On commence ce deuxième aperçu de la carrière tardive de John Wayne avec le très réputé El Dorado. Ce film ne peut pas vraiment être classé dans les « John Wayne vieux ». L’acteur n’a alors que 59 ans et il tient encore parfaitement la route, sept ans après Rio Bravo. Pourtant, Howard Hawks ironise déjà de façon fracassante sur l’inexorable décrépitude de son héros : handicapé par une balle dans le dos, le Duke est forcé de conclure le shoot out final avec un bras paralysé. L’image de fin qui le voit boiter de concert avec l’excellent Robert Mitchum est dans toutes les mémoires. Hawks réédite son exploit de Rio Bravo, sens du timing, de l’action, sens de l’humain, sens de l’humour, El Dorado est une perle que l’on revoit toujours avec plaisir et dont on connaît les plans par cœur (attention, Mississippi va faire choir la pancarte sur un méchant !). Il est juste un poil en-deçà de son illustre prédécesseur parce qu’il manque un bon petit Degüello pour faire vibrer notre corde opératique, mais par contre, l’absence du My rifle my pony and me remplacé par une hilarante concoction anti-gueule de bois penche plutôt en sa faveur.
Trois ans plus tard, Wayne ne tient plus la route dans Rio Lobo. Grossi, bouffi, vieilli, il fait peine à voir avec sa bedaine qui dépasse de son ceinturon. Howard Hawks en joue et le fait traiter de « confortable » par la donzelle de service. Hawks lui-même est moins en forme également. La longue introduction en pleine guerre de Sécession est censée donner de la matière à l’amitié entre le Duke et les deux sudistes, mais elle a pour effet de dédramatiser le drame qui se joue ensuite à Rio Lobo (y compris la peu crédible vengeance), alors que dans Rio Bravo et El Dorado, les non-dits sur le passé des protagonistes renforçaient au contraire leurs zones d’ombre et leurs personnalités ; tandis que la dramaturgie pouvait prendre toute son ampleur. En outre, le fade Jorge Rivero n’est pas Robert Mitchum, le passage par la case prison est réduit au strict minimum, et le traitement « bonne humeur » des scènes d’action en désamorce la portée. Pourtant cette bonne humeur communicative est plutôt à porter au crédit du film, tout comme la très belle musique de Jerry Goldsmith (inclut l’excellent générique de début), la performance exaltée de Jack Elam qui a la meilleure ligne du film (« You don't mind if I shoot, do you? It makes me feel better. ») et l’attaque de train très bien menée. J’avais peu de souvenirs de ce film à part la double détente du deux-canons de Jack Elam liée avec du fil de fer et la winchester du méchant qui lui explose à la gueule. Je croyais me souvenir qu’il en mourrait, mais non, une des multiples jolies filles du film vient accomplir sa vengeance. Dommage, un méchant qui se tue tout seul, sans l’aide du gentil, cela aurait été une belle fin ironique pour ce dernier western du maître Hawks.
John Wayne apparaît paradoxalement plus vieux, mais plus en forme dans Cent dollars pour un Shérif (True Grit) tourné pourtant quelques mois auparavant, et que je me suis finalement décidé à revoir. L’acteur reçoit alors un Oscar pour son rôle de Rooster Cogburn, et tout le monde s’accorde pour dire que l’oscar récompense sa carrière plutôt que son jeu d’acteur dans ce film. Pourtant, il faut bien avouer que parmi tous les westerns de la fin de sa carrière, c’est bien dans celui-là que John Wayne est le moins John Wayne. Jurant, buvant, borgne et pitoyable, l’acteur en fait des tonnes pour donner de la matière à son personnage, et ça marche plutôt pas mal. Henry Hathaway filme avec talent et application une histoire convenue dont le principal ressort dramatique est la présence dans les basques du Duke d’une jeune fille qui n’a pas froid aux yeux (Kim Darby). Puisque le remake des Coen est encore chaud dans les mémoires, on ne peut s’empêcher de constater que Hathaway a mis plus de chaleur et d’humanité dans son film sans gommer totalement le cynisme du livre. Mattie est certes la même jeune fille débrouillarde et calculatrice, mais son attachement pour son défunt père est visible au contraire de la Mattie des Coen qui apparaît alors comme un véritable robot. La scène des serpents bien sûr est moins percutante que dans ma mémoire (d’ailleurs il n’y a qu’un serpent) mais quand même sacrément angoissante. A la fin, le Duke saute à cheval par-dessus une barrière. C’est beau.
En 1975, John Wayne fait encore bonne figure dans Une bible et un fusil (Rooster Cogburn) tourné par Stuart Millar. Malgré le coté attachant de ce film conçu comme une suite au film de Hathaway, l’opportunisme de la chose apparaît trop clairement pour totalement adhérer à l’entreprise. Les scènes du bouquin de Charles Portis non exploitées dans Cent dollars pour un Shérif se retrouvent traitées ici (le lasso pour empêcher les crotales d’approcher, le tir sur les galettes de maïs – scènes que l’on retrouve d’ailleurs dans le film des frères Coen) un peu en décalé. L’association Wayne Hepburn paraît beaucoup trop artificielle pour fonctionner pleinement et les appels du coude en direction de African Queen sont bien trop constants pour amuser. Ajoutons à cela des méchants plutôt insipides, un suspense inexistant malgré la présence de nitroglycérine et un jeune indien sans beaucoup de relief, et on se retrouve bien en deçà du film de Hathaway. Malgré tout, la bonne humeur de l’histoire suffit amplement à éviter la lourdeur et l’académisme de la plupart des « John Wayne vieux ». Si vous voyez Cent dollars pour un shérif, ça ne vous fera donc pas de mal de voir celui-ci dans la foulée. En rayon, il me restera à vous parler de Big Jake, des Géants de l’Ouest, des Cordes de la potence et du mythique Dernier des géants pour clore ce tour d’horizon mi-complaisant mi-agacé du crépuscule westernien du Duke. Mais ce sera pour une prochaine fois, il ne faut pas abuser des bedaines d’armoires à glace, fussent-elles confortables.
Images: USMC, Laurent, Jicarilla sur western movies