Le Fonds Monétaire International (FMI) fut créé en 1944 pour promouvoir la coopération monétaire internationale et pour garantir la stabilité financière suite à la mise en place du système monétaire de Bretton Woods. Sous le système de Bretton Woods, les pays utilisaient le dollar américain comme monnaie de réserve. Les banques centrales pouvaient convertir leurs dollars américains en or auprès de la Federal Reserve au prix de $35 l’once. Suite à l’abandon de Bretton Woods en 1971, le FMI a modifié son rôle, qui consiste depuis à aider les pays faisant face à une crise financière en leur octroyant des prêts. Le FMI est financé par ses pays membres, dont le plus gros contributeur est les États-Unis, qui détiennent par conséquent un droit de véto sur les décisions de l’organisme.
De son côté, la Banque Mondiale (BM) a été formée en 1945 pour financer la reconstruction de l’Europe et du Japon suite à la Deuxième Guerre Mondiale. Suite à l’achèvement de cette reconstruction, la BM a redéfini son mandat comme étant le financement de projets favorisant l’essor économique des pays en voie de développement.
Ces prêts sont généralement octroyés en tranches et sont conditionnels à l’établissement de Programmes d’Ajustements Structurels (PAS). Les PAS comprennent généralement les mesures suivantes :
- Réduire le déficit budgétaire du gouvernement.
- Laisser flotter la devise.
- Libéraliser le commerce international en réduisant les barrières protectionnistes.
- Éliminer les contrôles de prix (plafonds et plancher).
- Éliminer les subventions.
- Privatiser les entreprises d’État.
- Adopter un cadre légal favorisant le respect les droits de propriété privés.
- Réduire l’ampleur de la corruption gouvernementale.
En augmentant la liberté économique des pays visés, ces politiques n’auraient-telles pas du leur permettre d’améliorer leur performance économique? La plupart des études étudiant cette question concluent que les PAS n’ont, en moyenne, pas vraiment eu d’impact sur le pays en cause. En fait, lorsqu’on étudie les détails de ces programmes d’aide, on comprend vite pourquoi ceux-ci ont été inefficaces.
Généralement, les pays qui ont fait appel au FMI étaient menés par des pays au sein desquels le pouvoir était disputé entre des communistes et des national-socialistes, visant tous deux à s’approprier les rênes de l’État pour s’enrichir. Ces pays avaient accumulé d’imposantes dettes résultant de l’irresponsabilité fiscale et de la corruption de leurs gouvernements. Dans un pays comme la Bolivie, qui a régulièrement fait appel à l’aide du FMI, ces partis étaient le Parti de la Révolution Gauchiste et le Mouvement de la Révolution Nationale. Dans les années 50s, 60s et 70s, ce pays a mis en place plusieurs « révolutions sociales », comprenant une grande augmentation des dépenses du gouvernement financées par de nombreuses nationalisations d’entreprises. En 1980, le pays s’est retrouvé dans une situation financière critique et l’État n’a eu d’autre choix que d’imprimer de la monnaie pour financer ses dépenses, ce qui a engendré une crise d’hyperinflation. Le gouvernement a alors instauré des contrôles de prix pour stabiliser l’inflation, mais sans succès. En 1985, ne pouvant plus acquitter les lourdes obligations financières du gouvernement, le nouveau président instaura une « Nouvelle Politique Économique », basée sur les PAS du FMI. Les résultats furent mitigés et la Bolivie est, encore aujourd’hui, le pays le plus pauvre d’Amérique Latine, mené par un dirigeant socialiste du nom de Evo Morales.
Par ailleurs, la stratégie de développement économique de ces pays consistait habituellement à utiliser les influx monétaires résultants des exportations de matières premières pour importer des biens de productions qui serviraient à développer des industries locales, qui elles furent protégées par des barrières protectionnistes. Cette stratégie se nomme « politique d’industrialisation par la substitution des importations ». Au fur et à mesure que ces industries ont crû, la balance des paiements de ces pays s’est mise à se détériorer puisque les importations excédaient les exportations. Ces pays se sont donc mis à emprunter pour financer leurs importations, devenant ainsi très vulnérables aux prix des matières de base sur les marchés internationaux. Au niveau de l’agriculture, le gouvernement achetait les récoltes à bas prix et les revendait avec profit sur les marchés internationaux, ce qui lui permettait de financer ses dépenses croissantes sur le dos des fermiers. En augmentant de plus en plus leur marge de profit, ces gouvernements décourageaient la production agricole, ce qui était encore plus néfaste pour la balance des paiements et l’économie du pays. Ces déficits étaient en partie financés par la création de monnaie, ce qui générait de l’inflation et la dévaluation de la devise. Ces gouvernements se sont alors mis à contrôler la convertibilité de leur devise de façon à éviter qu’elle ne se dévalue. Dans les circonstances, l’accès à des devises étrangères devint un privilège très lucratif, que les politiciens distribuaient avec grand soin à leurs collaborateurs et amis.
Ce n’est qu’une fois rendus au bord du gouffre financier que ces pays n’ont eu d’autre choix que de se tourner vers le FMI pour obtenir du financement. C’est sous l’emprise de cette institution que ces pays n’ont eu d’autre choix que d’accepter les PAS. Quels sont donc les problèmes avec ces programmes?
Tout d’abord, les pays qui financent ces institutions (le FMI et la BM) utilisent leurs monnaies fiduciaires créées ex nihilo par leurs banques centrales et déguisent ces prêts comme étant de l’aide internationale. Cependant, les chaînes reliées à ces prêts sont très solides! Les États-Unis ont d’ailleurs utilisé ces institutions pour élargir leur zone d’influence durant la Guerre Froide et s’assurer que les pays visés supportaient le « bon côté » et ne sombraient pas dans le communisme, même si cela impliquait de soutenir une dictature. Ces pays ont par le fait même été transformés en « État-clients » devant se conformer à la politique étrangère des États-Unis, permettant à ce pays d’asseoir sa stratégie impérialiste.
L’argent est remis à des gouvernements corrompus et ayant déjà prouvé leur irresponsabilité budgétaire; d’où l’intérêt des PAS, dont le but est de les ramener dans le droit chemin. Ceci étant dit, les prêteurs savent pertinemment qu’une bonne partie de ces prêts ne seront pas remboursés. D’ailleurs, il arrive souvent qu’une partie de la dette soit simplement radiée. Néanmoins, les avantages stratégiques, géopolitiques et économiques de ces prêts excèdent de beaucoup le montant de ceux-ci.
On demande tout d’abord à l’emprunteur de réduire son déficit budgétaire, ce qui se fait généralement en augmentant les taxes et impôts ainsi qu’en réduisant les dépenses en santé et en éducation, alors que ces pays devraient plutôt réduire leur lourde bureaucratie corrompue en réduisant les effectifs de la fonction publique ainsi que réduire les dépenses militaires, souvent démesurées dans certains de ces pays. Ces coupures ont évidemment des effets néfastes sur les plus pauvres de la société et protège les acquis des mieux nantis (dont font partie les fonctionnaires). La diminution du déficit allège les besoins de financements du pays, qui a donc moins besoin de créer de la monnaie pour se financer, ce qui lui permet de contrôler l’inflation.
On exige par la suite que l’État n’intervienne plus sur le marché des devises et laisse la devise flotter au gré du marché. Comme le contrôle des flux de devises a beaucoup de valeur aux yeux de ceux qui le détiennent, ceux-ci ne sont pas prêts à le léguer au libre-marché. On observe donc souvent une dévaluation partielle de la devise plutôt qu’un flottement libre, ce qui ne règle aucun problème structurel. Néanmoins, cette dévaluation permet aux pays prêteurs d’obtenir les matières premières du pays emprunteur à rabais, un avantage indéniable pour eux. En revanche, la dévaluation fait augmenter le coût des importations, ce qui soulage la balance des paiements, mais contribue à accentuer le mauvais sort des plus pauvres.
Les PAS prévoient aussi l’élimination des barrières protectionnistes. Cela n’est certainement pas une mauvaise chose en soi, mais ça peut avoir des conséquences très négatives à court terme lorsqu’effectué de façon trop soudaine; surtout lorsque les pays prêteurs en profitent pour inonder le marché local du pays emprunteur de leur produits subventionnés. À cet égard, les États-Unis et le Canada sont bien mal placés pour prôner le libre-échange, étant eux-mêmes de fervent protectionnistes, surtout lorsqu’il est question de l’agriculture, une industrie toujours vitale pour les pays en voie de développement.
Le retrait des contrôles de prix est aussi une bonne chose, sauf lorsque des amis du pouvoir ont obtenu de l’État des privilèges monopolistiques leur permettant d’en profiter pour s’enrichir.
Finalement, les PAS réclament la privatisation des entreprises d’État, lesquelles sont souvent nombreuses dans les pays aidés par le FMI. Encore une fois, ces privatisations ne sont pas une mauvaise chose; c’est plutôt la façon dont elles sont effectuées qui cause problème. Pour qu’une privatisation fonctionne, il faut que la confiance en la devise soit restaurée, il faut un système légal qui protège efficacement les droits de propriété privés, il faut des marchés financiers libres, il faut un climat économique sain qui permette de maximiser la valeur de l’entreprise à privatiser et il faut que la corruption, la règlementation et la bureaucratie soit allégées. Il faut aussi que les attentes de croissance de l’acheteur soient réalistes vu la situation économique précaire du pays emprunteur. Or, les privatisations ordonnées sous l’égide des PAS ne sont pas toujours (voire rarement) menées sous ces conditions. L’appétit des investisseurs étrangers est par conséquent limité, ce qui permet à des corporations bien connectées d’obtenir ces entreprises nouvellement privatisées à rabais.
À cet égard, l’exemple de Bechtel en Bolivie démontre très bien la malhabileté du FMI et de la BM dans l’implantation des PAS. En 2000, la Banque Mondiale exige de la Bolivie qu’elle privatise ses services d’aqueduc. À Cochabamba, c’est un consortium mené par la firme américaine Bechtel qui remporte l’enchère.
Selon le contrat, les acheteurs devaient investir pour revitaliser le système existant, qui était en forte détérioration, doubler la couverture du réseau, puisque la moitié des habitants n’avaient pas accès à celui-ci alors que les autres n’y avaient accès que quelques heures par jour étant donné sa piètre condition, assumer $30 million de dette existante aux livres de l’entreprise d’État et financer l’achèvement du barrage Misicuni, un coûteux projet pourtant déficitaire que le consortium ne prévoyait pas réaliser, mais qui leur a été imposé dans leur contrat. C’est qu’un allié influent du président Banzer, le maire de Cochabamba, Manfred Reyes Villa, voulait ce barrage puisque sa construction bénéficierait à ses collaborateurs politiques.[1]
De façon à financer ces investissements qui amèneraient le réseau d’aqueduc à un niveau presque digne des pays industrialisés, le consortium mené par Bechtel a augmenté les tarifs en moyenne de 35%. Bien que les sommes impliquées apparaissent minimes pour nous, habitants des pays riches, elles étaient significativement élevées pour les pauvres habitants de la Bolivie. En fait, il est clair que la population n’avait pas les moyens de se payer un réseau d’aqueduc de cette trempe, ni de supporter l’investissement dans le barrage Misicuni. Autrement dit, la Banque Mondiale a financé un investissement massif que les Boliviens n’avaient pas les moyens de se permettre, oubliant qu’il faut créer de la richesse avant de la dépenser.
Cette augmentation de tarif a donc rencontré une forte opposition du peuple, qui n’avait plus les moyens de payer ses factures d’eau. Le contrat a par la suite été résilié et le consortium s’est retiré de l’affaire. Les tarifs sont par la suite revenus à leur niveau initial et le réseau est resté dans un état de médiocrité précaire. La moitié des 600,000 habitants de Cochacamba n’avait toujours pas accès au réseau d’aqueduc en 2005 et ceux qui y avaient accès devaient se contenter d’un service intermittent, parfois de 3 heures par jour.[2]
Conclusion:
En somme, ce que l’on constate lorsqu’on étudie les actions du FMI et de la BM est que ces institutions ne sont que des parodies de ce qu’est vraiment le libéralisme. Elles utilisent des principes libéraux pour déguiser leurs actions, qui ne visent en fait qu’à promouvoir les intérêts des pays membres, surtout ceux des États-Unis qui en détient le contrôle. Pour libéraliser une économie, il ne suffit pas que de privatiser et ouvrir les frontières; c’est toute la culture politique et économique qui doit changer. En ce sens, les PAS ne sont qu’une réforme de surface dissimulant une grotesque mascarade d’intérêts géopolitiques et corporatistes. En Afrique sub-saharienne, malgré de nombreuses années d’ajustements structurels ordonnés par le FMI et la BM, lancer une entreprise officiellement coûte 100 % du revenu annuel par tête alors qu’un permis de construire coûte près de 2000% du revenu par tête. En Côte d’Ivoire il faudra attendre en moyenne près de deux ans pour avoir ce permis. Est-ce cela le libéralisme?
À cet égard, le gagnant du prix Nobel de littérature en 2010, Mario Vargas Llosa, résume très bien ma pensée :
« Sans un ordre légal strict qui garantisse la propriété privée, le respect des contrats et un pouvoir judiciaire honnête, capable et totalement indépendant du pouvoir politique, l’économie de marché est une pure farce, c’est-à-dire une rhétorique sous laquelle se poursuivent les exactions et la corruption d’une minorité privilégiée aux dépens de la majorité de la société. Ceux qui, par naïveté ou mauvaise foi, arguent aujourd’hui des difficultés que traversent la Russie, le Venezuela et d’autres pays qui entreprennent (et souvent mal) le passage au marché, pour prouver l’échec du libéralisme, devraient lire Hayek. Ainsi ils sauraient que le libéralisme n’est pas la libération des prix et l’ouverture des frontières à la concurrence internationale, mais la réforme intégrale d’un pays, sa privatisation et décentralisation à tous les niveaux et le transfert à la société civile — à l’initiative des individus souverains — de toutes les décisions économiques. Et l’existence d’un consensus quant aux règles de jeu qui privilégient toujours le consommateur sur le producteur, le producteur sur le bureaucrate, l’individu face à l’État et l’homme vivant et concret d’ici et de maintenant plutôt que cette abstraction : l’humanité future. »[3]
[1] “Leasing the rain”, William Finnegan, The New Yorker, 8 avril 2002.
[2] « Bolivia regrets IMF experiment », Juan Forero, New York Times, 14 décembre 2005.
[3] « Les enjeux de la liberté », Mario Vargas Llosa, 1991.