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La bascule du souffle - Herta Müller

Par Ivredelivres

bascule.gifLa bascule du souffle - Herta Müller - Traduit par Claire de Oliveira - Editions Gallimard
J’ai laissé passer le coup de feu du Prix Nobel  pour m’intéresser à Herta Müller, j’ai choisi ce roman qui vient de paraître et j’ai été totalement conquise par ce roman.
C’est la fin de la guerre, partout en Europe les prisonniers rentrent chez eux, les familles sont à nouveau réunies mais en Roumanie il en va différemment, les hasards des derniers combats à livré ont livré le pays aux soviétiques. Les russes exigent que tous les citoyens roumains d’origine allemande, qui vivent en Transylvanie, soient arrêtés. Certains ont collaboré avec les allemands mais tous les ressortissants hommes et femmes de 17 à 45 ans sont déportés, collaboration ou pas.
Le héros du roman, Léopold, a 17 ans et il doit partir, dans la boite d’un vieux phonographe il entasse ses biens les plus précieux : un exemplaire de Faust, un de Zarathoustra et une anthologie poétique. Bien sûr il emporte aussi des vêtements chauds car il sait qu’il part pour le nord, la Russie, pour un pays de neige.

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   La Transylvanie
C’est avec de courts chapîtres qu’Herta Müller nous fait entendre la voix de Léopold. La vie quotidienne prend forme à travers des mots simples, des mots de tout les jours. Des mots pour dire le froid « Car dès la fin du mois d’octobre, il grêla des clous de glace », les appels interminables dans la neige, les poux, les vols, les dénonciations, l’horreur de voir Irma Pfeiffer engloutit par le mortier dans lequel elle s’est jeté par désespoir, ce désespoir qui fait dire à Léopold qu’il y a une loi qui « vous interdit de pleurer quand on a trop de raisons de le faire. Je me persuadais que les larmes étaient dues au froid, et je me crus.»
Par dessus tout c’est la faim qui accompagne les prisonniers au long de ces 5 années, l’ange de la faim « qui vous dévore le cerveau » qui vous poursuit jour et nuit, qui vous fait manger votre salive, du sable. «En guise de cerveau, on n’a plus dans la tête que l’écho de la faim » et longtemps après on y pense encore « Aujoud’hui encore, je dois montrer à cette faim que j’y ai échappé. C’est tout bonnement la vie que je mange, depuis que je n’ai plus le ventre creux.»
Des phrases puissantes, dures, vibrantes, pour nous transmettre la fatigue, l'épuisement « Quand la chair à disparu, porter ses os devient un fardeau qui enfonce dans le sol ». La folie qui s’empare de chacun : Mitzi la sourde, Karli, le terrible Tur,  Katie le planton, Fenia.
Tenir, un jour encore, avec dans l’oreille la voix de sa grand-mère qui lui a dit en partant «Je sais que tu reviendras ».
Les années passent et le retour lui-même est souffrance, on retourne au camp encore et encore, par la pensée, par le rêve et néanmoins vivre est un devoir parce que toutes ces années  Léopold a lutté contre la mort « Je n’ai jamais été aussi résolument contre la mort que durant ces cinq années de camp.Pour être contre la mort on n’a pas besoin d’avoir une vie à soi, il suffit d’en avoir une qui ne soit pas tout à fait terminée »
Il reste alors à Léopold l’écriture, les mots car dit-il « Il y a des mots qui font de moi ce qu’ils veulent.» et un jour il achète un cahier.

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Un livre bouleversant, une oeuvre forte, des images porteuses de symboles. Le récit d’Herta Müller allie réalisme et onirisme, les objets du quotidien sont personnifiés, les détails crus se mêlent aux  images poétiques. Les mots sont détournés pour permettre à la souffrance de s’exprimer. Et c’est cette alliance et ce contraste qui donnent force à ce roman. Une grande oeuvre.
Dans la postface Herta Müller explique la génèse de son roman, sa famille victime de la déportation, le projet qu’elle a partagé avec le poète Oskar Pastior d’écrire l’expérience de celui-ci. La disparition de Pastior la contraint à s’emparer de ce récit et d’en faire ce roman tout à fait exceptionnel.
 

 


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