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Lybie: vers un nouvel Irak ?

Publié le 23 août 2011 par Alaindependant

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Ce qui était prévisible depuis des semaines s’est produit. Inquiets de l’enlisement militaire sur le terrain et déçus de l’incurie des forces rebelles qui perdent systématiquement toute conquête momentanée acquise grâce à la couverture aérienne de l’Otan sitôt les avions occidentaux retournés à leurs bases, les stratèges de l’Otan ont revu leurs calculs et ont fait intervenir directement leurs hélicoptères d’attaque et des détachements de leurs forces d’élite qui débarquent à partir de la mer et du territoire tunisien et encadrent les forces rebelles. A ce sujet, saluons au passage la courageuse opposition de citoyens tunisiens libres au port de Zarzis contre une cargaison d’armes qatarie à destination des rebelles en Lybie.

La prise rapide durant ces derniers jours de plusieurs localités stratégiques à l’Est, à l’Ouest et au Sud-Ouest de Tripoli ne pouvait s’expliquer autrement. Le but étant d’encercler et d’envahir Tripoli à partir de la mer et de ces trois côtés.

Dans ce plan d’attaque, l’action clandestine des groupes dormants dans la capitale devait être primordiale en termes de renseignement et de neutralisation des défenses de la ville le jour « J ». Parmi ces groupes dormants, les opposants libyens comptent pour du menu fretin. Tout comme pour les rebelles armés, on les exhibe devant les caméras de télé pour donner le change et cacher le fait qu’il s’agit avant tout d’une intervention des forces spéciales de l’Otan en vue de prendre la capitale libyenne et liquider Kadhafi.

Que va-t-il se passer maintenant ? La chute de Tripoli va constituer à n’en pas douter un tournant dans le conflit libyen. Les Occidentaux et leurs supplétifs du Golfe exultent ! La guerre « humanitaire » du XXIe siècle, tout comme les guerres coloniales du XIXe siècle, a ses slogans : la « démocratie « a remplacé la « civilisation », les Médias de l’Otan et les intellocrates comme BHL ont remplacé les Eglises missionnaires, les nouveaux « démocrates » arabes ont remplacé les goumiers et autres bachagha Boualem !

Mais que les Occidentaux et leurs supplétifs arabes déchantent ! Ni leurs tapages médiatiques ni la fumée de leurs bombes incendiaires ne pourront cacher à la longue les résultats de leur macabre campagne pseudo-humanitaire et l’arroseur risque d’être à son tour arrosé et plus vite qu’on ne pense !

Vers un nouvel Irak ?

Les divisions profondes aussi bien régionales, tribales que politiques, y compris au sein de la rébellion, ne vont pas disparaître miraculeusement, une fois Tripoli prise et une fois Kadhafi neutralisé ! Les Occidentaux le savent et c’est pourquoi ils se préparent à une occupation déguisée du pays et si cela s’avère insuffisant, ce sera une occupation ouverte avec un proconsul occidental comme cela a été expérimenté en Irak. Les responsables de l’Otan commencent déjà à préparer l’opinion publique pour une telle éventualité en arguant l’insécurité et l’instabilité qui risquent de suivre la chute du régime de Kadhafi et s’il faut passer par le « machin » du Conseil de sécurité de l’Onu pour sauver les formes, pourquoi pas ?

Mais aucune occupation ouverte ou déguisée sous forme d’une base permanente de l’Otan en Libye ne pourra empêcher les contradictions à l’œuvre dans ce pays de s’exprimer par une violence d’autant plus redoutable que les armes en circulation font désormais de ce pays un grand entrepôt à ciel ouvert ! Mais ce n’est pas tout. Les djihadistes qui n’ont trouvé aucun mal « théologique » à monter dans le train de l’Otan pour en découdre avec l’ « apostat » Kadhafi (au nom de la devise pseudo-théologique « Allah frappe-les l’un par l’autre !) risquent de se retourner contre leurs anciens amis du CNT et leurs commanditaires occidentaux !

Des dizaines de Zarquaoui risquent de voir le jour en Libye et de mettre le pays à feu et à sang ! Dans ces conditions, il est fort à craindre que tous les allumés de la région qui meurent d’envie d’en découdre avec les forces de l’Occident risquent de se rappliquer en Libye dans la mesure où l’occupation étrangère du pays leur donnera un prétexte théologique de bonne facture ! Pire, les intérêts européens et particulièrement français risquent d’être pris pour cibles comme l’ont annoncé récemment des groupes djihadistes.

Une victoire à la Pyrrhus ?

Ce jour-là, la victoire de Sarkozy et BHL apparaîtra pour ce qu’elle est vraiment : une victoire à la Pyrrhus. Une entreprise néocoloniale au nom d’une idée dépassée de la grandeur pour cacher l’échec d’une politique économique et sociale néolibérale et se faire réélire à peu de frais !

Une entreprise néocoloniale qui risque d’avoir des effets collatéraux terribles sur la cohésion sociale en France et aggraver un climat de méfiance intercommunautaire au grand bénéfice des forces d’une droite et d’une extrême-droite faussement « nationalistes » qui surfent sur la vague du choc des civilisations pour cacher aux Français la véritable catastrophe nationale : le hold-up des institutions et des médias de la République par les lobbies apatrides de la Finance transnationale qui se fiche et des Français et des immigrés musulmans qu’ils cherchent à opposer pour continuer à s’adonner à leur sport favori : la spéculation boursière et financière et la casse du tissu agricole, industriel et symbolique du pays pour le noyer dans l’Europe des banquiers et des technocrates anonymes de Bruxelles !

Au demeurant, Sarkozy aura beau rouler les mécaniques, il ne pourra arracher pour la France que ce que ses amis et protecteurs apatrides voudront bien lui laisser. Sans doute Bouygues et d’autres arracheront quelques contrats mirobolants. On ne s’est pas acharné à détruire les infrastructures avec une telle sauvagerie pour rien ! Rien que la reconstruction de la Libye dans les dix prochaines années risque de coûter la bagatelle de 100 Milliards USD ! Les contrats d’armements qui seront partagés entre les larrons qui ont participé à cette guerre pourront rapporter au moins 20 Milliards USD.

Mais justement parce que la campagne libyenne est aussi une affaire de gros sous, les fidèles alliés d’aujourd’hui risquent de se tirer dans les pattes demain ! En Cyrénaïque, les Français devront compter avec les Britanniques ! En Tripolitaine, les Italiens ne vont se laisser faire par les Français ! Dans le Fezzan, les Français qui y étaient présents dans le temps risquent de devoir compter avec les pays voisins de la Libye qui devront défendre leurs intérêts et surtout leur sécurité nationale contre les groupes terroristes et les contrebandiers.

Et tout ce beau monde devra finalement compter avec l’Oncle Sam qui garde un œil vigilant sur une région qui constitue pour lui sous-région vitale dans une région qu’il considère comme stratégique à savoir la région MENA qui comprend dorénavant la sous-région du Sahel. En effet, on ne peut rien comprendre à cette guerre en Libye si on perd de vue l’importance de ce pays dans l’architecture instable de la région MENA et plus particulièrement ce qui est en train de se passer dans l’Egypte voisine.

Pourquoi la Libye ?

La stratégie US consiste à avoir le contrôle sur la région MENA qui va du Maroc à la péninsule arabique et à laquelle il faut ajouter la sous-région du Sahel. Mais pour cela pourquoi les US ont-ils besoin de faire la guerre en Libye et de chasser Kadhafi ? N’ont-ils pas déjà le contrôle sur l’Afrique du nord ? Pourquoi, n’ont-ils pas chassé Kadhafi quand il finançait directement les organisations de la résistance palestinienne et les opérations "terroristes" et foutait le bordel dans le Sahel ! Alors pourquoi aujourd’hui ?

Sans doute il y a plusieurs visions, positions et stratégies occidentales qui s’emboitent sur le terrain mais si on fait une analyse profonde de ce qui arrive aujourd’hui, on ne peut pas ignorer les perspectives de changement incontrôlées qui risquent de se produire en Egypte. Pas le "changement démocratique" qui a fait chanter et danser certains optimistes mais le changement discret au niveau de l’Etat avec l’arrivée au pouvoir de nouvelles élites plus jeunes et plus soucieuses des intérêts nationaux de l’Egypte.

Le fait que des généraux égyptiens commencent à se tourner vers la Russie et la Chine pour l’armement est un signe qui fait plus peur aux états-majors israélien et occidentaux que les déclarations fracassantes auxquelles nous ont habitués certains dirigeants arabes volubiles ! Ce qui se passe dans les coulisses est parfois aussi important que les manifestations millionnaires des citoyens révoltés !

Par ailleurs, une alliance stratégique entre l’Algérie et l’Egypte avec une début d’intégration régionale en matière d’énergies renouvelables et d’industrie de défense n’est pas impossible C’est pourquoi certains courants manipulés par les lobbies pro-israéliens dans ces deux pays ne ratent aucune occasion (même d’un match de foot) pour saboter toute perspective de rapprochement entre ces deux pays qui restent les deux seules puissances régionales que l’impérialisme n’a pas encore cassé (pas encore !).

En Egypte, malgré le travail de sape d’Al Jazeera, l’impérialisme n’a pas réussi à plonger le pays dans la guerre civile. Il n’a pas réussi non plus à casser les liens entre l’armée et la société civile. Il n’a pas réussi à créer un fossé infranchissable entre l’opposition laïque et l’opposition, islamiste ni entre musulmans et chrétiens. En Algérie, les émeutes sociales pourtant récurrentes n’ont pas débouché sur le « printemps arabe » tant rêvé par certaines officines budgétivores et par Al Jazeera.

Je reviendrai plus en détails sur les stratégies en présence et les complots qui se trament dans ces deux pays arabes mais pour le moment il importe de faire le lien entre ce qui se passe en Libye et ce qui se passe dans la région plus généralement. La conquête de la Libye n’a rien à voir avec le prétexte « humanitaire » invoqué par Sarkozy et ses médias. C’est une guerre calculée et poursuivie dans le cadre du rôle de supplétif que l’Empire a confié à une France qui a perdu toute souveraineté sous le poids des lobbies israéliens et transnationaux qui squattent désormais les institutions de la République.

La guerre contre la Libye est une guerre pour asseoir le contrôle sur l’Afrique du nord, pour surveiller de près l’Egypte et l’Algérie, pour les empêcher d’avoir une continuité territoriale et pour user leurs énergies internes et leurs budgets dans une guerre contre un ennemi invisible et manipulable à merci qui a pour nom « Al Qaida » mais qui constitue en fait un monstre qui sort directement des mêmes laboratoires qui ont produit la théorie du « choc des civilisations » pour justifier le bellicisme de l’Empire, ses budgets faramineux et les projets fous d’un complexe militaro-industriel dont l’existence constitue tous les jours une insulte aux milliards de pauvres et de malades qui meurent de malnutrition et d’épidémies dans le monde…

Mohamed Tahar Bensaada


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