Le bug de Blogger semble enfin résolu et je peux reprendre le fil de l'Impossible blog ciné... Lorsqu’il s’agit d’aller attraper un classique sur grand écran, je choisis souvent un monument m’ayant jusqu’ici échappé… à moins que ce ne soit un grand film que je ne connaisse qu’à travers la petite lucarne. Et puis de temps en temps, un film dont je ne sais rien sort de nulle part. Je ne savais rien de Cyclone à la Jamaïque. Ce film d’Alexander MacKendrick ne s’était jamais approché à portée de mon radar, jusqu’à ce que mon amie Élo ne porte mon attention dessus. Quelques semaines plus tard, un mardi en fin d’après-midi où Tomboy était enfin dans ma visée, j’apprends que Cyclone à la Jamaïque ne sera plus à la Filmothèque du Quartier Latin le lendemain, et me rend compte qu’il ne reste plus que la séance de 17h35 si jamais je veux le voir sur grand écran.
Une fois que le désir d’un film est né en moi, difficile de le refermer d’un claquement de doigts, et me voici donc à me diriger vers la salle de la rue Champollion sans une Élo qui m’incendiera le lendemain en apprenant que j’étais la veille allé voir le film de MacKendrick sans elle…
Une fois de plus, c’est dans la salle rouge que je me retrouve quand j’étais sûr de me retrouver dans la bleue que j’affectionne plus. Zut. Ce qui m’embête plus, c’est ce couple assis deux rangs devant moi avec ses deux enfants, une famille dont le père est vulgairement bruyant avant que le film ne commence, me donnant une bonne sueur froide quant à la possibilité qu’il nous perturbe la projection. Ce qu’il fera par à-coups en trifouillant un sac plastique sans grand ménagement pour les camarades de salle que nous étions, quoi qu’à certains moments je me demandais si la cinémaniaque du premier rang n’en faisait pas autant, du bruit.
Toujours est-il qu’avec son Cinémascope délicieusement large, Cyclone à la Jamaïque nous a offert une balade océanique où la mélancolie s’est étrangement invitée à l’aventure. Quel est donc ce film méconnu naviguant entre l’humour, l’évasion et l’amertume ? Le film de pirates traditionnel n’est pas là, la surprise est grande et infiniment plaisante. MacKendrick s’attache à une jeune fratrie de garçons et filles élevés sous le soleil de la Jamaïque que les parents renvoient en Angleterre afin qu’ils perdent cette sauvagerie locale au contact de la bonne éducation de Sa Majesté. Mais le navire qui devait les conduire est pris d’assaut par des pirates qui les embarquent sans s’en rendre compte avec eux. Les enfants vont goûter à une aventure hors-la-loi tandis que les hommes à bord n’apprécient guère que leur capitaine se prenne d’affection pour les chenapans.
De ce récit, on aurait pu attendre un film d’aventures familial cocasse, gentil et grand public. Pourtant Cyclone à la Jamaïque nous entraîne sur un terrain plus ambitieux, plus risqué, plus emballant. Si MacKendrick situe bien le regard à hauteur d’enfant, il choisit comme personnage central une préadolescente ne se contentant pas de tenir tête aux pirates. Elle convoie une force de caractère qui mêle l’insouciance de l’enfance et sa cruauté. Le terme « cruauté » est peut-être trop fort, mais MacKendrick ne choisit pas de poser un regard tendre et insouciant sur l’enfance. L’enfance qu’il dépeint a dans son insouciance un aspect abrupt qui confère parfois à une dureté atténuée. Chez MacKendrick, le film de pirates en costume apporte un regard incroyablement moderne sur l’enfance, balayant les conventions, cherchant à le regarder avec une sincérité et une vérité confondantes.
Son film ne se contente pas d’être un bon divertissement. Il brosse le rapport des adultes avec l’enfance à travers le regard du Capitaine Anthony Quinn sur cette enfant, à la limite de la décence parfois tant la liberté et l’insouciance qu’elle représente le fascinent et le mettent mal à l’aise. C’est une relation conflictuelle et néanmoins tendre, une collision d’univers qui fait évoluer chacun des deux personnages. Au contact du loup de mer brigand, l’enfant perd son insouciance et son innocence, tandis que lui retrouve à travers l’enfant une sérénité qui n’est pas compatible avec l’homme qu’il est.
Cette aventure des mers se teinte d’amertume quand tant d’autres films du genre se seraient certainement contentés de la joie. Anthony Quinn était un acteur qui ne m’avait jamais vraiment tapé dans l’œil, mais sa performance en pirate régénéré par l’enfance sied à merveille au film, autant que l’étonnante Deborah Baxter, sa jeune partenaire. Jusqu’ici, Alexander MacKendrick n’était pour moi que le réalisateur de Tueurs de Dames, la comédie british avec Alec Guiness et Peter Sellers. Désormais il sera également celui qui a déjoué les codes du film de pirates. Chapeau.