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Nouveau classement à Saint-Emilion (5)

Par Mauss

Le très beau film sur le Domaine de la Romanée-Conti que vient de passer France3 devrait déclencher quelques réflexions salutaires auprès des propriétaires de grands crus de Saint-Emilion.

On parle ici du point critique qui entre dans le nouveau processus de cette classification, ardemment souhaitée par une majorité de domaines : la dégustation des crus comme élément apportant 50 % de la note finale. 

Est-ce oui ou non une bonne idée ?

Dans mes billets précédents, j'écrivais mes doutes quant à l'opportunité d'une telle dégustation ayant un poids aussi important dans un classement qui a besoin de deux choses essentielles :

- une pérennité pas incompatible avec une "révision" décennale ou même bi-décennale

- une sérénité évitant des actions en justice qui, quoiqu'on en dise, apportent toujours un discrédit sur la chose.

PERENNITE

On va vite comprendre où je veux en venir en parlant de la Bourgogne. Dans cette région fascinante, la classification s'est faite sur des terroirs historiques précisemment identifiés, délimités et où, à quelques très rares exceptions près dont l'origine est plus politique qu'autre chose (ex de Meursault), chacun s'accorde à reconnaître que la hiérarchie entre "grand cru", "premier cru", "lieux-dits" et "village" a un sens réel.

On sait pertinemment que certains propriétaires actuels ne sont pas au niveau des terres qu'ils ont reçues ou acquises, ce qui n'empêche pas que cela ne suscite pas une remise en cause du terroir et de sa catégorie. Bref, ici, la terre passe avant l'homme.

Le classement bourguignon est donc, en ce sens, perenne.

Sans qu'il soit établi sur des bases identiques, le classement de 1855 a réussi à devenir perenne car là aussi, on sait que si certains crus changeaient de mains, ils prendraient une autre dimension leur permettant de justifier le rang initial.

Donc là où bien des amateurs aiment une pérennité des choses, on la trouve dans un terroir et non pas dans le passage d'un homme, d'une famille à la tête provisoire du dit terroir.

Comme d'habitude, cela peut se discuter en long et en large.

SERENITE

Valoriser un classement en se basant même sur des dégustations de 15 millésimes, avec tous les aléatoires de la dégustation explicités dans notre billet précédent, c'est introduire de fâcheuses discussions sans fin. 

Certes, Bordeaux n'a pas une tradition de "terroirs" comme la Bourgogne, loin de là, mais à Saint-Emilion, comme en médoc, il y a des terroirs bien identifiés. Si depuis le premier classement certains terroirs sont sortis des limbes, comme Tertre Roteboeuf ou La Mondotte,il serait effectivement logique de les intégrer dans la catégorie supérieure du classement, pour autant, naturellement, que les vins produits confirment cette reconnaissance.

CLASSEMENT

Quoiqu'on dise, les marchés aiment les classements, et plus ils sont historiques, plus ils ont de valeur auprès de ces marchés, même si cette liaison peut paraître stupide : c'est un fait. Corroboré par l'échec annoncé des "crus bourgeois" où il n'y a plus cette stimulation de pouvoir monter à un rang supérieur.

DEGUSTATION

Bien évidemment, dans le dossier de candidature, les notes de dégustation obtenues ici et là doivent entrer comme les autres éléments, à savoir les volumes produits, les prix de vente, la notoriété et tous les autres composants du dossier tels qu'ils sont décrits dans le dossier de candidature. Comme Saint-Emilion n'est pas encore touché par un phénomène "Lafite en Chine", grosso modo, la hiérarchie des prix reste le bon thermomètre de la valeur des crus.

MAIS SURTOUT

Il faut éviter une précipitation des choses qui, fatalement, va aboutir à des conflits inutiles dont le résultat sera évident : le nouveau classement risque, comme celui des "crus bourgeois" de perdre la force qu'il doit avoir.

Solution brutale qui, hélas, ne risque pas d'aboutir, bien qu'elle me paraisse de plus en plus évidente : revenir sagement au classement de 2006 en réintégrant les exclus et en confirmant les nouvelles promotions… et se donner alors là au moins dix ans, sinon plus, pour traquillement, travailler hors précipitation, vers un classement qui ne sera pas figé, tant il est vrai qu'à l'inverse de la Bourgogne, il y a encore ici en rive droite - comme en rive gauche - des domaines superbement travaillés par de nouveaux passionnés qui méritent d'être intégrés dans le gotha de l'appellation.

Le risque majeur à éviter : qu'il y ait une scission entre certains domaines qui ne soumettraient pas leur candidature alors même qu'ils font partie actuellement de ce qui se fait le mieux dans la région. Une telle scission initierait des rancoeurs tenaces qu'il va falloir impérativement éviter.

Tout cela est loin d'être facile, tant les nerfs sont à vif dans cette histoire. Et si jamais le politique s'en mêle, on n'est pas sorti de l'auberge !

Avouons clairement que les conseilleurs ne sont pas les payeurs et que bien des facteurs nous sont cachés dans cette perspective d'un nouveau classement dont un des intérêts majeurs est financier : celui de la valeur des terres. C'est dire que tout cela, c'est "chaud" !


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