- Hé, Boustoune! Tu viens à la nuit “Sushi Typhoon”?
- Euh… Non merci. Les sushis d’hier me sont restés sur l’estomac, alors je ne vais pas recommencer l’expérience. Il n’y a rien de pire que le poisson avarié…
Cela dit, Cold Fish c’est aussi une production Sushi Typhoon et c’est très bon… Mais la différence avec les nanars d’hier, c’est que là, il y a un vrai scénario, qui laisse penser d’abord à un drame familial, puis à une comédie, et enfin vire au thriller avec l’histoire vraie d’un des pires tueurs psychopathes que le Japon ait connu… Et surtout, il y Sono Sion aux manettes. Un vrai cinéaste, avec une vrai démarche artistique, des séquences qui respectent la grammaire cinématographique élémentaire et un total respect du spectateur. Ca aide…
Mais bon, pour aujourd’hui, je préfère rester dans du classique, merci… La Chair et le sang de Paul Verhoeven et Hitcher de Robert Harmon, c’est du connu et de la valeur sûre.
Et puis, comment refuser de passer toute une soirée en compagnie de Rutger Hauer, l’invité d’honneur du festival?
On se souvient de cet acteur aux yeux bleu-acier et à la stature imposante qui a connu son heure de gloire dans les années 1980, où il s’est distingué dans quelques pellicules aussi sympatoches que Blade Runner, où il affrontait Harrison Ford, Ladyhawke, aux côtés de Michelle Pfeiffer, ou, dans un tout autre registre, La Légende du Saint Buveur d’Ermano Olmi. On l’avait un peu perdu de vue dans les années 1990 – en France du moins – avant que Christopher Nolan et Robert Rodriguez ne le remettent sur le devant de la scène (dans Batman begins et Sin City).
Aujourd’hui, malgré l’âge respectable de 67 ans, il est toujours aussi actif, alternant les rôles dans des films d’exploitation décoiffant (comme Hobo with a shotgun) et dans des oeuvres art & essai plus pointues, et il n’a absolument rien perdu de son charisme et de son charme.
Visiblement content d’être de passage en France, l’acteur est tout d’abord venu présenter The Mill & the cross, un film polonais dans l’esprit de La Ronde de nuit de Peter Greenaway. Il y incarne le peintre Bruegel, au moment où celui-ci s’apprête à peindre son tableau “La Procession du calvaire” (ou “Le Portement de Croix” – 1564).
Il explique à son ami, le collectionneur d’art Nicolaes Jonghelinck (Michael York), le sens caché de son oeuvre, dénonciation de l’oppression politique et religieuse des espagnols vis à vis des flamands, alors essentiellement protestants.
On suit le destin – souvent tragique ou douloureux – de plusieurs personnages représentés dans la fresque, figures bibliques ou simples flamands persécutés par les soldats espagnols…
Le tout est filmé quasiment sans dialogues, pour laisser le champ libre aux images, conçues dans un style pictural très proche des tableaux de Bruegel. Il convient de saluer l’énorme travail technique effectué sur le visuel de ce film, et notamment l’étalonnage des couleurs, ajusté à la nuance près pour retrouver les tons utilisés dans les tableaux du maître flamand.
Pour le reste, l’accueil du public de L’Etrange Festival, habitué à des films un peu plus remuants, a été plutôt timide, pour ne pas dire assez froid. Mais ceci n’enlève rien aux qualités de l’oeuvre de Lech Majewski, ni à l’audace de son metteur en scène, qui, animé par sa passion pour l’oeuvre picturale ainsi décortiquée, va au bout de ses idées sans se soucier de plaire au plus grand nombre. Il est clair que ce film d’art & essai – l’appellation n’est ici pas galvaudée – contemplatif et épuré, n’est pas destiné au grand public. Plutôt à un circuit d’exploitation très pointu et certains festivals de cinéma…
Le second film de la soirée, La Chair et le sang, est plus conforme au cahier des charges de L’Etrange Festival, même si, là encore, il s’agit d’un film de genre assez atypique, qui sort délibérément des sentiers battus.
On ne va pas revenir trop en détail sur cette oeuvre archi-connue, qui marque les premiers pas de Paul Verhoeven aux Etats-Unis, avec un succès public et critique à la clé, et la dernière collaboration de Rutger Hauer avec son réalisateur-fétiche, puisqu’il se sont fâchés à cette époque-là et ont mis fin à leur fructueuse collaboration.
Disons seulement que c’est un film qui gagne à être revu sur grand écran et qui, à l’instar de son acteur principal, vieillit plutôt bien. Hormis un ou deux effets horrifiques assez ringards aujourd’hui, le film séduit par sa volonté de rompre avec les codes habituels du film d’aventures médiéval hollywoodien tout en proposant un vrai spectacle au spectateur.
Déjà, le personnage principal n’est pas un héros pur et vertueux mais un soudard revanchard, n’hésitant pas à piller, violer et tuer et traînant derrière lui une bande de gueux grossiers, brutaux et/ou illuminés.
Et l’héroïne n’est pas une lady vertueuse et innocente, mais une garce ambigüe et manipulatrice, hésitant entre son prince charmant un brin fadasse et le bandit qui l’a initiée aux plaisirs charnels…
Ensuite, Verhoeven se distingue en multipliant les scènes violentes – pour l’époque et pour le très conservateur cinéma hollywoodien des années Reagan – et en délaissant la partie action pour se focaliser sur les personnages et l’improbable romance entre les personnages joués par Rutger Hauer et Jennifer Jason Leigh.
Enfin, et là encore, c’est audacieux, le film, bien que produit au coeur du système, chatouille subtilement les grandes valeurs américaines. Le couple et la famille ne sont pas vraiment des havres de paix, la religion repose sur de faux-prophètes et des pseudos signes divins sur-interprétés, les puissants exploitent les plus faibles et en font de la chair à canon et les plus pauvres, représentés par le “héros” et sa bande, avec leur organisation “communiste” – tenues rouges et partage strict des richesses au sein du clan – sont plus sympathiques que le seigneur italien qui les a floués…
Il s’agit assurément d’un excellent film de genre, doublé d’un vrai film d’auteur, évoluant en marge du système avec une incroyable liberté de ton, que le cinéaste gardera encore, bien que de manière moins affirmée – hélas – dans ses oeuvres ultérieures…
Le public aurait probablement beaucoup apprécié un débat après ce film-là. Il était d’ailleurs prévu. Mais Rutger Hauer étant trop sollicité pour sa venue en France – un événement rare – le débat a été reporté après la projection du dernier long-métrage de la soirée, Hitcher.
Là aussi, il s’agit d’un grand classique que les cinéphiles amateurs de cinéma de genre connaissent déjà par coeur. Comme l’a précisé notre ami Rurik Sallé, le chauve le plus célèbre de Mad Movies : “Un film souvent copié, mais jamais égalé”. Certes…
Pour ceux qui, malgré tout, ne connaîtraient pas ce thriller exemplaire, disons qu’il parle de l’affrontement – psychologique et physique – entre Jim, un jeune automobiliste, et John Ryder, un tueur psychopathe particulièrement retors…
Tout commence quand le garçon, qui fait la route de Chicago à San Diego, manque de s’endormir au volant. Pour s’aider à rester éveillé, il accepte de véhiculer un auto-stoppeur égaré. Erreur fatale : l’homme, comme il le comprend très vite, est un tueur en série qui sème la terreur sur l’autoroute.
Sur le point de se faire lui aussi découper en rondelles, Jim réussit à éjecter son agresseur et à poursuivre sa route.
Mais il se rend compte que le tueur a réussi à monter dans une autre voiture et entend bien poursuivre son parcours criminel.
Pire, John Ryder, heureux d’avoir trouvé quelqu’un qui ait osé lui résister, entame un jeu du chat et de la souris avec le pauvre Jim, le manipule, le piège. Il le fait arrêter par les policiers, qui le croient responsable des meurtres, puis le fait libérer dans un bain de sang… Isolé, le jeune homme va devoir arrêter lui-même le psychopathe pour prouver son innocence et reprendre une “vie normale”…
Le film tient beaucoup sur la relation curieuse qui se noue entre Jim et le tueur psychopathe.
Le tueur sait qu’il a trouvé quelqu’un capable de l’arrêter, de mettre fin à sa cavale meurtrière. Et il fait tout pour endurcir le jeune homme, qui devra perdre son innocence pour s’en sortir.
C’est comme une relation entre un mentor et son élève, presque une relation père-fils… mais versant sado-masochiste…
Evidemment, Rutger Hauer est impressionnant dans ce que beaucoup considèrent comme son rôle le plus marquant, avec le réplicant de Blade Runner. Inquiétant et charismatique à la fois, il fait de son personnage une des plus fascinantes figures du thriller contemporain, un mètre-étalon du tueur psychopathe. “Souvent copié, jamais égalé…”
D’ailleurs, le remake de 2007 avec Sean Bean est très inférieur à l’original…
Cerise sur le gâteau, Rutger Hauer a offert aux spectateur un court-métrage qu’il a lui-même réalisé et interprété, Requiem 2019, une fable fantastique et écologiste (Hauer est un fervent défenseur de l’environnement), sorte de version futuriste et onirique de “Moby Dick”.
– Hé Boustoune, tu es sûr que tu ne veux vraiment pas assister à la nuit “Sushi Typhoon”? C’est l’heure, là…
- Désolé les gars, mais j’ai des goûts de luxe… Je préfère le caviar au sushi… Alors je vais rester encore un peu avec Rutger Hauer.
Oui, car, en dépit de l’heure tardive – minuit, l’heure du crime… – l’acteur néerlandais est venu rencontrer le public pour une longue discussion autour de ses films, de sa carrière et de sa conception du cinéma et du jeu d’acteur.
Il a défendu farouchement ses choix de carrière, la possibilité de pouvoir passer d’un film de genre à un film d’art & essai, a enjoint les réalisateurs amateurs à se lancer le plus tôt possible. Puis a évoqué quelques jolis souvenirs de tournage, démythifiant la fin de Blade Runner et la scène “de la colombe” ou la scène de Hitcher où il place deux pièces de monnaie sur les yeux du pauvre Jim (une improvisation totale…).
Bref, un grand moment de convivialité et d’humour, que l’on aurait aimé voir durer toute la nuit…
Mais le grand Rutger Hauer a quand même bien mérité de rentrer se reposer d’une journée parisienne bien remplie. Et les festivaliers ont eux aussi regagné leur pénates, des étoiles dans les yeux et un petit pincement au coeur en pensant à la journée du lendemain, point final de cette 17ème édition de L’Etrange Festival…
A demain, donc, pour la suite et la fin (snif) de ce voyage dans le fascinant monde de l’étrange…