Nouveau classement à Saint-Emilion (2). Un protocole de dégustation ?

Une chose que l'on sait déjà pour le futur réglement du nouveau classement des grands crus de saint-émilion, c'est qu'il y aura une note de dégustation qui portera sur plusieurs millésimes (de dix à quinze) selon le rang postulé.

Quelques lecteurs souhaitent des informations sur le protocole suivi par le GJE pour ses propres dégustations. Le voici en détail. Il n'a pratiquement pas changé depuis nos débuts en 1996.

Achat des vins

Il faut autant que possible que la source, la provenance des vins soit homogène. L'idéal est bien sûr de les acquérir à la propriété en écartant de facto l'idée que je trouve saugrenue qu'il y aurait une mise spéciale pour ce type de dégustation, les risques de dénonciation étant bien plus importants que par le passé et surtout, il suffira d'envoyer un huissier récolter les bouteilles nécessaires qu'il prendra sur des lots différents. Il faut éviter des discussions qui porteraient sur des conditions différentes de gardiennage des vins (température, humidité, etc.)

Si les achats sont malgré tout faits ailleurs, il faudra autant que possible que ce soit auprès du même fournisseur, l'idéal dans ce cas étant une ou plusieurs maisons de négoce de la place.

Pour un tel objet - un classement - il doit être évident qu'il ne s'agira que de prendre des vins déjà en bouteilles et non des vins encore en devenir, en élevage.

Le Jury

Un Jury digne de ce nom doit comporter au moins 12 Membres reconnus pour leur aptitude professionnelle à déguster et surtout représentant les diverses sensibilités au vin, un sommelier comme Poussier ne dégustant pas forcément comme un négociant comme Castéjà. L'idéal serait évidemment, comme au GJE, d'incorporer dans ce Jury des "non-français" tant il est vrai que les grands vins du bordelais sont surtout consommés en dehors du territoire national et donc il semble sain d'avoir aussi un point de vue extérieur.

Préparation des vins

Tous les vins devront être ouvert au moins une bonne heure à l'avance, devront être vérifiés par un sommelier qui écartera les bouteilles à défaut, et sur la base de service 1 bouteille sert 15 verres maxi. On choisira le verre universel "expert" (Lagneau/Vialette) qui marie le mieux nez et palais. C'est le verre utilisé par le GJE.

Quand le Jury dépasse 15 membres, au GJE, on assemble alors en carafe deux bouteilles du même vin de façon à ce que le liquide tasté par les jurés soit strictement identique.

Température de service

Les vins, préalablement gardés dans les mêmes conditions (l'idéal est une eurocave) seront servis à 15°/16° dans une salle qui sera à 18°/19° sachant que le temps du service, le temps de l'entrée du Jury fera que cette température des vins sera déjà à 17°, température de dégustation idéale pour ce type de vin rouge.

Ordre de service et nombre de vins

Une main neutre déterminera au hasard l'ordre de service des vins, devant huissier qui attestera. On limitera une session de dégustation à 32 vins maximum, le palais humain, même celui des professionnels, n'étant pas une machine parfaite.

Salle de dégustation

Les tables des dégustateurs seront placées comme à l'école. Le silence complet sera exigé. Les dégustateurs seront séparés en deux sections (droite et gauche), avec instruction pour chaque dégustateur de commencer sa propre dégustation par le numéro du vin qui est celui de sa table en précisant que la section de droite tournera dans le sens des aiguilles d'une montre et la section de gauche dans le sens inverse, ce qui réduit l'influence éventuelle d'un cru sur le suivant.

Notes et commentaires

On demandera aux dégustateurs de mettre une note sur 100 et un commentaire explicitant la note, si possible avec deux parties : qualités et défauts.

Analyse des notes et commentaires

Les notes devront faire l'objet d'une analyse statistique selon le modèle de Bernard Burtschy, ce qui élimine, entre autres, les différences d'influence sur les résultats que peut avoir un dégustateur notant "large" (disons de 70 à 95) par rapport à un dégustateur dégustant "étroit" (disons de 88 à 92).

Il sera impératif de prendre en compte une note de cohésion, comme la calcule Burtschy, selon un process à déterminer. En effet, un vin collectant une note "x" avec un taux de cohésion "TB" (très bon) est bien plus consensuel qu'un vin ayant la même note "x", mais avec un taux de cohésion "TM" (très mauvais).

Autres points

Naturellement, la dégustation sera une stricte aveugle. On peut néanmoins envisager d'indiquer au départ le millésime dégusté, ce qui permet aux dégustateurs qui en connaissent les caractéristiques, de mieux ajuster leur opinion sur le cru.

Comme il semble qu'un comité extérieur à Bordeaux sera également chargé de noter les mêmes vins, on comprendra aisément que toute comparaison entre les notes de ces deux comités devra être la plus homogène possible. cela veut dire qu'il faudrait que ce comité extérieur déguste le même jour les vins servis dans le même ordre. Probablement impossible à organiser, mais qu'on ne s'étonne pas alors des différences que cela peut créer et donc des discussions que cela va fatalement entraîner, pour autant que les notes des deux comités soient communiquées, ce dont je doute plus que fortement. J'imagine néanmoins que chaque domaine aura un droit de regard sur son propre dossier.

Le GJE a bien l'intention de déguster ces grands vins dans les mêmes millésimes selon ce protocole de base. Une des différences sera naturellement le moment du debriefing qui sera filmé.

Notre protocole est certainement imparfait et on peut parfaitement imaginer d'autres procédures. Mais on est en droit d'espérer que pour ce nouveau classement des saint-émilions, on nous dira quel sera le protocole choisi par les auteurs du règlement.

Tout cela va être passionnant.