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La critique "vins" (2) : les conflits d'intérêt

Par Mauss

Que voilà une question délicate à traiter, le parfait sujet à fleur de peau ! L'introduction d'internet a des conséquences plus que sensibles sur le monde de la critique du vin.

Outre la multitude des forums, blogs et autres sites traitant du vin qui sont des sources de fiabilité allant de 0 à 99, la presse professionnelle doit faire face à un problème majeur : le financement du coût de ses informations, tant il est vrai que chacun a pris très vite sur le net l'habitude de tout avoir gratuitement.

D'où une question majeure et récurrente : comment financer ce secteur sans tomber dans des copinages réduisant sérieusement la qualité des informations publiées ?Et comment établir une règle d'achat des vins au lieu d'échantillons qui, disent les méchantes langues, sont parfois "adaptés" à la critique ?

La presse classique, écrite

C'est le cas le plus simple à étudier. Que ce soit la RVF, Gambero Rosso, The Wine Spectator et tant d'autres, cette presse vit de la publicité et des abonnements payants (insuffisants, on le sait pour couvrir tous les coûts). Généralement, chacun de ces organes confirme régulièrement que la section "pub" n'a rien à voir avec la section "rédaction". En fait, c'est le lecteur qui, très vite, juge de la pertinence ou non d'une telle séparation des choses. On ne va pas s'éterniser sur ce cas, chacun ayant sa petite idée sur la valeur réelle d'indépendance des rédacteurs.

La presse passionnée, sans publicité

Exemples parfaits : Le Rouge et le Blanc, The Wine Advocate

Parker, prndant des années, a toujours publié en page de garde de sa revue ses principes de travail qu'on peut résumer ainsi : 

- autant que possible, dégustations à l'aveugle

- pas de relations trop étroites avec les producteurs

Parfait : cela est clair, précis et si on rajoute l'obligation d'acquérir les bouteilles au lieu de les solliciter gratuitement, on a là un système de travail méritant notre totale admiration.

La presse "grand public" (Les hebdo comme Le Point, l'Espresso, le Financial Times, les colonnes régulières des grands quotidiens).

Il y a là régulièrement des liens ± forts entre les écrits et les éventuelles pubs qu'on peut y voir. Rien de très méchant, car par définition, les articles là ne concernent qu'une minime partie de ce qui peut intéresser l'amateur. C'est plus le profit d'une opportunité qu'un réel copinage ayant des conséquences sur les commentaires et notes. Mais bon, je suis souvent un grand naïf !

Les blogs et forums

Si certains, très spécialisés dans une région, sont tenus par des amateurs passionnés ayant de réelles connaissances (ex : Thierry Meyer), la plupart sont des lieux d'échanges (?) où l'ego tient une place de choix, où le savoir est primaire, où la formulation tient plus du diktat que de la nuance, où les attaques à la personne sont encore trop fréquentes, sans même parler des jalousies émergeant systématiquement.

Si certains contiennent de la pub, c'est généralement hors vignobles (voitures, parfums, objets divers, tourisme, etc…) et donc là non plus on ne peut parler de réels conflits d'intérêt.

Naturellement pour éviter le triste sire qui produit un vin médiocre et qui vient le présenter comme un joyau de la couronne via un pseudo d'une grande médiocrité, on ne consultera que les forums et blogs où les intervenants signent de leurs noms. Ce devrait être obligatoire sur tous les forums sérieux. Bien trop de débordements inutiles trouvent leur origine dans cette impunité de l'anonymat.

Les conflits actuels

Ces sources multiples d'informations couplées avec l'émergence quasi exponentielle de régions vinicoles voulant leur place au soleil ont deux conséquences majeures :

- il n'est plus possible, tout simplement, pour un homme seul, de couvrir correctement ne serait-ce qu'un seul pays producteur. Ou le journaliste se spécialise (Allen Meadows est l'exemple parfait) ou ce sont des équipes qui se mettent en place (Bettane-Desseauve).

- l'habitude croissante du gratuit ne permet pratiquement plus à un homme seul de vivre décemment uniquement de sa plume, sauf s'il publie - et vend - des livres sur le sujet.

Si Parker est notoirement le seul journaliste vin à très bien vivre de sa plume sans avoir recours à des pubs quelconques, on aurait du mal à y ajouter 4 autres noms pour couvrir une main. Antonio Galloni qui a quitté son lucratif métier de banquier à NYC pour couvrir maintenant, en plus de toute l'Italie, la Bourgogne, la Champagne et la Californie, a reçu de la part de Parker, l'autorisation - en totale contradiction avec les principes de la page de garde du Wine Advocate -de créer un événement rémunérateur qu'il a monté à New York, en copie conforme de la Paulée. Il a fait venir de grands noms du Piémont pour animer une soirée autour de grands vins qu'ils ont offerts, à des amateurs locaux ayant payé leur dîner à un prix conséquent.

S'il a eu la grande honnêteté d'être totalement transparent sur ce souci d'arrondir ses fins de mois en donnant tous les détails sur le forum de Parker où il a été vivement attaqué sur cette rupture avec les règles du boss, s'il a répété sans cesse que son objectivité ne peut être remise en cause par cet événement, il n'empêche qu'on a là un réel conflit d'intérêt.

En effet, mettons nous une seconde dans la peau d'un producteur piémontais sollicité pour un tel événement. S'il dit non, il risque, il va penser, que ses futures notes seront peut-être remises en cause. La "sécurité" de son classement sera un puissant motif à sa décision. Et pour faire venir les noms qui vont attirer l'amateur, il faut que ce soit les grands noms qui ont les meilleures notes, car qui va dépenser autant d'argent pour un dîner avec des seconds couteaux ? C'est un peu le chat qui se mord la queue.

Ce type d'événement, par ailleurs de plus en plus prisé et qu'il faut soutenir, est effectivement une source sensible de revenus supplémentaires pour le journaliste de renom mais qui ne peut pas vivre uniquement de sa plume, aussi célèbre soit-il, Parker restant l'unique et notable exception.

Comment résoudre de tels conflits d'intérêts potentiels ?

Vous me voyez venir avec mes gros sabots ! Il y a effectivement une méthode radicale coupant court à tout conflit d'intérêt de cette nature : s'engager à déguster uniquement à l'aveugle… avec tous les risques que cela comporte !

Et bien, qu'on le sache : c'est la politique qu'est en train de mettre en place le Wine Spectator qui demande aux producteurs d'envoyer leurs échantillons à New York où cette revue de Marvin Shanken a maintenant comme principe de les faire déguster collégialement je crois, à l'aveugle. Certes, il faut être costaud financièrement pour faire accepter une telle méthode, et donc avoir une base de lecteurs se chiffrant en centaines de milliers.

Que dire en conclusion ?

Les multiples événements autour des grands vins, avec dîners payants, salons de dégustation, conférences sont de très bonnes choses. Mais quand c'est organisé par des journalistes-critiques, la seule façon d'éviter de fatales suspicions de copinage c'est d'avoir leur engagement de déguster à l'aveugle. C'est du brutal, j'en conviens, mais inutile de venir me répéter que l'aveugle a des insuffisances notoires. Personne ne me convaincra que la "non-aveugle" est une méthode plus juste, car, quoiqu'on en dise, les défenseurs de l'étiquette invoquant le souci du potentiel d'un vin, ne s'en préoccupent, de ce potentiel, que pour les grands noms ayant pignon sur place publique. Pas folle, la guêpe !

Voilà probablement une conclusion violente, mais qu'on me dise comment faire autrement ?

On ne va pas en faire un formage, hein ! Tout ça, c'est un peu du mineur par rapports aux causes majeures de nos temps troublés :-(

Histoire de mettre une image, et toujours à la Ciau del Tornavento :

Rarissime machine belge concurrente des Berkel, mais à plus de € 35.000 !!!

Agnoloti au coniglio, crème d'artichaut : Maurilio a encore fait fort !


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