Les corpus
Théophile Gautier (1811-1872)
Théophile Gautier dont on célèbre aujourd’hui le bicentenaire de la naissance reste trop souvent l’auteur du populaire Roman de la momie et du Capitaine Fracasse. Mais c’est oublier qu’il a été un « ouvreur » tant en prose qu’en poésie, un authentique passeur qui a initié les générations suivantes à une exigeante vision de l’art. Pour son siècle, il fut « Théo », le « poète impeccable » auquel Baudelaire dédie Les Fleurs du Mal.
Certes, l’image du jeune romantique venu soutenir Hugo à la première d’Hernani perdure, et dans L’Histoire du Romantisme (1872), Gautier a commenté le célèbre « gilet rouge ». Jeune-France, il poursuit sa quête du Beau au Doyenné en compagnie de Gérard de Nerval ; c’est l’esprit de cette patrie artiste qui infuse dans la préface de Madame de Maupin imposant avec ironie une esthétique en rupture avec tout sentimentalisme ou utilitarisme ambiants. Dans une quête incessante de perfection formelle, il enrichit, modèle, cisèle, pendant vingt ans, les vers d’Emaux et Camée; tel le peintre qu’il a failli être, il revient constamment sur la toile.
Cette passion de l’art, constamment présente, répond à un besoin d’échapper au quotidien à l’instar de son goût pour les voyages en Espagne, Italie, Algérie, Egypte, Turquie ou Russie. L’attirance pour l’ailleurs se traduit aussi par l’immersion de ses personnages dans un cadre lointain (”Jettatura“) ou dans un entre-deux mondes, entre rêve et réalité, veille et sommeil, comme dans “Le Pied de Momie“, “Omphale” ou “La Morte amoureuse“.
Outre le roman, la nouvelle – il convient de rappeler ici Les Jeunes-France, et la poésie, Gautier fut aussi dramaturge avec Le Tricorne enchanté ou La Femme de Diomède; il signe enfin des livrets de ballets tels Giselle et La Péri pour Carlotta Grisi.
Cependant, c’est du journalisme qu’il tire la plus grande part de son « salaire littéraire ». Dès 1836, Gautier publie des critiques d’art, littéraires et théâtrales, des récits de voyages mais aussi nouvelles et romans avant leur publication en volumes. Ce sont des collaborations à La France Littéraire, La Presse, La Revue de Paris, Le Moniteur universel… et à bien d’autres titres, tant sa production est considérable … Là aussi, il ne cesse d’inventer dans un média encore jeune.
Critique d’art, il conserve de sa formation de peintre le goût de la forme et des couleurs et surtout l’acuité d’un regard. A partir de 1831, il fait le Salon chaque année ; il soutient notamment Delacroix, Ingres, Moreau et Chassériau dans Les Beaux-Arts en Europe, L’Art moderne. Critique littéraire et théâtral, après avoir exhumé Les Grotesques en 1844 pour contrebalancer le goût académique qui régnait alors, en 1858-1859, il réunit ses articles dans une Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans.
De ses séjours en Orient et en Méditerranée, il ramène des récits de voyages comme Tra los montes et Voyage en Italie.
Aussi, à sa mort en 1872, toute la littérature du siècle vient défiler en un ultime hommage dans le Tombeau que l’éditeur Alphonse Lemerre lui consacre.
Nathalie Hersent - direction des Collections, département Littérature et Art