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Andreï Batov – Le Tao du saxophoniste

Par Pikkendorff

Andreï Batov – Le Tao du saxophonisteLéningrad-Saint-Pétersbourg-Bichkek-Kachgar-Urumchi-Saint-Pétersbourg” 

Bienvenue aux voyageurs, aux curieux et aux éternels étonnés.  Ce roman contemporain de la vie brute dans ce monde pour vous inconnu aux marches de la Russie et de la Chine est une promesse réussie de voyage.  Carnet de voyage ou roman, vous errerez encore longtemps après la dernière page tournée et penserez à l’émergence d'un "espace-monde".

Andreï Batov – Le Tao du saxophoniste
Eloignez les adeptes du Club Med, les aficionados de l’Ipod, les connectés de Facebook, les accrocs du Blackberry, les enragés des avantages acquis, les consommateurs des droits à … à la retraite, à l’enfant, à la santé, au bonheur.  Ce roman pourrait ouvrir des horizons incompréhensibles au petit Français, empêtré dans ses certitudes, ses droits de l’homme et sa bravitude.

Saint Péte, 23 ans en 1996, Andreï Batov est tout à la fois le narrateur et le sujet de ce qui peut être soit une biographie soit une fiction. Ce saxophoniste de talent, porté sur la vodka entre cuites et abstinence, à charge déjà d’une maitresse partie grosse de ses œuvres pour Simferopol en Crimée, orphelin de “ce grand pays disparu de la carte politique et remplacé par une ribambelle de tous petits états rachitiques et stupides”, nous propose un angle de vue extraordinaire sur sa Russie post-communiste et sur la Chine toujours dirigée d’une main de fer.

”Ses généraux, de vrais rats, importent, ni vu ni connu, de la drogue en provenance de Tchétchénie par avions complets. Ils n’en n’ont rien à foutre des Doudaïev ou des Radouïev mais ils se battent quand même pour Grozny, car c’est le seul aéroport en Tchétchénie où des airbus peuvent se poser.  Ils ont déjà inondé le pays de leur came.” Pas la peine de faire les malins, les USA et la CIA ont fait pareil avec l’Amérique du Sud. 

Repéré dans son estaminet, il est débauché par un homme d’affaires chinoispour un contrat de 6 mois, direction Urumchi dans la province des Ouïgours. Et voilà notre Andreï parti sur les routes.  Avion jusqu’à Almaty, et convoi de camions pour Bichtek, la capitale du Kirghizstan, puis la route de la Soie vers la mythique Kachgar.  Des descentes de 15 km en 4 heures, des jours entiers bloqués dans les camions sous la neige !

“Et deux heures plus tard nous savourions un véritable riz pilaf à l’ouzbek.  A la différence de celui qu’on vous sert sur les marchés en Russie, ici on ajoute de l’opium, ça ressemble à une boule de pâte à modeler, enveloppée dans de la gaze, on le met dans le riz et on laisse tout mijoter ensemble.  Il suffit d’une portion et on se sent très bien, la vie est belle, on rigole.”

Et puis la Chine, la région autonome ouïgoure du Xinjiang chinois.Il faut s’habituer à leurs cigarettes comme à leur vodka, et à leurs femmes aussi.  Tu vas vivre un bon moment avec eux.” Il y restera deux ans.

C’est dans cette province à l’histoire complexe, en la ville de Kachgar puis celle d’Urumchi, qu’Andreï, cet étranger simple joueur de saxophone dans un hôtel, rencontre la Chine impériale.  “Je le répète une fois de plus, les Russes perçoivent le chinois comme une langue très abrupte, comme les aboiements d’un jeune chien.”

Le Xinjiang, "nouvelle frontière" en chinois, est économiquement indispensable pour la Chine en raison de la découverte d'importants gisements pétroliers dans cette région. En fait cette région peut disposer d'un tiers des ressources prouvées du pétrole en Chine, soit

Andreï Batov – Le Tao du saxophoniste
74 milliards de barils de pétrole. D'autre part, c'est le passage donnant l'accès terrestre le plus court aux gisements pétroliers et gaziers qui sont concentrés autour de la Caspienne : Turkménistan, Kazakhstan, Azerbaïdjan et Iran. Enfin, un couloir ferroviaire pourra relier la Chine à l'Europe Occidentale, en évitant la Russie (Kirghizstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Iran, Azerbaïdjan, Géorgie, Mer Noire par ferry Poti - Constantsa, Roumanie, Hongrie, Allemagne). En cas de création d'un "Ouïgouristan" indépendant, non seulement la Chine aura des rapports conflictuels avec les pétromonarchies du Golfe, qui lui fournissent une partie non négligeable de ses hydrocarbures, mais de plus, elle sera isolée à l'Est (merci à Viatcheslav Avioutski). 

“Comme représailles les Ouïgours font sauter une bombe dans le quartier chinois de leur ville ou égorgent simplement autant de Chinois que de Ouïgours fusillés. Et le monde n’est au courant de rien, tout est calme dans ce pays. En Chine les exécutions sont publiques…”  Ce n’est qu’en Juillet 2009 que la presse prêtera l’oreille au bruit.  Les enjeux sont trop complexes et hors les grilles de lectures du petit occidental, pour que la grosse presse de consommation sache proposer un article complet.

Avec Oleg, le chinois interprète, se développe une relation personnelle, musique humaine au-dessus de ces systèmes mortifères. “Tu vis dans un pays socialiste, et si tu es un type normal, tu dois boire, sinon, tu vas devenir fou.”  En avance d’un interdit, la France a remplacé le vin par les médicaments...

Andreï jouit de sa position d’étranger vivant au sein de la Nomenklatura.  “Il est joli le dernier bastion du communisme.  Dans la journée, on arbore un insigne du grand Mao sur le revers de son veston, et la nuit, ce n’est que beuverie et prostituées.  Je connais la ritournelle.” L’Amour & l’espionnage international va le précipiter dans un camp de prisonnier. La description du quotidien de ces endroits mortels, d’un ton détaché, où mourir est une évasion reste gravé en la mémoire. “On fabrique des assiettes et des gobelets en plastique, vous en avez certainement chez vous.  Tenez et bon appétit, nous, les prisonniers des camps chinois, avons envahi le monde entier avec ses saloperies.  Nous sommes 25 millions.”    

Andreï Batov trouvera un chemin de spiritualité laïque, une force en lui, sous les coups et les privations à l’image d’autres livres écrits par des survivants d’autres lieux de morts russes, nazi…Qu’il ait trouvé force en Bouddha ou en le Falun Gong, le témoignage conserve une rare force au milieu d’une violence contemporaine acceptée.

Témoignage, voyage, chemin, un magnifique livre qui n’aura bien sûr pas l’honneur de la presse et des média.

  

Traduction du russe par Marie Roche-Naidenov, titre original Dao Saksofonista (Даосаксофониста) en 2003 chez Palmyra en Russie.

Mon petit éditeur, 2010, 26€uros, 389 pages

L’Histoire de l’Ouïgouristan, merci à l’Université de Laval cliquez

La note de Dipoweb sur le Xianjiang, cliquez

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