Deux films récents, bien que très différents dans leur thème, leur genre et leur style, comportent quelques scènes où le vin apparait avec une fonction diamétralement opposée. Il m’a semblé intéressant de les comparer ici, car ils représentent bien deux manières de « pratiquer » le vin, qui découlent peut-être même de deux conceptions des rapports humains et de notre rapport au monde.
Le cinéaste sud-coréen Im Sang-soo expose, dans The Housemaid, toute la cruauté des rapports sociaux quand ceux-ci son régis par le pouvoir et la volonté d’emprise sur l’autre. Deux mots sur l’histoire : Euny, jeune femme de condition modeste, se voit proposer un emploi de bonne une famille très aisée. Hoon, le maitre de maison, la prend pour maîtresse, faisant progressivement craquer la jolie façade de cette famille en apparence unie, à mesure que la tension monte dans le film. Parmi ses rituels, Hoon aime à se faire ouvrir et à déguster une bouteille d’un vin que l’on devine prestigieux. Bordeaux, Bourgogne, Champagne, Californie ? Les images ne permettent pas vraiment d’identifier les crus servis avec la même précision que celle mise dans les gestes de ceux qui les servent et les boivent. On devine toutefois sans peine qu’ils ont été choisis avec soin, au-moins pour que leur valeur soit bien le reflet du rang social et de la fortune de Hoon.
Car ici le vin est avant tout un attribut du statut de celui qui peut se l’offrir. On le déguste avec distinction, comme on conduit sa Jaguar, joue du Beethoven, feuillette un album de Matisse… avec distinction, mais sans plaisir ni passion. Et même quand le vin est partagé, c’est pour asseoir la domination de celui qui l’offre, et non pour créer du lien.
Beaucoup a été dit et écrit sur Des Hommes et des Dieux, film dans lequel Xavier Beavois s’inspire librement des dernières années vécues par la communauté des moines trappistes de Tibbhirine, avant leur enlèvement et leur assassinat en 1996. La vie en harmonie avec leurs frères musulmans du village, la menace terroriste grandissante, la méfiance suscitée par l’armée, la tentation du départ et la construction, jour après jour, d’une décision collective de rester auprès de la population… Au-delà de l’histoire, c’est aussi le cheminement spirituel de ces moines que Xavier Beauvois filme, au travers leurs doutes, leurs interrogations et leur foi. Je ne reviendrais donc pas ici sur ce film proprement magnifique, lumineux malgré la gravité du thème, à mille lieux des quelques critiques mesquines qui l’on qualifié de lent ou de prosélyte. Le public ne s’y est d’ailleurs pas trompé, vu son succès d’autant plus remarquable que le film a bénéficié d’une promotion modeste.
Bien entendu, le vin est ici avant tout celui de l’Eucharistie. C’est aussi le vin que se partagent les moines lors de leur dernier dîner au monastère, au cours d’un repas évidemment allégorique de la Sainte-scène. Un grand moment de cinéma, où le sens et les émotions surgissent des expressions des visages, des regards des acteurs tous excellents, sans qu’il n’est besoin d’ajouter des actions ou des paroles inutiles. Le « Lac des Cygnes », aussi incongru que parfaitement adapté à cette scène, la magnifie, la transcende. Si dans The Housemaid, le vin servait notamment à marquer les distances, ici il rassemble et unit, les hommes entre eux, les hommes et les Dieux.
The Housemaid. Film sud-coréen de Im Sang-soo (2010). Avec Jeon Do-Yeon, Lee Jung-jae, Youn Yuh-jung, …
Des Hommes et des Dieux. Film français de Xavier Beauvois (2010). Avec Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Philippe Laudenbach, Olivier Rabourdin, Sabrina Ouazani, Roschdy Zem, …