fin de la longue guerre civile qui déchira le Mexique au début du 20e siècle, après la victoire de Carranza et Obregón, est promulguée une nouvelle constitution qui établit une politique d’intolérance religieuse et qui priva l’Église de toute personnalité juridique. Parmi les dispositions les plus dures : interdiction de vote des religieux, interdiction pour l’Église de posséder des biens fonciers, interdiction du culte public hors des dépendances ecclésiastiques, mainmise de l’État qui devait décider du nombre d’églises et de membres du clergé, interdiction pour la presse catholique de traiter des affaires publiques, interdiction aux corporations religieuses et aux ministres du culte d’établir ou de diriger des écoles primaires. Les catholiques n’opposèrent aucune violence quand cette constitution liberticide entra en vigueur, optant pour une lutte pacifique afin de modifier les aspects qui les affectaient directement. Ainsi des groupes de catholiques décidèrent de constituer en 1924 la Ligue Nationale pour la Défense de la Liberté Religieuse (LNDLR) afin de récupérer la liberté religieuse via les moyens légaux.

Durant le gouvernement du général Álvaro Obregón (1920-1924), les relations entre l’Église et le nouvel État révolutionnaire furent marquées par une tension croissante et l’impossibilité d’arriver à un accord qui aurait satisfait les deux parties. Les affrontements entre les membres de la Confédération Régionale Ouvrière Mexicaine (CROM) et ceux de l’Action Catholique de la Jeunesse Mexicaine (ACJM) occupèrent les premiers titres des journaux. Jusqu’au mois de janvier 1923, lorsque le légat apostolique du Vatican, monseigneur Ernesto Philipi, bénit un monument dédié au Christ-roi à Cilao, dans l’État de Guanajuato. Le gouvernement du général Obregón interpréta cet acte comme un défi à l’autorité et une attaque à la constitution et expulsa le légat en application de l’article 33 de la constitution.

Après la prise de possession de la présidence par le général Plutarco Elías Calles, les relations entre le gouvernement et les catholiques empirèrent encore plus, Calles estimant qu’un catholique ne pouvait être un « bon citoyen mexicain », vu sa « loyauté envers Rome ». Calles proposait un nouveau nationalisme, dans lequel les citoyens ne pouvaient accorder leur loyauté qu’au seul État mexicain. C’est ainsi qu’il tenta de créer une église nationale. Le 21 février 1925, il fonda, avec l’appui de la CROM, l’Église Catholique Apostolique Mexicaine (ICAM), à la tête de laquelle fut placé un religieux renégat, Joaquín Pérez. Il s’agissait là de tenter de diviser de l’intérieur le catholicisme mexicain, car l’ICAM proposait de suivre la même doctrine mais sans relation aucune avec le Pape, Pérez devenant le Patriarche de cette Église d’État. L’ICAM s’empara de l’église de la Soledad et s’y installa en attendant l’appui de la population ; mais cette tentative fut un échec, la paroisse étant récupérée quelques jours plus tard par les catholiques, qui se mobilisèrent en grand nombre pour défendre leurs églises.

Les représailles du gouvernement ne tardèrent pas : à Tabasco, le gouverneur Tomás Garrido Canabal décréta l’obligation pour les membres du clergé de se marier pour pouvoir officier et à Tamaulipas, les curés étrangers furent interdits d’office. Au mois de mars 1925, la LNDLR fut déclarée illégale par le gouvernement et opéra dès lors clandestinement. Le 4 février 1926, le journal El Universal publia une entrevue avec l’archevêque de Mexico, José Mora y del Río, qui rejetait l’anticléricalisme rabique de la constitution. La rupture entre l’Église et l’État était consommée par ce libre droit à l’expression publique : José Mora fut arrêté. Calles, considérant que les déclarations de l’archevêque Mora constituaient une offense et une provocation envers le gouvernement, ordonna au Congrès de compléter par une loi l’article 130 de la constitution – connue sous le nom de Loi Calles – ordonnant la fermeture des écoles religieuses et l’expulsion des membres étrangers du clergé et limitant le nombre des membres nationaux à un pour 6.000 habitants. Les membres du clergé devaient être enregistrés par les autorités communales qui disposaient de la faculté d’octroyer ou non les « licences pour exercer ». De même était sanctionné tout type d’éducation religieuse.

En protestation, les évêques, appuyés par Rome, s’accordèrent pour suspendre le culte à partir du 1er août 1926, jour de l’entrée en vigueur de la Loi Calles. Avant cette date, un grand nombre de personnes se pressèrent dans les églises pour célébrer baptêmes et mariages avant la suspension. Ensuite, les maisons se transformèrent en oratoires, tandis que le gouvernement fermait les églises, les chapelles particulières, les couvents et les écoles religieuses dans tout le pays. Face à cette situation, le Pape Pie XI autorisa les membres du clergé à utiliser une liturgie raccourcie de la messe pouvant être célébrée en tout lieu et sans vêtements ni ornements liturgiques. En réponse à la législation liberticide, les catholiques présentèrent devant le parlement une demande de réforme constitutionnelle, appuyée par deux millions de signatures, laquelle fut rejetée le 22 septembre 1926. Les catholiques appelèrent alors au boycott et, pour payer le moins d’impôts possibles au gouvernement, diminuèrent leur consommation de produits offerts par le gouvernement, cessèrent de jouer à la loterie et utilisèrent le moins possibles leurs véhicules pour ne pas devoir acheter de l’essence. Mais les événements allaient prendre une tournure encore plus dramatique.

Le 3 août 1926, à Guadalajara, dans l’État de Jalisco, les armes avaient déjà commencé à parler. Les premières guérillas étaient composées essentiellement de paysans. Ces groupes armés – qui à plusieurs reprises mirent les troupes fédérales en échec – reçurent un appui grandissant, chaque fois plus important était le nombre de ceux qui, au cri de « Vive le Christ-roi et Sainte Marie de Guadalupe », rejoignaient ceux qui allaient être connus sous le nom de cristeros. Les catholiques se soulevèrent contre l’oppression du gouvernement à Jalisco, Zacatecas, Guanajuato et Michoacán, et bientôt la presque totalité du centre du pays. Le conflit conservait un caractère fondamentalement rural bien que la direction de la LNDLR fut principalement urbaine. Vers 1927, les cristeros comptaient 12.000 hommes et encore 20.000 à la fin du conflit, en 1929.

En 1928, l’ex-président Álvaro Obregón se présenta contre Calles aux élections présidentielles et gagna. Il se disait qu’Obregón allait conclure un accord pour en finir avec la guerre, mais il fut assassiné avant. En arrivant comme intérimaire à la présidence, Emilio Portes Gil, commença des négociations avec les rebelles, auxquelles participa comme médiateur le nouvel ambassadeur des États-Unis, Dwight Morrow. Un accord d’amnistie générale fut conclu pour tous les catholiques soulevés qui désireraient se rendre. L’accord prévoyait également la restitution des bâtiments religieux et garantissait d’une certaine manière la stabilité de ces dévolutions. La LNDLR et les cristeros n’acceptèrent pas l’accord qu’ils jugèrent insatisfaisant sur de nombreux points et des 50.000 combattants, seuls 14.000 déposèrent les armes.

Finalement, le 21 juin 1929, monseigneur Leopoldo Ruiz y Flores et monseigneur Pascual Díaz, envoyés du nonce papal signèrent une série d’« arrangements » avec le président Portes Gil, acceptant la reprise du culte « à l’intérieur du cadre des lois en vigueur ». C’est-à-dire que la hiérarchie ecclésiastique ratifiait toutes les lois persécutrices contre l’Église. Les « arrangements » ne prévoyaient rien quant au sort des cristeros luttant contre le gouvernement. Immédiatement, les évêques mexicains ordonnèrent à leurs subalternes d’annoncer dans les zones tenues par la guérilla que la poursuite de la guerre n’avait plus aucun sens. L’Église ayant cédé, divisés et même excommuniés désormais, les cristeros abandonnèrent peu à peu la lutte.

La guerre avait fait quelques 90.000 victimes (60.000 du côté gouvernemental, 30.000 chez les cristeros). De nombreux civils et cristeros continueront d’être assassinés après la fin de la guerre, victimes de raids anticléricaux. La Loi Calles ne fut pas abrogée, mais l’État fédéral, du moins, évita de l’appliquer. Toutefois, dans de nombreuses localités, la persécution contre les prêtres catholiques continuera, basée sur l’interprétation de la loi par les responsables locaux. Ce n’est qu’en 1992, que le président mexicain Carlos Salinas de Gortari renoua les relations diplomatiques avec le Vatican, bien que les dispositions anticléricales subsistent toujours actuellement dans la constitution mexicaine.

(El martes me fusilan – Mardi, on me fusille – est une chanson typique mexicaine, un corrido, sur le thème des cristeros.)


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