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L'autre 2010 du Fric-Frac Club par Le Fric-Frac Club

Par Fric Frac Club
L'autre 2010 du Fric-Frac Club par Le Fric-Frac Club Quelques jours après le consensus de fer et quelques jours avant le retour aux affaires, voici un énième au-revoir à 2010, somme toute bien belle année pour la littérature à laquelle nos efforts trop irréguliers peinent forcément à faire honneur. En guise de grappa giovana, donc, un hodge-podge, un mulligan's stew, une potée de souvenirs épars, de cahiers stabylobossés, de désordre sur la table basse et un petit miroir tendu sous nos mentons, les billy gorgées de paperbacks en fond d'aquarium. Qui nous aime nous suive, et que 2011 nous soit clémente. A nous tous. * L'autre 2010 du Fric-Frac Club par Le Fric-Frac Club Drôle d'année. Pour la première fois depuis longtemps, je ne me suis pas lancé dans une entreprise de relecture d'un auteur spécifique. Pour la première fois, j'ai lu tous les livres à l'affiche de notre top 13. Un de mes choix personnels ne s'est pas imposé dans la liste finale : Naissance d'un pont de Maylis de Kerangal. C'est regrettable. Si CosmoZ mérite à mon sens sa place de premier franchouillard, il n'aurait pas dû être seul : Corniche Kennedy mettait déjà en évidence toutes les qualités d'écriture de Kerangal, le Médicis 2010 les confirme de manière retentissante : une réussite totale, sans doute absente du palmarès car peu lue par mes camarades. Les autres lectures marquantes de l'année ont été, bien entendu, hispaniques. Los muertos de Jorge Carrión reprend brillamment la thématique de la mémoire, de la mort et de la catastrophe dans un cadre très éloigné des variations mitteleuropéenne habituelles ; Las teorias salvajes (bientôt en français) de Pola Oloixarac offre une stupéfiante mise à jour du roman à clef cum roman de campus cum roman scientifique cum roman total ; Oscar Gual, de manière plus discrète (publication en juin – fort mauvaise idée – et nous regrettons d'ailleurs de ne pas en avoir parlé plus en détail) laisse derrière lui avec Fabulosos monos marinos les maladresses et les influences trop évidentes de son fort bon premier roman dans une suite de récits tournant autour d'une ville et d'une communauté fictive, à la fois familière et très étrange pour tous les néo-trentenaires élevés TDK 90 minutes en main et nouveau ciné indépendant américain sous les yeux. Rayons classiques, j'ai (presque) terminé mon parcours chez John Barth (désenchantement progressif) et chez Robert Coover (émerveillement – presque – continuel). La question est donc la suivante : quels auteurs américains de la seconde moitié du siècle passé dois-je maintenant terminer (évidemment, me direz-vous, on n'en finit jamais avec un grand écrivain) ? Elkin ? Markson ? Ou tout simplement relire Gaddis ? En ce qui concerne les essais, je ne soulignerai que Imbibe ! de David Wondrich, merveilleuse enquête dans le monde des cocktails du 19e siècle. Mais une année ne se fait pas que de lectures : elle est aussi non-lecture. La pile de livres 2010 pas encore lus est presque plus grande que celle de livres lus. Cette année tout juste terminée se prolongera donc quelques mois de plus ; 2011 est le prolongement de 2010. Rendez-vous dans un an, on verra alors si j'ai suivi mes bonnes résolutions : plus d'Italie et plus de Pays-Bas.

— FM L'autre 2010 du Fric-Frac Club par Le Fric-Frac Club Drôle d'année. Pour la seconde fois depuis l'année dernière, je ne me suis pas lancé dans une entreprise de relecture d'un auteur spécifique. Pour la seconde (ou troisième ?) fois, je n'ai pas lu tous les livres à l'affiche de notre top 13 (d'ailleurs, je n'ai toujours pas compris comment on peut choisir dix livres pour faire un Top 13 – cf. l'autre de l'année passée – je m'en suis étonné en coulisses, les djeuns se sont marrés : on ne se moque pas du plus vieux des Chums, morveux ! que je leur ai dit, on lui doit le respect, alors on lui explique. Ils lui ont, il n'a toujours pas, il va se venger dans quelques lignes, façon plat froid). Comme d'habitude, plus de la moitié de mes choix personnels ne se sont pas imposés dans la liste finale. Comme François, Naissance d'un pont de Maylis de Kerangal n'y figure pas. Comme François et pour les mêmes raisons, ceci dit sans fayoter (oui, François est mon père ; oui, François est le Chef des Chums – ce qui fait bisquer mon bruyant voisin Lazare qui bout ne pas être calife à la place du calife, et m'hilare – et alors ? Où est-il écrit qu'on n'a pas le droit d'avoir les mêmes goûts que son papa tout ça parce qu'il est Chef des Chums d'ici-là, hein ? [ceci n'est pas encore ma vengeance]) je le regrette. [ceci est ma vengeance] Normalement, la CCFFC (Charte des Chums du Fric-Frac Club) impose de ne pas dévoiler le pot de Rose (la charmante jeune femme qui nous livre les cafés et, heu – non, rien. Les cafés). Autrement dit : il est vivement déconseillé de révéler son propre top 10 personnel à soi-même (si vous apercevez un ou plusieurs pléonasmes, rayez la mention inutile – je ne vais quand même pas tout faire, faut aider les vieux, on vous l'a jamais dit ?) Et bien – Je. Vais. Le. Faire. Hop. 1. Zeroville - Erickson 2. Conteurs, menteurs - Leonard Michaels 3. Omega Mineur - Verhaeghen 4. Pont de l'alma - Rios 5. CosmoZ - Claro 6. Le fond du ciel - Fresan 7. La fille aux cheveux étranges - Foster Wallace 8. Naissance d'un pont - Kerangal 9. Méditations en vert - Wright 10. ÉcrivainsVolodine Pourquoi ceux-là et pas d'autres ? Parce que 2010 a été une année de mise en retrait de bon nombre de choses, parmi lesquelles le Fric-Frac Club (personne ne l'a remarqué, calimérota-t-il à son retour ; Je vais te friser, mecton ! lui fut-il rétorqué en toute amitié) un recentrage d'une dizaine de mois nécessaire pour retrouver le ramage et l'apanage des vieux sages : la zenitude cool. Une année de moindre lecture pour (tenter de) mieux lire. Vous en avez une partie au-dessus, dans la-liste-qui-n'aurait-pas-due-être-dévoilée-mais-que-je-dévoile-quand-même-je-suis-le-plus-vieux-je-n'en-fais-qu'à-ma-tête-na. Michaels parce qu'on a pas assez parlé de nouvelles, ici ; parce que Conteurs, menteurs, anthologie sortie chez Christian Bourgois, révèle, outre des thèmes moins sombres que dans son roman, la progression obsessionnelle de Michaels vers la quintessence de la nouvelle, un chemin empruntant toutes les directions et raccourcis possibles, un chemin qui ne pouvait qu'aboutir à la naissance d'un personnage récurrent, mathématicien – naissance coïncidant, hélas, avec le décès de l'auteur. Pourquoi Foster Wallace ? Devinez… Pourquoi Volodine ? Devinez#2… Pourquoi Wright ? Parce qu'on me l'avait conseillé et que je ne l'ai pas regretté. Jamais je n'avais lu le Vietnam comme ça. De l'intérieur, pendant et après, sans effets de manches, avec une construction et un style implacables, à vous coller nez dans le bouquin et le dos au mur. D'ailleurs, à mieux y regarder, je m'aperçois que les dix de mon top 13 ont été lus soit sur conseil, soit sur impulsion, jamais après avoir pris connaissance de la moindre chronique, quelle qu'elle soit (hop, je scie la branche sur laquelle je suis assis – gag classique ne faisant rire que les plus vieux. Notoire.) je continuerai donc en 2011 (bonne résolution#1) Bien entendu, en élire dix parmi les nombreux lus cette année est frustrant – La vieille au buisson de roses, de Lionel-Edouard Martin, méritait sa place – ô combien – tout autant que Mille milliards de milieux, de Claro, sans oublier Les aigles puent (Lutz Bassmann), Onze rêves de suie (Manuela Draeger), une tripotée en numérique (les revues Angle Mort N°1, D'ici Là#6 ; les romans de la collection Mauvais Genres, Le récit d'une terreur passagère, de Charles Dionne, etc.) et en matière de nouvelles, Défense des animaux & pornographie, de J. Eric Miller, entre autres. Bien entendu, en choisir treize est frustrant : la raison d'être de cette « autre » année de chacun d'entre nous, que vous découvrez aujourd'hui. Elle aussi frustrante. Mais on a peut-être une solution. Et si vous nous parliez de vos propres favoris 2010 ? Ici les studios, à vous l'antenne. — g. L'autre 2010 du Fric-Frac Club par Le Fric-Frac Club Ah cruelle année 2010. Qui pourrait dire que je suis le moins sérieux, le moins assidu des membres du Fric-Frac Club ? Ma vie entière, la plupart du temps, est exclusivement vouée à la promotion des arts & à leurs multiples expressions. Il n'empêche, ces derniers temps je reçois beaucoup de menaces de la part de jeunes groupies déboussolées qui pensent que je ne fais pas bien mon travail, que, soit disant, la littérature c'est plus que des conneries selon comment on s'y prend &, qu'à la limite, il vaudrait mieux se passer une bonne compile des Carpenters en boucle, en d'autres termes : se laisser aller. Bien. Je vais vous dire une bonne chose qui fera trembler tous les slips de notre belle république : j'ai tellement d'amour à donner aux lecteurs de ces pages que je veux bien passer pour un ingrat chaque jour que Dieu fait. Quel rapport avec ce qui nous concerne ? Eh bien je dirai que déjà ça me donne un peu de crédibilité aux yeux de mes compagnons qui se désespèrent de voir que les trois-quarts des visites qui concernent mes papiers viennent soit de ma propre adresse IP, soit d'auteurs mécontents, soit d'obscurs sites pharmaceutiques canadiens vendant du Viagra à bas prix, & ensuite que nous sommes quelques uns à penser que j'y ai gagné une dimension christique incroyable. Si, à la suite de ça, je devais vous parler de ce que fut mon année de lecture il faudrait vite vous avouer qu'elle ressemble, à quelques exceptions près, à la Bibliothèque 2010 que nous vous avons révélée il y a peu. Personnellement je trouve que c'est déjà pas si mal & qu'elle est bien meilleure que n'importe quel autre Top Machinchose que vous pourrez lire ailleurs. Le reste de ma pile n'étant que confirmations réconfortantes (Les Onze de Michon, Père des mensonges de Brian Evenson, La folie de l'or de Sorrentino...), déceptions tiédasses (Jean-Charles Massera, 54 du Wu Ming, Olimpia de Minard, Les Idiots de Cavazzoni, Matière Première Jörg Fauser qui débarque avec au moins 30 ans de retard, le dernier Ravey...), séances de rattrapage salutaires (Stanley Fish, Nabokov, Tom Robbins...) plus deux trois autres lectures sans goût dont je ne voudrais pas reparler ici. Mais il sera sans doute bien plus judicieux d'évoquer deux livres absents du Top 2010. Le premier parce que c'est une petite obsession affective & le second parce que je suis le seul, dans ce foutu club, à l'avoir lu. Apprendre à prier à l'ère de la technologie, puisque c'est le joli nom du second, devait être la surprise exotique de l'année, le roman post Pessoao-Antunes à moustaches, Gonçalo M. Tavares celui qui allait redonner ses lettres de noblesse à tout un peuple de marins conquérants oubliés. Voilà un livre magistral, écrit à l'encre du succès, à qui nous avons même réservé la Une & qui aurait dû jouer des coudes pour se frayer une place entre... euh entre, disons entre Claro & Shelley Jackson... laaaarge. Mais, comme pour le Karengal dont vient de parler François, & malgré un obscur prix du meilleur livre étranger Hyatt Madeleine, il aura juste manqué de lecteurs. Dommage. On avait aussi parlé du retour de Hunter S. Thompson à l'occasion de la sortie, chez Tristram, d'une jolie biographie pleine d'amour qui devait ouvrir grand l'espace aux fameux Gonzo Papers. C'est donc chose faite. Alors il faut mettre de côté les effroyables couvertures, l'organisation un peu fofolle des textes (un aller retour sans queue ni tête entre les 60's 70's & re-60's derrière ou plus sérieusement, comme il est dit dans une note des éditeurs : "...le découpage français avait fait migrer la deuxième partie en troisième position, c'est-à-dire concluant le premier volume, & inversement la troisième partie en deuxième position, c'est-à-dire concluant le premier volume.") & une traduction à la machette rouillée (on peut quand même lire quelque part que les « Maraudeurs d'Oackland » ont rencontré en finale de la « Super Coupe » les « Dauphins de Miami » ou, plus loin, les "Emballeurs de la Baie Verte" & c'est là qu'on se rend compte que les noms d'équipes de NFL c'est un peu comme les premières chansons des Beatles : dès qu'on traduit ça devient couillon... les Emballeurs de la Baie Verte...) & une fois le menu fretin écarté voilà enfin (re)disponible pour le lecteur français l'essence même de Thompson. A la fin de ces deux fois 400 pages jouissives de gonzoïte aigüe il est fort probable que vous serez chauves, hystériques & que vous en redemandiez encore. Un travail éditorial précieux. Sinon, il me semble avoir vu quelques sursauts de fierté chez nos amis les écrivains de langue française, notamment ce petit Zaroff tout mignon de Julien d'Abrigeon, bien ficelé de toutes parts & aussi Le Réprouvé, dernier roman de Mickaël Hirsch, qui a mis de côté la folie créatrice de son OMICRoN inaugural au service d'un récit historique & familial tiré à quatre épingles & qui devrait, enfin, le lancer comme il le mérite OH ! Je finirai juste en vous disant qu'il faut absolument, ABSOLUMENT !, que vous vous procuriez au plus vite Agnus Regni de Frédéric Sounac. C'est chez Délit Éditions (connais pas). Ça n'est pas un livre paru en 2010 mais c'est certainement l'un des meilleurs romans français de la décennie, je vous jure que c'est vrai, & j'avais oublié d'en parler l'année dernière... hum hum. C'est tout pour le moment. Au revoir. —LB L'autre 2010 du Fric-Frac Club par Le Fric-Frac Club « Quoi de neuf, doc' ? – Du vieux. » Oui, je l'avoue, c'est vrai que par rapport à mes collègues du FFC, vaillants et indispensables arpenteurs de la nouveauté sans lesquels je serais perdu perdu perdu, j'ai une fâcheuse tendance, surtout depuis quelques temps, à lire des ouvrages relevant de périodes de plus en plus éloignées, et de domaines parfois franchement ésotériques. Résultat, pendant que les autres se coltinent des Allemands cryptiques, des Russes assassins, des Espagnols encyclopédiques ou des Américains ardus, moi je me plonge dans des vieilleries des années 30 ou des bizarreries florentines du XVe siècle. D'ailleurs, les statistiques sont impitoyables : sur l'ensemble de mes lectures de 2010, 79% des auteurs broutent les pissenlits par la racine. Mais finalement, tout ça a si peu d'importance : comme le disait Deleuze de Spinoza, tous ces gens formidables sont des morts qui n'arrêtent pas de bouger, qui n'arrêtent pas de soulever violemment leur dalle, refusant de tenir en place comme si on était dans une planche de la bédé Pierre Tombal. Alors, quand on me demande mon « autre 2010 », je mélange les quelques vivants et les nombreux morts, et tous dansent joyeusement ensemble une de ces czardas à vous sacrément revigorer en cet hiver glacial. Ainsi, dans le désordre, on commencerai avec G. K. Chesterton : avec The Man who was Thursday (affreux titre français : Le Nommé Jeudi), l'Anglais catholique au monocle a écrit l'un des livres les plus fulgurants, les plus étranges et les plus angoissants que j'aie lu cette année, un cauchemar anarchiste écrit dans une des plus savoureuses proses du monde (du moins en anglais), où l'on passe à une vitesse folle des souterrains secrets de la maléficence politique chtonienne aux harmonies célestes de l'équilibre divin recouvré. Puis on bifurquerai vers Des anges mineurs d'Antoine Volodine, sans doute un des quatre ou cinq écrivains français qui comptent véritablement à notre époque, conjuguant dans un style sobre qui sait rester lyrique la conjonction de la prescience apocalyptique, fanal de notre temps, avec le pessimisme organisé des voix qui survivent et persistent à conter quelque chose dans l'obscurité ou dans le vent cendreux. Dogra Magra, qui en japonais peut se traduire par « amstramgram » ou « abracadabra », n'est pas qu'un mot de passe pour une enquête policière hypnotisante : le livre majeur de Kiûsaku Yumeno est surtout un tour de force et une mécanique infernale, qui vous enserre et vous fascine jusqu'à ce que vous rendiez les armes, prêts à vous perdre à votre tour dans les couloirs temporels de cet asile de fous. Que serait une année où ne paraîtrait pas un livre de Pacôme Thiellement ? Peut-être aussi triste que la vie sans musique dont parlait Nietzsche. Heureusement, La main gauche de David Lynch est venue, donnant à Twin Peaks, plus belle série du monde (à mon avis), la splendide analyse qu'elle méritait, aux lumières de Dante, de Marcile Ficin et de Sohravardî, et nous rappellant aussi que le professeur Pacôme est l'un de ceux dont chaque petit ouvrage ouvre une multitude de portes vers les horizons de pensée les plus inattendus – c'est d'ailleurs à lui que je dois la lecture de l'Histoire de la philosophie islamique d'Henry Corbin, merveille d'érudition et de rigueur qui est un bon début pour nous débarrasser de cette ignorance crasse qui colle à nos semelles occidentales dès qu'il est question de l'Islam. Antonio Werli sera ravi que j'évoque le Dictionnaire khazar de Milorad Pavic (hélas disparu trop tôt), mosaïque de temporalités et de destins fantastiques, oscillant sans cesse entre magie et histoire, coupant et recroisant au fil de ses entrées alphabétiques d'innombrables récits et échos qui à la fin viennent former dans l'esprit du lecteur l'une des images les plus déroutantes (mais aussi les plus rewarding) qu'on puisse souhaiter de connaître. Et comment ne pas mentionner W. G. Sebald ? Austerlitz ou Les anneaux de Saturne, sans doute ses deux plus beaux livres, promenades illustrées dans la grande et la petite histoire entremêlées, photographies énigmatiques du monde d'hier, tragédies pudiques et prose avançant par foulées lumineuses dans la tristesse européenne : livres magnifiques et indispensables. La sortie d'un nouvel essai de Georges Didi-Huberman est toujours une bonne nouvelle : le tout dernier, Remontage des temps subis, sur Samuel Fuller filmant l'ouverture des camps de la mort ou Haroun Farocki remontant les images multiformes de notre planète et de son Leidschatz (« trésor de souffrance »), est une fois de plus l'occasion de s'interroger sur le rôle de notre imagination et notre rapport à l'histoire et à ses incarnations visuelles – que ce soit en art, mais aussi en littérature. Enfin, le tout dernier livre que j'ai lu cette année, rempli de scatologie, d'érections, de loghorrées, d'hypocrisie, de beuveries, de dépravation, d'orgies, de godemichés, de bagarres, de pets, de vantardises, de tromperies, de boustifaille, de superstitions, d'appât du gain, de bisexualité, de pétomanes, de vomi, de racontars. Le dernier Sorokine ? Pas du tout : le Satiricon de Pétrone, vieux de presque 2000 ans. Quand je vous parlais de vieilleries… —PP L'autre 2010 du Fric-Frac Club par Le Fric-Frac Club Pour conjurer tous les mauvais sorts, toutes les opinions sur cet art du roman qu'on a continué à malmener par tous les fronts en 2010 (hier soir à la radio nationale, j'ai entendu par mégarde des pintades déchiqueter la Naissance d'un pont avec des arguments critiques qui fleuraient très fort l'entrecuisse d'une morte), point de liste pour ma pomme (en dehors de notre liste collective, de l'intégrale de Iain Sinclair et de quelques rééditions ou traductions tardives ayant motivé les relectures - Elkin, Arlt, Coover, DFW, Acker - j'ai surtout lu la chair fraiche par obligation, sautant vers le passé - Ford Madox Ford, tous les premiers romans de Nicola Barker ou les Metaphrastes d'Alexander Theroux - à la moindre éclaircie de temps libre), mais seulement un amas de onze moments, onze phrases ou grappes de phrases dont le seul mérite n'aura pas été de faire battre mon coeur un peu plus fort : collées les unes aux autres en collier, elles font un vrai talisman contre le froid et la médiocrité, à porter tous les jours de cette nouvelle année, sous le pull ou le polo. « Killing the animals was the hard part because they tended to get under the skin ; they reminded him of him » (Ron Lewhinsohn, Magnetic Fields)
« You could discover the secret of time-travel : nobody ever ‘goes back » ; rather, you die into what you see, you slow down, choke, peel layers from the bone until you become aware of the stranger crossing the garden towards you, recklessly parting the damp greenery, picking thorns from his wrist – the man who has your face » (Iain Sinclair, Downriver)
« Quand je voyais un objet extérieur, la conscience que je le voyais restait entre moi et lui, le bordait d'un mince liseré spirituel qui m'empêchait de jamais toucher directement sa matière ; elle se volatilisait en quelque sorte avant que je prisse contact avec elle, comme un corps incandescent qu'on approche d'un objet mouillé ne touche pas son humidité parce qu'il se fait toujours précéder d'une zone d'évaporation » (Marcel Proust, "Combray", Du côté de chez Swann)
« Picric, antagonized, scuffing forward with a leer, Fu Manchu readily confirmed a common fear : a distorted ming proves that there is something on it ». (Alexander Theroux, "Mrs. Proby Gets Hers", Three Wogs)
« Words keep out the world » (Iain Sinclair, White Chappell, Scarlet Tracings)
« La peine, semblable à ces arbustes dont l'électricité accélère la croissance, grandissait dans les profondeurs de sa poitrine et montait jusqu'à sa gorge. Immobile, il se disait que chaque peine était un hibou qui sautait d'une branche à l'autre de son malheur « (Roberto Arlt, Les sept fous)
« We could fuck up paradise. We did. We have ». (Jim Shepard, "The Mortality of Parents", Love and Hydrogen)
« Volant libre aux domaines invisibles merveilleux intenses rutilants. Et le papillon en vitesse ». (Julian Rios, « L'état parfait », Pont de l'Alma)
« Modern French writers/was the little cluster of interlocked names on the ball of Flora's thumb : Malraux, Mauriac, Maurois, Michaux, Michima, Montherland and Morand. What amazes one is not the alliteration (a joke on the part of a mannered alphabet) ; not the inclusion of a foreign performer (a joke on the part of that fun loving little Japanese girl who would twist her limbs into a pretzel when entertaining Flora's Lesbian friends) ; and not even the fact that virtually all those writers were stunning mediocrities as writers go (the first in the list being the worst) ; what amazes one is that they were supposed to ‘represent an era' and that such representants could get away with the most execrable writing, provided thet represent their times » (Vladimir Nabokov, The Original of Laura)
« God keep me from ever completing anything. This whole book is but a draught – nay, but the draught of a draught. Oh, Time, Strength, Cash and Patience » (Herman Melville, Moby Dick)
« This has, yes, been a digression. But if it's irrelevant, then ours is that part of town you want to make sure you drive through quick, windows sealed and doors locked tight, oil thoroughly checked, and nothing fishy in the dash ». (D.F. Wallace, « Westward the Course of Empire Takes Its Way », Girl with Curious Hair) —OL

L'autre 2010 du Fric-Frac Club par Le Fric-Frac Club A vrai dire, depuis quelques mois, en dehors de Borges picoré ci ou là, avec flemme plus que parcimonie, d'un lancement tardif et plutôt satisfaisant (je ne suis a priori pas spécialement amateur du genre, on y trouve pourtant bien assez pour être heureux) dans A Game of Thrones (histoire d'aborder l'adaptation prochaine dans des conditions adéquates, j'imagine, plus que pour le reste), enchaîné sur A Clash of Kings, pour l'instant au premier quart, mon temps s'est d'avantage mué en engloutissement de japanimation (et de Seinfeld) pour oublier de penser à quelque chose qu'à quelque chose d'un peu plus adapté en ces lieux. Et, à vrai dire encore, sur décembre, plus de noms d'auteurs se sont retrouvés à travers le générateur de noms de pilotes de Gran Turismo que par des lectures (J. Joyce, pilote niveau 32, dit bonjour). Les gros volumes restent isolés ; entre un JR à l'attaque repoussée chaque jour de l'an et un Renégat cadeau de noël, on trouve comme plus notables La Medusa, de Vanessa Place, sorte de poing dans la tronche où une gorgone incarne Los Angeles où un cadavre, des assemblages, un vendeur de glaces, des créoles et des beaufs filent et se superposent en formant un portrait supposé de L.A. (supposé : à savoir, j'y ai jamais mis les pieds là-bas) ;
Moby Dick, par exemple, pas vraiment ce que je m'imaginais et pourtant bien plus cohérent ainsi, avec ses compressions, ses passagers cachés, ses notes majeures, sa grandeur, avec la place ou l'importance qu'il a dans l'Histoire etc. ;
In the heart of the heart of the country (William Gass), rare exemple de relecture quasi immédiate de l'ouverture (l'étrange Pedersen Kid, si clair et pourtant si empli de variables) dès la fin tournée ;
dans l'entreprise lente de poursuivre DFW, Consider the Lobster, perdu entre les rires plus ou moins contrôlés et l'ébabubueefbvdfbssement de sa capacité à faire de phrases longues, complexes et pleines des vecteurs parfaits de son style comme de l'information qu'il cherche à faire passer ;
et puis pour la première partie de l'année, plus chargée, sans bombance pourtant, sans prise de notes non plus, avec une mémoire aléatoire et peu motivée, que faire sinon une liste inepte où des noms ramassés dans la besace des auteurs présumés d'intérêt ont été piochés à moitié au pif et confirmés (Aurora de Michel Leiris, lu dans le froid, Mark Twain, Artaud, Sok-Yong Hwang avec l'invité, Daniil Kharms, Raymond Roussel) ou repris (Beckett, Le Hameau de Faulkner, un peu de Dostoïevski, Alejo Carpentier, Aymé, Claro, Volodine, Brian Evenson, Mishima, Sorrentino, Hugo) ou au pire un œil perplexe (Kobo Abe, Les oranges de sang de John Hawkes, pourquoi pas).
Peut-être que d'ici peu je trouverai(s) le courage de dire quelque chose. —AC L'autre 2010 du Fric-Frac Club par Le Fric-Frac Club Mémoire trouée : j'ai la facheuse habitude de ne pas toujours //allez, disons comparativement à la quantitié de livres ouverts : de ne pratiquement jamais// finir ce que j'entame et encore moins de le noter, en liste aide-mémoire qui permettrait pourtant de reprendre la pioche exploratrice dans l'artère aurifère de la mine littérature. Je me souviens avoir beaucoup lu en espagnol ou provenant de l'aire hispanophone essentiellement au premier semestre — Sergio Chejfec, Mario Levrero, Alberto Laiseca, Roberto Arlt, Reinaldo Arenas, Severo Sarduy et quelques autres espagnols, mexicains, argentins (le tout dernier Ricardo Piglia, tiens), cubains, uruguayiens ou chiliens (quelqu'un a déjà mis le nez dans Roberto Gac ? Mais quelqu'un a-t-il déjà mis le nez dans Roberto Gac, bon sang ??) — ; je me souviens avoir eu un virage italien dans les beaux jours d'été — notons Carlo Emilio Gadda et son sompteux Connaissance de la douleur, quelques courts essais de Giorgio Manganelli, Stefano d'Arrigo et son déroutant Femmes par magie. (A ce propos, ce serait bien que quelqu'un soit ENFIN foutu de traduire et d'éditer son Horcynus Orca, soit dit en passant...) — ; en août précisément, sous les oliviers, ça a été un nouveau plongeon dans Contre-Jour de Pynchon, l'un des plus grands livres du monde — ; et puis j'ai dû lire plein d'autres trucs géants (comme Krasznahorkai ou Volodine), c'est pas ce qui manque les trucs géants, dans toutes les langues, et même en français, tiens. Tout autour du monde, les géants. Pourtant...
Pourtant.
La seule vraie leçon de littérature que je retiens de l'année, la plus grande leçon, l'ultime et géante leçon (merci Vladimir Sorokine pour l'impulsion, merci, merci, merci) c'est ma lecture de notre grand papa à tous, le plus grand de tous les grands papas, //Lezama, le gros cubain au cigare qui m'a accompagné toute l'année et dont on a fêté le centenaire en 2010, citerait Nietzsche pour parler d'un retour aux origines pour trouver de nouvelles origines// j'ai nommé : François Rabelais.
François Rabelais, mes amis. Fran-çois-Ra-BEU-LAIS !!
Mémoire rebouchée et esgourdes débouchés. — AW L'autre 2010 du Fric-Frac Club par Le Fric-Frac Club

Bon, la décade est passé, on approche au choix de la fin du monde (2012) ou de Retour vers le Futur 2 (2015), mais on y revient quand même à ce bel an de grâce 2010, parce qu'on y a lu, malgré les parasitages, de belles choses, dont il aurait fallu parler, et miracle de la performation, ce sera chose faite dans quelques lignes.

On a fait du neuf avec du vieux. Homère était à l'honneur, non seulement en étant au programme du bac ( l'Odyssée, dans la très belle traduction de Philippe Jacottet à La Découverte) et comme Homère c'est mon auteur aveugle favori, j'ai resuivi Ulysse, et j'ai aussi lu (mais pas encore terminé, mais on va y arriver), la nouvelle traduction de l'Iliade par Philippe Brunet (au Seuil tout ça), qui fait sonner le texte comme jamais, même si on est loin d'être d'accord avec tous ses choix (et n'oubliez pas de lire l'introduction, brillante à défaut d'être entièrement convaincante ; quelques notions de prosodie sont cependant requises….). Signalons enfin l'étonnante (mais mille fois appréciée) sortie chez Jacqueline Chambon des Chants Perdus de l'Odyssée de Zachary Mason (et on remercie une fois de plus chaleureusement Bernard Hoepffner !), passionnantes variations sur le texte original.

On a aussi lu le premier volume des Mémoires de Churchill (Tallandier), on a débuté, ENFIN, Drieu la Rochelle, grâce à Rêveuse Bourgeoisie, sublime portrait et de la médiocrité de l'obsession pécuniaire, et on va lire très vite tout ce qui reste. On s'est aussi mis à Genet (Pompes Funèbres), parce qu'il devait y avoir un anniversaire quelconque.

Le reste j'ai oublié. (ou j'ai pas envie de répéter )

T

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