Bordeaux vient tout juste de clôturer la campagne des primeurs 2010. Au programme des réjouissances de nombreuses hausses de prix et des ventes mitigées pour ne pas dire décevantes.
Les primeurs qu’est-ce que c’est ? Cela consiste pour quelques domaines Bordelais à commercialiser une récolte encore en phase d’élevage. Sur le papier le producteur et le consommateur sont gagnants. Le domaine vend à l’avance et engrange de la trésorerie tandis que le client réserve des vins souvent recherchés en se prémunissant contre d’éventuelles hausses de prix.
Pour la campagne des primeurs 2010, les Bordelais s’attendaient à engranger des ventes record en raison de plusieurs facteurs :
- Les notes attribuées par les critiques
- L’éloge des médias sur ce nouveau millésime du siècle
- La spéculation environ vingt marques phares du Bordelais
- La demande Asiatique et en particulier Chinoise
De fait les cours des grands vins de Bordeaux n’ont eu de cesse de flamber. Ainsi, le célèbre Lafite Rothschild a vu ses prix augmenter dans des proportions hallucinantes. Entre son prix de sortie et sa cotation actuelle Lafite 2008 a augmenté de +1045%, le 1992 a lui pris +6824%. Si les prix augmentent autant c’est en raison de la demande Chinoise mais pas seulement .En effet, s’il est incontestable que la demande Chinoise est réelle il n’en reste pas moins que c’est la spéculation qui tire autant les prix. Compte tenu des rendements de ce type de placement on comprendra aisément que les financiers aient investi le créneau lucratif des grands crus Bordelais. Certains crus Bordelais n’hésitent d’ailleurs pas à racheter leurs propres bouteilles pour contribuer à l’envol des prix.
Fort de ce contexte général une majorité de Bordelais confortés par le succès de Vinexpo ont décidé de procéder à une nouvelle augmentation de leurs tarifs. Le marché ne semble pas avoir apprécié cette politique et ce pour plusieurs raisons :
- Sur 2009, les prix avaient déjà atteint des prix stratosphériques. Avec une énième hausse, les grands crus sont définitivement inabordables pour leur clientèle traditionnelle.
- 2010 suit un millésime 2009 déjà présenté comme exceptionnel. Le coup du facteur qui sonne toujours deux fois. Les caves sont pleines et les acheteurs semblent s’être lassés.
- Les acheteurs Chinois, cibles prioritaires de cette campagne ne semblent pas séduits par le système des primeurs et préfèrent acquérir des vins livrables immédiatement.
- Les quantités mises en vente par les Bordelais ont été minimes de manière à soutenir les prix.
- Le rythme de la campagne des primeurs. Certains sont sortis trop tard et en de trop faibles quantités.
Malgré tout à l’exception de Cheval Blanc qui a trop tiré sur la ficelle, les stars Bordelaises semblent avoir trouvé preneur notamment du fait des petites quantités mises en vente. D’autres ont apparemment eu plus de mal à vendre leur précieux flacons. Smith Haut-Lafitte, Rauzan Segla ou encore Figeac ont quant à eux eu moins de succès du fait de prix de sortie manifestement trop élevés. Ainsi, Figeac Figeac 2010 sortir à 140 € le col a vu son prix prendre +5% versus 2009, + 309% versus le 208 et + 138% versus 2005. A l’heure actuelle, une bouteille de Figeac 2005 (autre millésime exceptionnel) côte 98€ et est disponible tout de suite, dès lors pourquoi se ruer sur un 2010 ?
Ces erreurs de positionnement ont permis à d’autres crus jusque-là moins en vue de bien se vendre. Bien qu’ayant augmenté la qualité de leurs vins et leurs tarifs ces vins n’en restent pas moins accessibles.
Considérant le contexte économique actuel, il sera intéressant de voir si les millésimes 2009 et 2010 ne vont pas voir leurs cours baisser subitement comme ce fût le cas pour le millésime 2005 lors de la crise financière. Pour le moment on observe depuis de longs mois une pause dans la hausse des prix des plus grands laissant supposer qu’un plafond a été atteint.
En définitive, cette campagne 2010 a eu pour conséquence d’accentuer encore plus le clivage entre les grands crus classés Bordelais. Le marché du vin en Chine ressemblant fort à celui des US dans les années 1970, les Bordelais tentent de positionner leurs marques sur le créneau le plus haut. Las, à l’issue des primeurs 2010 si beaucoup d’étiquettes peuvent jouer en première division peu sont encore en mesure de se qualifier pour la ligue des champions.
L’illustration de ce billet est la couverture de la BD Les caves du Cac40