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Dirty Dancing représente un hommage affectueux aux lieux de vacances juifs

Par Mickabenda @judaicine

Judaicine-Dirty-dancing-jpgLa ressortie en salle aujourd’hui de Dirty Dancing, nous permet de revenir sur ce film qui est considéré presque partout dans le monde seulement comme un film de danse romantique. Pourtant, Dirty Dancing (1987) a, pour les Juifs américains, une tout autre connotation…

Souvenons-nous de l’année 1987 : Ronald Reagan est le président des Etats-Unis, le mur de Berlin est encore debout, relativement stable, Kylie Minogue chante “The Locomotion” – et puis, il y a encore Dirty Dancing, l’histoire de la jeune fille de dix-sept ans, Frances “Baby” Houseman (Jennifer Grey) qui passe l’été de 1963 avec ses parents et sa sœur dans le lieu de vacances At Kellerman’s où son père travaille en tant que médecin et où elle fait la connaissance du professeur de danse Johnny Castle (Patrick Swayze) qui lui enseigne les rythmes de Dirty Dancing.

Dirty Dancing représente un hommage affectueux aux Catskills et ses lieux de vacances juifs. C’est pourquoi le film est une partie de la culture américaine-juive” explique Elizabeth Edelstein, directrice du service pédagogique du Museum of Jewish Heritage (Musée du patrimoine juif) à New York où l’on trouve naturellement une copie de Dirty Dancing dans sa filmothèque. Oui, aussi étrange que cela puisse paraître, Dirty Dancing fait partie de la culture américaine-juive.

Le scénario du film provient d’Eleanor Bergstein et est basé principalement sur sa propre enfance. Elle passait ses étés, comme beaucoup de familles juives de New York, dans les Catskills où son père était employé comme médecin dans des hôtels de luxe et où sa passion pour la danse est apparue, ce qui est le thème du film. Les parallèles par rapport au film sont évidentes.

Dirty Dancing est un hommage aux dernières années cinquante et aux premières années soixante et leur musique, une époque où les montagnes de Catskill étaient la région de villégiature pour des familles de New York du quartier étroit et surpeuplé de Lower East Side. On fuyait la grande ville monstrueuse de New York (Cité de New York) et se reposait dans la nature de l’état de New York (la région prospère de l’état de New York). Etant donné que la majorité prédominante des habitants de Lower East Side était originaire de l’Est de l’Europe, les Catskills ont rapidement reçu les surnoms de Jewish Alps (’les alpes juives’), Solomon County (car la région se trouve dans le “comté de Sullivan”) et Borscht-Belt (’la ceinture Bortsch’), comme hommage ironique à l’aliment est-européen de la soupe et au contraire de la Bible Belt chrétienne (’ceinture de la bible’) du Sud.

Dans le soi-disant Borscht-Belt se trouvaient non seulement des douzaines de synagogues, des centaines de paysans juifs mais, avant tout, également des lieux de villégiature juifs comme par exemple les légendaires Brown’s et Grossinger’s où les activités de distraction étaient écrites en lettres majuscules. Des stars tels que Mel Brooks, Jerry Lewis ou Jackie Mason s’y sont produits régulièrement.

Bien que les Catskills soient un phénomène des années quarante à soixante du vingtième siècle, l’histoire (juive) de la région commença déjà cent ans auparavant.

En raison des troubles des guerres napoléoniennes, au milieu du dix-neuvième siècle, des milliers d’immigrants allemands, parmi lesquels également beaucoup de Juifs allemands, sont venus en Amérique et se sont installés à New York. Longtemps avant qu’il n’existe un Little Italy ou Chinatown, ces immigrants ont créé un voisinage ethnique dans la métropole où le langage courant n’était pas l’anglais, mais l’allemand. Le East Village d’aujourd’hui était à l’époque appelé ‘Kleindeutschland’ (petite Allemagne).

Pour s’enfuir de la vie agitée de la grande ville, quelques-uns des immigrants allemands ont été attirés par le Nord de l’état de New York. Parmi eux, se trouvait également un groupe de douze Juifs allemands qui, en 1837, ont acheté en commun 484 hectares de terre au Nord de New York et ont appelé leur terre « Sholom » (’paix’).

La terre ne convenait pas pour l’agriculture et servait aux New Yorkais comme domaine de villégiature dans lequel ils ont construit une synagogue et un cimetière juif. Sholom, plus tard débaptisé en Sholam, était la première agglomération juive dans le Nord de l’état de New York.

Bien que beaucoup de Juifs aient réussi économiquement, ils n’étaient pas complètement acceptés socialement partout. Ainsi, l’adhésion dans l’Union Club par exemple, un Gentlemen Club exclusif leur restait interdit en raison de leur appartenance religieuse, si bien qu’en 1852 la société d’harmonie fut fondée, plus tard débaptisée en Harmony Club, un club de gentilshommes juifs, qui, de nos jours, se trouve en face du Metropolitan Club à New York dans le quartier exclusif de Upper East Side.

La plus grande controverse antisémite s’est produite en 1877. L’accès au Grand Union Hotel à Sarasota Springs dans le Nord de l’état de New York fut interdit au banquier juif-allemand influent, Joseph Seligman. Bien que Seligman ait passé l’été précédent dans cet hôtel avec sa famille, sous la direction du nouveau manager, Judge Henry Hilton, on ne permit plus désormais à ‘l’Hébreu’ de passer la nuit dans l’hôtel.

Bien que ce ne fut pas l’unique cas antisémite de cette sorte, l’antisémitisme de Hilton fit les gros titres au niveau national puisque Seligman était un ami proche du président Ulysse Grant.

Malgré la condamnation générale de cet incident, l’antisémitisme de Hillton devint de plus en plus la règle. Le notoire Austen Corbin, président de la Manhattan Beach Corporation, interdisait en 1879 aux Juifs l’accès à son hôtel exclusif, le Coney Island Hotel, et ailleurs également, on adoptait ouvertement la même attitude de déclarer la clientèle juive comme non désirée.

Comme précédemment pour l’Union Club, la communauté juive, en réaction à de cet antisémitisme ouvert, créa alors ses propres hébergements. Charles Fleischmann, un Juif hongrois de Cincinnati, acquit des terres en 1883 au Nord de New York où il construisait pour sa famille et ses amis des villas de luxe. Bien qu’il ne reste plus rien de ces villas, cette région dans les Catskills porte encore aujourd’hui son nom : Fleischmanns.

L’achat de terres par Fleischmann s’est produit au début de l’immigration de masses des Juifs orthodoxes qui s’enfuyaient devant les pogroms en Europe de l’Est. Plus d’un million de Juifs sont venus à New York et se sont installés principalement à New York dans le quartier de Lower East Side. L’immigration de ‘Juifs de l’Est’ était regardée avec méfiance de la part de beaucoup de Juifs allemands libéraux. On était inquiet que l’antisémitisme déjà existant pourrait s’enflammer davantage face à ces Juifs d’aspect étrange. Dans le but de faire de ces Juifs de l’Est des ‘vrais’ Américains plus rapidement, on fondait l’Educational Alliance (alliance éducative), une organisation qui devait faciliter l’intégration des nouveaux immigrants en Amérique, entre autre, par des cours de langue.

Jacob Schiff, un homme d’affaires né à Francfort, dont la famille possédait, entre autre, le grand magasin Macy’s est allé encore plus loin en proposant que les immigrants qui parlaient le yiddish ne s’installent pas à New York, mais au Texas. Mais, son plan ne rencontra pas de succès.

Le baron de Hirsch Fund, fonda en 1900 la Jewish Agricultural Society (la société agricole juive), qui voulait amener les immigrants hors du quartier étroit et surpeuplé de Lower East Side vers la campagne. Comme beaucoup des immigrants avaient vécu auparavant dans des Schtetls polonais, la vie à la campagne ne leur était pas étrangère et la Jewish Agricultural Society aida de nombreux Juifs est-européens à s’établir comme fermiers dans la région des Catskills.

La paysannerie juive créait bientôt rapidement des chambres d’amis irréprochables qui pouvaient être utilisées pendant l’été par des invités de Lower East Side. Ce qui commençait comme un revenu supplémentaire, devenait rapidement une affaire lucrative. Même la crise économique de 1929 ne mit pas fin à ce boum. En réaction, il s’ensuivit que la pension complète irréprochable est simplement devenue une location de chambres avec une cuisine commune, un concept pour lequel on introduisait un terme yiddish : Kochalajn (’koche selber’ : cuisine toi-même).

Dans les années quarante, sont alors apparues les premières grandes entreprises hôtelières dans les Catskills qui, entre-temps, étaient considérés comme une région juive. Cependant, le phénomène des Catskills juifs s’est terminé au milieu des années soixante. A la fin du film de Dirty Dancing, quand Baby Houseman danse avec Johnny Castle, le propriétaire de l’hôtel, Kellerman, philosophait sur le fait qu’il avait le sentiment de se trouver face à la fin d’une ère.

La fin de cette ère avait un rapport avec la montée économique des Américains juifs. La jeune génération, née en Amérique, se définissait, au contraire de la génération immigrante, en premier lieu comme américaine et aspirait à des endroits plus exotiques que le Borscht Belt (la ceinture Bortsch).

Le dernier grand événement des Catskills était en 1969 le festival de musique Woodstock, qui, ironiquement, n’avait pas lieu dans la ville de Woodstock, car on avait refusé la licence aux organisateurs à la dernière minute, mais chez le paysan juif Max Yasgur, à proximité de la localité de Bethel. On avait gardé le nom de Woodstock uniquement parce que les affiches publicitaires étaient déjà imprimées.

« Dirty Dancing procure le sentiment temporel de toute une génération » déclare Elizabeth Edelstein du Museum of Jewish Heritage (musée de l’héritage juif). “Même si on n’a pas vécu à cette époque, à travers le film, on peut connaître un aspect important de la culture américaine-juive.” Après que les Catskills étaient tombés dans l’oubli pendant longtemps, la région vit maintenant une petite renaissance. Des livres, tels que celui de Irwin Reichman « Borscht Belt Bungalows » (les bungalows de la ceinture Bortsch) ou celui de Oscar Israelowitz « Welcome Back to the Catskills » (Bienvenu, de retour aux Catskills) manifestent et illustrent le passé juif de la région.

Cependant, les Catskills juifs ne représentent pas seulement le passé. “Beaucoup de familles orthodoxes passent ici leurs étés” déclare Israelowitz. Maintenant, de vieilles synagogues sont utilisées par des hassidim de Brooklyn, d’anciennes résidences d’été font fonction de camps de vacances orthodoxes.

“Parmi les douzaines de synagogues des Catskills, seules les maisons de dieu de Ellenville, Woodridge, Liberty et Monticello sont utilisées toute l’année,” explique Israelowitz qui effectue des visites guidées en été à travers les Catskills juifs. (Renseignements à www.israelowitzpublishing.com)

Même si l’éclat des années d’après-guerre a pâli entre-temps, les Catskills sont seulement éloignées de deux heures de voiture de la ville de New York et restent toujours un but et un lieu d’excursion de week-end populaire pour les New Yorkais et de plus en plus de gens parmi eux s’intéressent à l’héritage culturel de la région et cela pas uniquement grâce à Dirty Dancing.


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