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Les templiers sont parmi nous I

Par Hiram33

templiers

Les templiers sont parmi nous (Gérard de Sede)

1ère partie : le vieil homme et la terre

De Sede révèle que si, après dix ans de journalisme, il n’avait pas décidé de consacrer quelques années à l’agriculture, il n’aurait jamais été mis sur la trace du trésor des Templiers. En 1959, il élevait des porcs quand un valet de ferme se présenta pour offrir ses services.

Un exorciste dans l’étable

Le valet de ferme était Roger Lhomoy. Il avait 51 ans mais en portait bien 60. Roger prit donc place le jour même à la table commune : pendant un an, matin et soir, il allait en être le barde. Avant d’être valet de ferme, Roger avait été ecclésiastique. Mais il n’avait fait que des études primaires et avait peu d’instruction. C’est à l’époque où il entend vouer sa vie à dieu que Roger Lhomoy s’ancre dans l’idée qui va bouleverser de fond en comble le cours de sa vie : sous le château médiéval qui couronne Gisors, sa ville natale, est enfermé un trésor fabuleux, c’est lui seul qui le découvrira. Idée folle. Seul en effet le folklore a paré ce château de prestiges. Une légende rapporte qu’un jour la Reine Blanche, assiégée dans Gisors, rompit le cercle de ses assaillant et se réfugia dans le château voisin de Neaufles. Quand on y entra, la reine avait mystérieusement disparu. Plus mystérieusement, elle resurgit à Gisors sur les arrières de ses ennemis qu’elle met en fuite : c’est qu’il y avait un souterrain reliant les châteaux de Neaufles et de Gisors. La légende ajoute que ce souterrain renferme un trésor protégé par des grilles qui ne s’ouvrent que la veille de Noël.

A 25 ans, Lhomoy quitte le sacerdoce pour se consacrer à la recherche du trésor. Lhomoy se marie et a deux enfants. En même temps, diplomate avisé, il multiplie patiemment les démarches pour obtenir le seul emploi qui puisse l’introduire dans la place en toute légalité et presque en maître. En 1929, la municipalité de Gisors engage Roger Lhomoy comme gardien, guide et jardinier du château dont la ville est propriétaire.

Un jardinier bien tranquille

Lhomoy a un traitement de petit fonctionnaire complété par les pourboires des touristes. Il est installé avec sa famille dans une vieille tour ronde du château. Roger va mener une vie tranquille pendant 17 ans sans jamais faire parler de lui. C’est seulement en 1944 que Lhomoy commence sa grande bataille contre la terre. Au début de la guerre, l’accès du château fut interdit au public. Cette circonstance favorise les projets de Lhomoy. Nuit après nuit, pendant trois ans, muni seulement d’une pelle, d’une pioche, d’une baladeuse électrique, d’un treuil assez vieux et d’un panier d’osier qui lui sert à évacuer terre et gravats, il se rend au donjon et creuse, clandestinement. Il débouche un puits. Tout en bas, des pierres du puits sont descellées et font apparaître une excavation latérale. Roger se faufile dans cette niche insolite. Mais elle s’éboule sur lui. Il a une jambe brisée. Il remonte les dents serrées, agrippé à sa corde à noeuds. A peine rétabli, il se remet à la tâche. Sans quitter l’enceinte du donjon, c’est à 15 mètres de la margelle qu’il entreprend maintenant de creuser. En juin 1944, il est à 16 mètres sous terre. Le départ des Allemands l’incite à se départir d’un peu de son mutisme. Il met dans sa confidence un ami d’enfance, M. Lesenne, qui lui succèdera plus tard comme gardien du château. Son ami lui prête main forte. Lhomoy trouve accès à une petite salle souterraine. Mais elle est vide et ne mène nulle part. Il la montre à son ami et la rebouche. Il creuse une sape horizontale qui se dirige vers le puits.

La crypte fabuleuse

Lhomoy a un plan fort raisonnablement établi. D’abord, il n’omet jamais d’effacer les traces qui révèleraient prématurément son travail. Aussi prend-il grand soin, à la fin de chaque séance, de camoufler l’orifice du gouffre au fond duquel il vient de passer la nuit. Il s’applique aussi à éparpiller d’un bout à l’autre du terre-plein du donjon la terre qu’il a extraite à la pioche. Il en a extrait déjà 50 tonnes. Il ne s’est pas laissé obnubiler par la nécessité du secret jusqu’à négliger le point de vue juridique. Il a sollicité et obtenu de l’administration compétente, le secrétariat d’Etat aux Beaux-Arts, l’autorisation écrite de faire des fouilles dans l’enceinte d’un château classé monument historique. Il a également obtenu l’autorisation du maire. Mais il n’a pas parlé du trésor juste de fouilles archéologiques. En mars 1946, Roger s’aperçoit que la sape qu’il a creusée ne mène à rien. Alors il continue de creuser à mains nues. Il atteint un mur. Il enlève deux pierres. Il découvre une grande salle. c’est une chapelle romane en pierre de Louveciennes, longue de trente mètres, large de neuf, haute de 4 m 50. Il voit un autel et un tabernacle, les statues du christ et des sarcophages de deux mètres de long. Il y en a 19. Il y a aussi trente coffres.

Malheur aux vainqueurs !

Roger se plait à rêver de son avenir et de celui de ses enfants. Il sait que l’inventeur d’un trésor situé sur le terrain d’autrui ne peut en revendiquer sa part que s’il l’a découvert par pur hasard. Il juge fermement établi son droit légal au tiers du butin. Il rend compte à la mairie de sa trouvaille. Un officiel déclare que son tunnel est l’oeuvre d’un fou alors Lhomoy se répand dans Gisors et raconte son aventure. Les Normands ne le croient pas et se moquent de lui en évoquant le personnage légendaire de Blaiseau l’Ardent pour savoir si Roger l’aurait rencontré. Mais Marcel, le frère de Roger accepte d’aller dans le tunnel mais il doit renoncer car les risques d’éboulement son trop grands. Emile Beyne, un officier du génie essaye aussi. Lui aussi ne peut arriver jusqu’à la salle. Tout Gisors discute du pour et du contre de l’affaire. Mais la mairie a changé de maire et les fouilles de Roger provoquent sa révocation. Sa femme le quitte. Des prisonniers allemands rebouchent le trou.

Deux mécènes et une taupe

Lhomoy demande une nouvelle autorisation de fouiller à la ville. Il reçoit un refus violent. Alors Roger quitte sa ville natale humilié. Il occupe cent métiers pour survivre. Il trouve deux mécènes : un hôtelier et un riche industriel de Versailles. Le crédit que ceux-ci lui font se traduit en 1952 par la formation d’une société de recherches. Roger y figure en tant qu’inventeur, l’hôtelier sera conseiller technique, l’industriel entrepreneur chargé des travaux. On constitue des dossiers de demande, on les étaye de documents. Le Beaux-Arts envoient sans tarder une nouvelle autorisation. La ville de Gisors en fait autant mais exige une assurance et un million de francs de caution. Elle veut obtenir les quatre cinquièmes de tout ce qu’on pourra trouver. Les mécènes renoncent. Lhomoy indiqua à de Sède une adresse. De Sède s’y rendit et on lui montra une lettre de Lhomoy dans laquelle celui-ci reconnaissait avoir inventé l’existence de la chapelle dans l’intention de faire des dupes. Mais ces aveux auraient été extorqués à Roger qui aurait été roué de coups. Après son échec, Lhomoy finit par se rapprocher de Gisors de ferme en ferme. Il envisaga de creuser un nouveau tunnel de flanc. Il retourna secrètement au donjon.

Une « Ariane », un labyrinthe... et un coup de fil.

Gérad de Sède se rendit à Gisors avec Pierre Branche et Daniel Lefebvre. C’était en juin 1960. Ils visitèrent les galeries creusées par Lhomoy. Un hebdomadaire à fort tirage publia un reportage sur l’affaire. C’est de Sède qui l’avait écrit. Un homme appela de Sède et demanda à le voir pour parler de l’affaire. Cet homme possédait un plan qui ressemblait à celui de la chapelle découverte par Lhomoy. Le plan de l’homme était en rapport avec les secrets des Templiers. Il était archéologue et travaillait avec l’aide du gouvernement suisse. De Sède fit des recherches sur Gisors dans les bibliothèques mais découvrit que la plupart des documents concernant Gisors avaient systématiquement disparu.

2è partie : la double vie des Templiers

De Sède évoque le Carreau du Temple qui est devenu le quartier général des fripiers. Au XII è siècle, cet endroit était pourtant une capitale dans la capitale. Le roi de France Philippe-auguste venait d’en faire don à l’ordre religieux et militaire le plus puissant d’Europe et de la Terre sainte : celui des Templiers. L’imposante forteresse qu’ils y firent aussitôt bâtir était le centre nerveux de l’Ordre tout entier. Tel était le Temple de Paris, dont il ne nous reste plus rien qu’une vieille estampe, le souvenir de notre Révolution qui y emprisonna le dernier des rois, et le nom d’une rue de ce quartier qui rappelle la tenue des Templiers : la rue des Blancs-Manteaux.

Il est très étrange qu’une question historique vieille de plus de six cents ans défie si ouvertement la loi du temps, qu’elle suscite encore les passions qui animèrent les contemporains. En même temps que Wolfrom d’Eschenbach, dans « Parsifal », faisait des chevaliers du Temple les chastes gardiens du Saint-Graal, ses compatriotes allemands surnommaient maisons de templiers les lieux de débauche. L’Ordre des Templiers a deux faces et l’une cache l’autre : c’est tour à tour qu’il faut les évoquer pour découvrir ce qui les unit. Alors, ce destin semble scellé du sceau même des Grands Maîtres de l’ordre : deux Templiers l’un derrière l’autre montant le même cheval.

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Neuf chevaliers gardaient un champ

Un champ cultivé par deux frères situé au sommet du mont Moriah est, selon la légende, l’endroit qu’a choisi le maître-architecte Hiram, venu du Liban, pour y construire à la demande du roi Salomon le temple de Jérusalem. En 1099, quand les premiers croisés arrivent en Palestine pour délivrer le Saint-Sépulcre, il ne reste plus rien de ce temple, qu’un fragment du Mur des Lamentations et un superbe carrelage : le Pavé. Le mont Moriah échoit à des chevaliers français. En 1118, pour en assurer la garde, ils se groupent à neuf. Leur chef était Hugues de Payen et son lieutenant Bisol de Saint-Omer. Les autres étaient Hugues 1er, comte de Champagne, André de Montbard, Archambaud de Saint-Aignan, Nivar de Montdidier, Gandemar et Rossal. Les Templiers étaient nés. Ce sont alors les « pauvres chevaliers du christ ». Une expédition militaire parée d’une idéologie religieuse ne devait pas tarder à faire naître une ambiance hybride : assez vite, la joyeuse vie de garnison se heurte et se mêle à la fois à la pieuse méditation. Hugues de Payen eut une idée étonnante et nouvelle : ses chevaliers seraient à la fois soldats et moines. Saint Jean était leur patron. c’était d’ailleurs de son 67è successeur, le patriarche Théoclète, que Payen tenait ses pouvoirs ; quand on eut dévolu à ses compagnons le quartier du Temple de Salomon, ils l’appelèrent Logement de Saint Jean. Dix ans plus tard, les chevaliers du Temple sont trois cents. Ils commandent à 3 000 hommes. Le moment est venu pour eux d’obtenir la reconnaissance officielle de l’Eglise catholique. Saint Bernard, l’inventeur des moines architectes, s’est épris des moines soldats et écrit à leur demande une brochure de propagande dans laquelle il oppose au luxe décadent des autres chevaliers la simplicité de leurs moeurs. Mais les Templiers avaient fondé un office des changes pour les pèlerins et avaient fait bâtir sous le Temple de Salomon des écuries souterraines pour 2000 chevaux qui stupéfiaient les visiteurs. En 1128, le concile de Troyes donna aux Templiers leurs statuts officiels. Ces statuts comportaient le triple voeu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Pourtant, en moines, les Templiers s’interdisaient la chasse, mais en grands seigneurs décidés à vivre noblement, ils se réservaient celle de l’once ; religieux, ils devaient se garder de toute gourmandise, mais, soldats, « l’abstinence immodérée » leur était défendue. Mais surtout, sa charte assurait à l’Ordre du Temple un ensemble exceptionnel de privilèges. Exempt de taxes et d’impôts, il pouvait en revanche en percevoir. Il ne devait de comptes ni à la justice laïque ni à la justice ecclésiastique, étant, avec le pape, seul juge dans ses propres causes. Il exerçait sur ses domaines tous les droits de justice féodale. Ses secrets étaient d’autant mieux gardés qu’il recrutait dans son propre sein ses chapelains et ses confesseurs. Enfin, l’élection du Grand Maître n’était soumise à l’approbation de personne, si bien que sa dépendance envers le Saint-Siège existait surtout sur le papier. Pour porter le blanc manteau timbré de la croix pattée de gueules, il fallait faire ses preuves de noblesse, et tous ceux qui n’étaient pas nés chevaliers n’avaient droit qu’à la tenue noire ou brune des frères serviteurs qui, dix fois plus nombreux, composaient le gros de la troupe.

L’épée et l’échiquier

En moins d’un siècle, les Templiers vont accumuler une puissance qui s’étend sur deux continents, qu’aucun ordre religieux après eux n’a jamais atteinte et que les organisateurs internationales d’aujourd’hui elles-mêmes pourraient à bon droit leur envier. Cette puissance, qui fera leur perte, naît en Asie, puis se propage en Europe. Les Templiers préfèreront vite comme méthodes d’action la diplomatie et les affaires. Les Templiers se trouvèrent face à face avec une civilisation nettement plus avancée que la leur. C’était l’Islam à son apogée de puissance et de culture. Ce haut degré de civilisation de l’Islam explique à la fois pourquoi les croisades se soldèrent en fin de compte par un échec sur le plan militaire et par un succès sur celui des échanges de tous ordres entre deux mondes qui n’avaient auparavant communiqué que par l’Espagne. L’implantation des Templiers suit la conquête. Le royaume chrétien de Jérusalem vient d’être fondé. Ils créent le corps des Turcopoles dont les hommes et même les officiers subalternes sont sarrasins. Plusieurs Grands Maîtres choisissent des Musulmans pour secrétaires ; parfois même ils arment chevaliers des nobles du camp adverse. Sur le plan militaire, en vieux blédards qu’ils sont maintenant et qui connaissent bien le terrain et l’adversaire, les Templiers s’emploient souvent à décourager les plans d’offensive inconsidérés des nouveaux venus parmi les croisés. Tout cela engendre maints conflits dans les rangs européens ; la rivalité entre Templiers et Hospitaliers, notamment, s’exaspère, tourne parfois à des batailles rangées où chevaliers des deux clans s’entretuent. En 1153, devant Ascalon, les Templiers se battent contre les Turcs et contre les autres croisés pour s’assurer l’exclusivité du butin. Sur le plan diplomatique enfin, l’ordre ne laisse échapper aucune occasion de traiter avec l’adversaire. Dès l’année de leur fondation, les Templiers s’entremettent pour négocier l’échange de Tyr contre Damas entre le roi chrétien de Jérusalem et les musulmans ismaéliens.

La brisure

Les années 1178-1188 marquent un tournant décisif dans l’histoire des croisades. Le roi de Jérusalem Baudouin IV, devenu lépreux, doit abdiquer. Baudouin V lui succède mais c’est un enfant chétif et il meurt. Guy de Lusignan monte sur le trône. Le Grand Maître est Gérad de Ridford et à travers lui, les Templiers ont maintenant la haute main sur tout le royaume chrétien de Jérusalem. Mais Saladin reprend l’offensive. Une première bataille a lieu au Mont Thabor. Les Hospitaliers y perdent leur Grand-Maître Roger des Moulins ; chez les Templiers, seul Gérad de Ridford, avec deux chevaliers en réchappe. Le second combat a lieu à Hattin, c’est un nouveau désastre. Lusignan et Ridford sont prisonniers. Saladin se montre grand seigneur envers le commun des captifs. Amis aux Templiers et aux Hospitaliers, il ne laisse qu’une alternative : abjurer, ou périr. Aucun ne renie la croix. Tous furent décapités. Seul fut épargné Gérard de Ridford.

En 1187, Saladin fait son entrée à Jérusalem, décapitant le royaume chrétien. L’Occident s’interroge sur le parti à prendre face à l’Islam : guerre d’outrance ou compromis ? Philippe Auguste et l’empereur d’Allemagne Frédéric Barberousse ont dans l’esprit une reconquête. Le roi d’Angleterre Henri II Plantagenet et son fils Richard Coeur de Lion au contraire méditent de partager avec Saladin un condominium sur la Terre Sainte. Raymond V, comte de Toulouse soutient le projet de condominium car le roi de France vient de déclencher contre son pays une guerre contre les Albigeois. L’ordre du Temple s’éloigne de la France et de l’Allemagne et se rapproche de l’Angleterre et du Midi. Richard Coeur de Lion leur cède Chypre. Le troubadour Robert de Sablé est élu Grand-Maître, inaugurant la longue liste des occitans qui vont se succéder à la tête de l’Ordre : Gilbert Errail, Pierre de Montaigu, Armand de Périgord, Guillaume de Sonnac. Les Templiers minent leur position avec la France. Avant même d’être la cible de Philippe le Bel, ils vont entrer en conflit avec Saint Louis ; contre eux les rois de France vont jouer les Hospitaliers et les empereurs d’Allemagne les chevaliers teutoniques.

En 1229, l’empereur Frédéric II chasse les Templiers de Sicile et confisque tout ce qu’ils y possédaient.

La VII croisade est un échec. Louis IX, son promoteur, est prisonnier de l’ancien esclave Mongol Beybars. Louis IX tient rigueur aux Templiers des fruits de sa propre témérité, les accusant de défaitisme. En 1291, c’est le désastre de Saint Jean d’Acre qui arrache définitivement aux Occidentaux ce qui leur restait de leurs conquêtes ; les Templiers protègent vaillamment le rembarquement, établissent un relais à Chypre et se replient vers l’Europe. Les Templiers ont accru leur puissance en Europe. Ils ont des commanderies dans 17 Etats. En Espagne, leur emprise est telle que le roi Alphonse 1er d’Aragon leur confie par testament les rênes de son royaume. Mais le projet d’Alphonse n’aura pas de suite. Les Templiers ont établi leur siège central au Temple de Paris.

La corne d’abondance

Le Temple de Paris avait d’abord été un modeste enclos jouxtant l’église Saint-Gervais et Saint Protais, près de l’Hôtel de ville, et que le roi Louis VI, sur la demande de Saint Bernard lui-même, avait attribué en 1137 à deux des neuf fondateurs de l’Ordre, André de Montbard et Gondemar. Ces derniers y avaient fait construire une chapelle ronde, dont le plan reproduisait à très petite échelle celui du Saint-Sépulcre. Mais les Templiers s’y étaient assez vite sentis à l’étroit et avaient bientôt fait élever plus au nord de la ville la redoutable forteresse que nous connaissons. En 1247, leurs propriétés, enjambant la Seine, couvraient déjà un tiers de Paris, de la Sorbonne à ce qui est aujourd’hui la place de la République. L’Ordre possède dix mille châteaux disséminés dans toute l’Europe, et la valeur de ses biens meubles a pu être estimée à 112 milliards de francs actuels. Dès sa fondation, l’Ordre du Temple avait bénéficié de nombreux dons. En 1122, Philippe Auguste lui avait fait présent de 2000 marcs d’or qui furent suivis trois ans plus tard par 50 000 autres. A la mort de ses membres c’est L’ordre qui héritait. Exempt d’impôts, la fortune de l’Ordre s’arrondissait rapidement. Les rois d’Angleterre, Jean Sans Terre puis Henri III lui confièrent la garde de leurs revenus personnels. En France, de Philippe Auguste à Philippe Le Bel, les souverains allèrent jusqu’à leur déléguer l’administration du trésor public. Rois et papes leur empruntent de l’argent. Leur richesse suscitent la jalousie. On croyait que les Templiers pratiquaient l’alchimie et avaient trouvé la pierre philosophale. Les Templiers étaient banquiers ; ouverture de comptes courants, constitutions de rentes et de pensions, avances, cautions, consignations, prêts sur gage, encaissements, gérance des dépôts des particuliers, transferts internationaux de fonds, opérations de charge, rien ne manquait. Une lettre de change tirée d’une Commanderie de l’Ordre sur une autre permettait aux riches marchands de se déplacer sans coffres et sans escorte au point d’arrivée. Les Templiers avaient inventé les frais d’agio et de courtage et ainsi leurs capitaux faisaient des petits. La construction de l’Ordre est, en plein Moyen Age, du plus pur style Renaissance. Moines-soldats, ils ont été jésuites avant Saint Ignace; croisés navigateurs avant Colom, conquistadors avant Cortez, négociateurs avant les Doges, artisans de la paix religieuse avant Henri IV; financiers, banqueirs avant les Médicis.

La chute

Philippe le Bel s’est assis sur le trône de France en 1295. Il veut assembler le pays et bâtir l’Etat. Quand il entre en conflit avec le roi d’Angleterre Edouard 1er, il ne daigne même pas lui déclarer la guerre comme un souverain : il l’assigne comme vassal rebelle. Quand le pape Boniface VIII propose sa médiation, Philippe exige que ce soit en simple particulier, sous son nom de baptême : Benoît Cajetan. Le roi de fer puise l’essentiel de sa vigueur dans la bourgeoisie urbaine. Pendant vingt ans, Philippe et le Temple n’eurent que de bons rapports. L’ordre défend le royaume contre le pape. Le nouveau Grand-Maître, Jacques de Molay, était parrain du fils du roi. La richesse de l’Ordre du Temple faisait des jaloux depuis très longtemps. Les Hospitaliers intriguaient sans relâche auprès des papes pour obtenir la fusion des deux ordres. Pierre Du Bois, conseiller de Philippe, corsa ce plan en voulant fusionner Templiers et Hospitaliers pour les renvoyer en Orient, tandis que les divers Etats s’empareraient de leurs biens. Philippe le Bel est débiteur des Templiers. En 1297, il s’est fait avancer par eux 2 500 livres et un an plus tard, il leur emprunte 250 000 florins. En 1300, nouvel emprunt de 500 000 francs pour constituer la dot de sa soeur. En 1306, la flambée des prix consécutive à une dévaluation de 65% a provoqué une émeute populaire et le roi a dû se réfugier au Temple de Paris. Le roi avait voulu solliciter son entrée dans l’Ordre à titre honoraire, dans l’espoir de le noyauter, et s’était heurté à un refus. Philippe ne pouvait plus tolérer un ordre exempt d’impôts et exerçant sa propre justice. Un ordre disposant d’une armée de 30 000 hommes et dont les Grands Maîtres prétendaient, comme lui-même, n’exercer leur office que « par la grâce de dieu ».

Bertrand de Got devient Clément V. Il est issu de la vieille et haute maison de Lomagne qui a déjà donné à l’Eglise plusieurs hérétiques et quelques cardinaux, et qui, fidèle à la vieille tradition de sa province, est plus riche d’aieux et de progéniture que d’écus. Brillamment doué, il a fréquenté les universités. Epris d’architecture, il fera bâtir Saint-Bertrand de Comminges. Il fondera des chaires d’Hébreux, de Syrien et d’Arabe dans plusieurs universités. Lecteur passionné d’Albert le Grand, il protègera et s’attachera le fameux médecin et alchimiste Arnaud de Villeneuve. Evêque à 32 ans, cardinal à 36, il faut à ce personnage stendhalien, puisqu’il ose vouloir être pape à 40, faire sa paix avec le roi de France. Philippe aide Bertrand à devenir pape mais il lui impose unprogramme en six points, les cinq premiers tranchent rétroactivement en faveur du roi de France tous les litiges qui l’avaient opposé à Boniface; quant au 6è, c’est un chèque en blanc : Philippe se réserve d’enf aire connaître la teneur en temps voulu : des historiens diront plus tard que c’était la liquidation des Templiers.

Des neuf cardinaux français qu’il avait promis au roi, le pape en choisit quatre dans sa famille pour ne pas être à la merci de Philippe. Le roi prépare méthodiquement son offensive contre l’Ordre du Temple. On réunit d’abord des rapports de police. On trouve des délateurs puis on introduit des espions dans l’Ordre. Il se trouve un Templier de grande famille pour glisser directement à l’oreille du pape que l’Ordre entier s’est fait apostat. Mais Clément V repousse ces accusations. Avec l’accord préalable du Grand Maître Molay, il ordonne une enquête sur l’Ordre du Temple dans l’idée de le disculper des rumeurs. Le vendredi 13 octobre 1307, une descente de police admirablement synchronisée assure l’arrestation de tous les Templiers du royaume.

Le procès

Dès le 14 septembre, le roi avait envoyé à tous ses gouverneurs et sénéchaux une lettre circulaire, à n’ouvrir qu’au dernier moment, et qui indiquait le minutage de l’opération. Le garde des sceaux Gilles Aiscelin avait refusé en conscience de signer cette décision, illégale puisqu’elle violait la souveraineté juridique du Temple, il avait été révoqué et remplacé par Nogaret. Pour sauvegarder un semblant de formes vis-à-vis de l’Eglise, la force publique était censée agir à la demande du grand inquisiteur de Paris. Mais outre que ce personnage, Guillaume Humbert, était une créature du roi, il n’avait lancé son mandat d’arrêt que plusieurs semaines après Philippe. Le maquillage était donc flagrant. Le 14 octobre, Philippe Le Bel commence à mobiliser toutes les couches de l’opinion. En même temps que Nogaret tient une réunion d’information à Notre-Dame à l’usage des corps constitués, un meeting populaire, convoqué à sons de trompes, est organisé dans les jardins du Palais royal. Des dominicains, puis des gens du roi prennent la parole pour dénoncer les crimes abominables des Templiers qui n’ont même pas encore été interrogés. Pour achever de convaincre l’opinion, des libelles sont répandus dans tout le pays par messagers. Juridiquement, seul le pape pouvait donner l’ordre d’arrêter les Templiers, et lui seul peut les condamner. Si donc, au fait accompli de l’arrestation on en ajoute un second en obtenant des aveux d’hérésie, Clément V y regardera à deux fois avant de désavouer l’Inquisiteur de Paris et de défendre des hommes qui auront reconnu leurs crimes, d’autre part si le Temple est hérétique, ses biens cessent d’être considérés comme religieux et ne reviennent donc pas au pape mais au roi. On reproche aux Templiers : l’initiation secrète accompagnée d’insultes à la croix, de renier le christ, de commettre des baisers infâmes, l’omission des paroles de la consécration lors de la messe, l’adoration d’une idole considérée comme image du vrai dieu, du seul auquel il fallait croire, l’autorisation, voire la recommandation de pratiquer le « crime contre nature », c’est-à-dire l’homosexualité. Ce sont les accusations d’homosexualité que les Templiers repoussèrent le plus farouchement et non l’Apostasie. Seuls deux Templiers reconnurent ce péché : Guillaume de Varnage et Raoul de Tavernay. Jacques de Molay a reconnu publiquement, devant maîtres et écoliers de la Sorbonne que lors de sa réception dans l’Ordre, on lui a fait renier le christ et cracher sur la croix. D’autres dignitaires tiennent le même langage sans manifester de repentir.

Clément V écrivit le 27 octobre au roi pour manifester son mécontentement. Edouard II, roi d’Angleterre protesta à son tour. Clément V cassa les pouvoirs de l’Inquisiteur et demanda communication du dossier. Fin novembre 1307, le pape ordonna l’arrestation des Templiers dans toute l’Europe. Mais cet ordre ne fut pas suivi en Angleterre et au Portugal. Jacques de Molay et ses compagnons revinrent sur leurs aveux. Les Templiers restèrent prisonniers en France et Philippe répandit des libelles contre le pape. Le roi réunit à Tours les Etats Généraux en mai 1308. Le Tiers Etat réclama pour le Temple le châtiment le plus exemplaire. Clément V résista. Il alla entendre lui-même 72 Templiers et faire entendre les dignitaires du Temple par des cardinaux qu’il avait dépêchés. Après quoi Clément V ouvrit un concile à Vienne le 10 octobre 1311. Par la bulle Vox clamentis, le pape abolit l’Ordre du Temple. Mais il esquiva le débat sur l’apostasie des Templiers. Il voulait éviter la révélation publique de certains secrets de l’Ordre du Temple qu’il avait appris à Poitiers. Il lui échappa la condamnation pour hérésie.

Le 18 mars 1314, un bûcher fut dressé à Paris. Jacques de Molay et d’autres dignitaires du Temple furent brûlés. Jacques de Molay prédit malheur au pape et au roi. Le pape mourut, le 20 avril 1814. Dans la même année, Philippe le Bel achevait ses jours à Fontainebleau.

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L’ombre d’un doute

De Sede pense que l’accusation d’apostasie et les aveux des Templiers n’ont été que le fruit de la torture. Il ne croit pas que les Templiers crachaient sur la croix. Chacun sait que l’affaire des Templiers fut, au XVIIIè et XIXè siècles, une des armes de combat les plus efficaces d’un anticléricalisme alors très menaçant pour l’Eglise catholique ; si le Temple avait été coupable, le Vatican aurait eu beau jeu de riposter en exhumant de ses archives les preuves de cette culpabilité ; or, il n’en a rien fait. Le grand-maître Molay, lui-même, lors de sa première rétractation, expliqua ses aveux précédents non par les tourments endurés, mais seulement par la peur qu’il en avait eue. Les tortures n’expliquent donc que partiellement les aveux dont les Templiers furent si prodigues. En Angleterre, les Templiers ne furent pas inquiétés. Ils comparurent libres devant les commissions pontificales. Les erreurs furent donc, bien entendu, moins nombreux, mais il se trouve pourtant un certain nombre de chevaliers pour reconnaître la réalité de la réception sacrilège. Gérard de Sede se demande donc si l’acte d’accusation ne reposait sur rien.

Géologie des dieux

De toutes les religions d’Orient, celle de l’Egypte était de beaucoup la plus antique, et toutes avaient, dans leur enfance, prêté une oreille attentive aux fables de cette mère-grand, quatre fois millénaire. Thot, dieu-ibis, prince des livres secrets, qui avait guéri l’oeil d’Horus, s’était fait naturaliser grec sous le nom d’Hermès. A ses débuts, tout le paganisme méditerranéen avait emprunté à l’Egypte; Osisris avait fait corps avec Dyonisos, Isis avec Demeter, mais sous la fine écorce des noms étrangers, ils n’avaient pas cessé d’être eux-mêmes. Pythagore alla en Egypte et en revint converti. La grâce d’Osiris, dieu de la mesure, et celle d’Isis, déesse de la nature, semblent s’être alliées pour inspirer à l’illustre mathématicien qui forgea le mot de philosophie la doctrine selon laquelle la loi de l’univers est celle du Nombre. Le succès de Pythagore fut tel que la société secrète, mi-religieuse mi-politique, qu’il dirigeait, prit le pouvoir pour un demi-siècle dans toute l’Italie du Sud. A son déclin, le paganisme fait retour à ses sources égyptiennes, et c’est dans les dieux inébranlables d’Egypte que le christianisme, dès sa naissance, reconnaît ses plus dangereux ennemis. L’atmosphère spirituelle du Levant différait au Moyen Age de celle de l’Occident catholique. Centre d’échanges de toutes sortes qui brassaient sans relâche peuples et idées, cette région rejetait obstinément le corset d’une trop stricte orthodoxie ; elle avait butiné le judaïsme, l’hellénisme, le christianisme, l’Islam, mais elle ne s’était pas vraiment donnée. A Alexandrie, à la fin de l’Empire romain, il y avait un million de Juifs. C’est alors qu’un rabbin nommé Siméon Ben Jochai, conçut l’algèbre le plus fantastique qui fût jamais et calcula la puissance de dieu en posant que 3 et 1 ne font jamais 4. La Kabbale était née. Pour le Kabbaliste, tout nombre a deux valeurs : une valeur apparente et une valeur secrète. Dans cette perspective, l’écriture sainte est non seulement un texte allégorique mais encore un véritable document chiffré qu’il faut lire en se gardant bien de perdre la tête. De Sede évoque les gnostiques. A la trinité Père-Fils-Saint Esprit, les gnostiques substituent la trinité Père-Mère-Fils. Le Père, c’est l’absolu, la Mère, c’est Sophie (la sagesse), la médiatrice entre dieu et le monde. Le Fils enfin est le Sauveur, l’Envoyé. Aux yeux des gnostiques l’idée d’un dieu fait homme est un non-sens blasphématoire : ou bien, Jésus était homme et ce n’était pas le rédempteur, ou bien c’était le rédempteur et il n’était pas homme.

On retrouve dans la gnose le culte de la Femme divine, de la Mère, de l’Eternel féminin.

Au-dessous de dieu qui a créé l’ordre surnaturel affranchi du temps et de l’espace et donc seul parfait, les gnostiques placent un dieu inférieur mais séduisant, c’est le Démiurge. Pour les gnostiques, ce n’est pas la foi qui sauve, c’est la connaissance. Gérard de Sede évoque la secte des Ismaéliens. Elle fut fondée vers l’an 760 après que l’imam Djafar al Sadik eut écarté de sa succession, au profit d’un cadet, son héritier légitime Ismaël auquel il reprochait d’avoir un jour bu du vin malgré l’interdiction coranique. Ismaël devint une sorte de messie, l’imam caché, qui devait assurer sur terre le triomphe de l’égalité. Les missionnaires ismaéliens, prêchant de Perse jusqu’en Syrie, donnaient du livre sacré une interprétation allégorique : ainsi naquit le chiisme et le schisme. Au milieu du XIXè siècle, les ismaéliens fondèrent une société secrète, de nature politico-religieuse : celle des Assassins.

On a cru à tort que ce nom dérivait de celui du haschisch que les affiliés absorbaient mais en réalité, les Assassins s’intitulaient Gardiens de la Terre Sainte, d’une Terre sainte purement allégorique, montagne mystique absente des atlas et qui n’était autre à leurs yeux que l’axe du monde. al’époque des croisades, les Assassins forment au sein de l’Islam un puissant ordre de chevalerie initiatique exerçant en Asie une influence politique et religieuse aussi considérable que celle des Templiers au sein de la chrétienté. A leur tête se trouve un chef suprême : le cheik El Djebel, le Vieux de la Montagne. A Alamont, il avait installé un observatoire astronomique et rassemblé une immense bibliothèque de science et de philosophie dont les manuscrits alchimiques formaient la majeure partie. La doctrine des Assassins se situe dans la ligne de l’Hermétisme, de la Kabbale et de la gnose, qu’elle se borne à porter à un degré plus haut encore d’abstraction. Ils avaient inventé une Kabbale islamique : le Bathen. Vers 1250, le 3è Vieux de la Montagne, Hassan II alla jusqu’à abolir toutes les pratiques du culte qu’il jugeait indignes des initiés, son propre beau-frère le poignarda et les musulmans orthodoxes consommèrent la perte des Assassins. L’ordre des Assassins comportait six grades : cheik el djebel, Dais, Refik, fidavi, Lassik. Ils portaient le manteau blanc sur lequel était figurée une ceinture rouge.

Et sur cette pierre...

L’alchimie est apparue en Egypte au IIIè siècle. Ses premiers traités ont été retrouvés à Thèbes. Son premier doctrinaire, Zazime le Panopolitain, vivait à Alexandrie. Son premier martyr, Symesius, fut lynché dans cette même ville. Le premier interdit jeté sur elle est un édit de Dioclétien vouant à la destruction tous les livres traitants de la transmutation des métaux. D’autres auteurs se réclament de l’enseignement d’Hermès Trismégiste. Deux légendes, une même affirmation : l’alchimie est fille des collèges sacerdotaux égyptiens dont Thot-Hermès n’est ici que la réprésentation allégorique. L’alchimie alexandrine brilla pendant deux siècles, puis l’intolérance ecclésiastique l’obligea à se terrer. Au début du VIIè siècle, le Khalid, qui régnait en Egypte, fut le premier adepte musulman ; beaucoup d’autres suivirent, dont le plus célèbre est Avicenne. L’alchimie est à la fois une technique, une gnose, une ascèse. Son but est triple : transmuter les métaux, percer les secrets de la nature, transformer le savant lui-même.

Au commencement est le « Grand Mystère », le Tout primordial, indifférencié, contenant toutes les virtualités dans son être, tous les instants dans son éternité. Il est polarisé en deux essences : l’une positive, active, mâle, spirituelle (le Feu, le « Fiat lux » de la Genèse, le « Grand Architecte »), l’autre négative, passive, femelle, matérielle (la « Grande Mère », les Eaux de la Genèse). Le principe mâle féconde le principe femelle et ordonne ainsi le Chaos en cosmos. Le cosmos est un être vivant, un énorme organisme composé de soufre (esprit, forme, principe actif), de Mercure (matière, essence, principe passif) et de Sel (union des deux, souffle vital, mouvement). Sous ses formes diverses et transitoires, le monde est un et éternel. L’alchimiste appelle éléments les différents états de la matière : état solide (Terre), liquide (Eau), gazeux (Air) igné (Feu mobile) et enfin état radian, énergie (Feu fixe).

L’Un primitif contient, hors du temps, tout ce qui a été, est et sera. L’alchimiste ne cherche donc nullement à créer des corps nouveaux; tout son travail se borne à dépouiller la matière de ses qualités pour remonter à son essence ou bien, en sens inverse, à revêtir cette essence de formes nouvelles. Les « métaux, tous semblables dans leur essence ne diffèrent entre eux que par leurs formes » (Albert Le Grand) et tendent naturellement vers la perfection de leur ordre, qui est l’or. La transmutation métallique n’est qu’un cas particulier, une expérience frappante. L’alchimie est « l’art de travailler avec la nature pour la perfectionner » (Dom Pernety), de la mener à un stade évolutif plus avance. La Pierre qui guérit le métal malade peut être aussi Panacée, élixir de longue vie, Fontaine de Jouvence qui perfectionne et entretient la vie. Certains adeptes pensaient qu’un objet qui a perdu sa substance matérielle peut demeurer à l’état de forme invisible, mais qu’on peut lui rendre sa substance et le faire ainsi réapparaître. Pour eux, il est donc possible de remonter le cours du temps, de revêtir de frais pétales le parfum de la rose et d’un jeune corps le souvenir d’un mort. Enfin, son travail de transformation de la matière passait pour transformer l’alchimiste lui-même. La route de la connaissance alchimique est longue, laborieuse, semée d’épreuves et d’embûches. Il faut pour la parcourir une énergie et un courage peu communs. C’est pourquoi l’adepte est souvent comparé à Hercule délivrant Prométhée enchaîné pour avoir dérobé à Vulcain le secret du feu sacré. La longue patience et la sagacité doivent enfin s’ajouter aux autres vertus des alchimistes, et ceux-ci, entre toutes les légendes pouvant symboliser leur aventure, ont choisi celle des Argonautes, auxquels il se comparent couramment.


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