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K-S.H.E - Routes Not Roots (2011)

Publié le 22 avril 2011 par Oreilles
K-S.H.E - Routes Not Roots (2011)Qu’est-ce que la house ? A qui s’adresse-t-elle ? A-t-elle un sexe ? Un message ? Une couleur politique ? Ces questions, sur lesquelles bien peu de DJs se penchent, Terre Thaemlitz tente d’y répondre depuis plus de 15 ans sur des disques qui sont toujours un peu plus que de simples objets musicaux. Volontairement, il casse les formats, s’éclipse, touche aussi à la photo, à la vidéo, aux arts plastiques, change régulièrement de pseudo avant de revenir par une autre porte, peu attaché à la notion d’auteur et à la reconnaissance publique. A travers tous ces revirements et réflexions, c’est sa propre identité qu’il interroge, et la possibilité de vivre heureux en étant différent.
Transsexuel (ou androgyne, comme il se définit lui-même), il a quitté New York, qu’il déteste, pour Tokyo, où la vie est selon lui plus aisée pour les minorités sexuelles. L’album qui nous intéresse ici date de 2006 et n’était justement disponible qu’au Japon. Sa réédition chez les Français de Skylax fait suite au succès de Midtown 120 Blues (Mule Musiq), sorti sous le nom de DJ Sprinkles en 2009, et que j’avais renoncé à chroniquer, découragé, comme souvent, par le nombre de critiques (logiquement) élogieuses sur les blogs. Mais vu que celui-ci est au moins aussi bon, je ne peux décemment pas passer à côté.
Routes Not Roots est un album bavard, militant, bourré d’interludes et de spoken word. On y parle du regard des autres, du Sida, de la violence ordinaire... Parfois avec une certaine brutalité, comme sur ce "Stand Up" où des rires en boîte répondent à une histoire tragique (narrée par Terre lui-même ?) de lynchage d’un trans dans le métro de New York. Une sorte de malaise, de douleur même, affleure sur une bonne partie des 12 titres, mais le propos militant ne prend jamais le pas sur la beauté de la musique, parfaite alliance de house, de jazz et d’ambient, portée par un piano rêveur omniprésent et un groove intense et répétitif.
Sans introduction, Terre entre directement dans le dur et dans le deep avec "Down Home", ses violons et ses accords de piano expressionnistes. C’est l’un des gros titres de l’album, et l’un de ceux qui correspondent le plus au format house classique. Autre morceau de bravoure, "Hobo Train" étale son beat rugueux et son prêche sur plus de 12 minutes et s’achève dans un éblouissant entremêlement de guitare hispanisante et, encore une fois, de piano jazzy. En parfaite adéquation avec son « message », la musique de Thaemlitz est terriblement honnête, sans effets ou presque, sans cache-sexe, suis-je tenté de dire en écho à la pochette. On touche là à l’essence de la house, tout simplement. Plusieurs tracks font d’ailleurs des clins d’œil appuyés aux pionniers de Chicago, notamment "Infected" et ses boucles disco, et le diptyque "Fuck The Down-Low" / "B2B".
Même lorsqu’il se sert de samples archi-grillés, qu’il s’agisse des chœurs du "Another Star" de Stevie Wonder (sur "Crosstown"), ou d’un passage du bijou de Talk Talk, "The Rainbow" (sur "Double Secret"), ses choix ne se discutent pas tant ils semblent relever de l’évidence. Ce qui ne signifie en rien que Routes Not Roots est un album fluide. Bien au contraire, il nous fait subir une succession d’émotions contradictoires, passant souvent de l’une à l’autre de manière plutôt abrupte, ou les faisant cohabiter dans un entre-deux ambigu qui n’a évidemment rien d’accidentel. Et c’est précisément ce qui en fait une œuvre à part, à mille lieues du commun des albums du genre, et un autoportrait saisissant de son auteur. Car il y a à peu près autant de différences entre Terre Thaemlitz et le producteur house moyen qu’entre Jean Genet et Marc Levy. Quelques-unes, donc.
En bref : la réédition d’un chef-d’œuvre de Terre Thaemlitz, double réflexion sur le sort des minorités sexuelles et la nature profonde de la musique house.
K-S.H.E - Routes Not Roots (2011)
Le Myspace et le Soundcloud de Skylax Records
Le site de Comatonse, le label de Thaemlitz
Une interview (en français) réalisée en 2010 par nos confrères de Soul Kitchen


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