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Louis Garon (17e siècle)

Par Jean-Jacques Nuel
Né à Genève en 1580, d’une famille protestante, Louis Garon remplit les fonctions de lecteur dans le prêche d’Oullins (Rhône) avant de devenir correcteur d’imprimerie. En 1609, il abjura pour se convertir au catholicisme.
De cet écrivain fécond, on trouve encore au fonds ancien des bibliothèques municipales quelques œuvres aux titres savoureux (Colloque des trois suppôts du Seigneur de la Coquille, 1610 ; Le chasse ennuy ou l’honnête entretien des bonnes compagnies, 1628…)
Les Stances sur l’ancienne confrérie du Saint-Esprit, ci-dessous reproduites, ont été rééditées au 19e siècle dans la Revue du Lyonnais (1837, tome 5).

*

Les « Stances sur l’ancienne confrérie du Saint-Esprit » présentent un double intérêt, poétique et historique : elles relatent un soulèvement populaire qui survint à Lyon, en 1403, durant les fêtes de Pentecôte. Le petit peuple de la ville se révolta contre les bourgeois et prétendit gouverner à leur place. La sédition fut vite et sévèrement réprimée. L’année suivante, à Pentecôte, on institua la fête du Cheval fol qui rappelait en le tournant en dérision le soulèvement populaire ; Louis Garon fut témoin de l’une des dernières célébrations de cette fête.

Sous Charles sixième on vit la populace
De Lyon mutinée et remplie d’audace,
Voulant fouler aux pieds tous les supérieurs,
Disant il ne faut plus qu’ores on nous commande ;
Nous avons notre tour, sus, sus, qu’on se débande,
Mettons dessous nos pieds et rois et gouverneurs.
Deux cents ans sont passés que la tourbe mutine
Renversant l’équité, la conduite divine,
Voulut le consulat à son tour gouverner ;
Et voulant saccager, brûler, mettre au pillage
Les plus riches bourgeois, par un conseil volage,
On la vit comme folle en armes s’élever.
Justice est sans respects où règne violence.
On ne peut tout soudain abattre l’insolence
D’un peuple mutiné, débandé de raison.
Il faut que peu à peu il passe sa furie,
Et comme ja vaincu par sa même folie,
On le trouve à loisir dans sa propre maison.
Pour fuir la fureur de cette hydre cruelle,
Les tours et les clochers servent de citadelle
Aux plus riches bourgeois ja de frayeurs tremblants.
Même l’abbé d’Ainay, en ces célèbres fêtes,
Se cantonne en ses tours, et à coups d’arbalètes,
Abat de ces mutins les assauts violents.
Encor ne parlait-on de l’horrible furie
Du canon, de la poudre, ennemis de la vie.
Le salpêtre subtil ne montrait ses efforts
Aux furieux combats, aux assauts, aux alarmes.
L’arbalète, l’épieu, l’épée étaient les armes
Qui mettaient les humains au royaume des morts.
(…)
Comme la populace est soudain animée,
Elle est en un moment abattue et domptée,
Connaissant à loisir son vice et son erreur ;
Tout ainsi qu’un torrent débordé par la pluie,
Ruine tout un pays en sa propre furie,
Tout de même est un peuple étant en sa fureur.
Ce feu du tout éteint, et clamé cet orage,
La tourbe ayant changé en douceur cette rage,
Comme un loup prisonnier, on la voit filer doux.
Le prévôt de l’hôtel mandé du roi arrive
Qui fait bien étonner cette race craintive,
Ayant tout à loisir apaisé son courroux.
Comme juge équitable envers telles canailles,
Il en juge plusieurs à passer aux pendailles ;
Le reste se sauva çà et là en exil.
Pour déchasser le mal et garder la police,
Il faut des vicieux faire bonne justice,
Surtout des boutefeux qui donnent le fusil.
Le peuple bien souvent se rend par trop facile
A croire un fol conseil, et d’un cœur malhabile,
Il cherche au désespoir son plus certain appui,
Et savourant les fruits de sa propre folie,
Souvent il s’y ruine ou il y perd la vie.
Le fol profite au sage et n’apprend rien de lui.
Pour suivre donc le cours de mes emprises belles,
L’abbé d’Ainay dévot rend grâces immortelles
A Dieu, accompagné du peuple qui le suit,
Et rendant de tel bien la mémoire éternelle,
Les gardes, le quartier consacrent la chapelle
Toute proche du pont, dite du Saint-Esprit.
Lors on institua la sainte confrérie
De l’heureux Paraclet, esprit qui vivifie
Les chrétiens réchauffés de la dévotion,
Confrérie séjour de joie et de liesse
Qui, d’un feu tout divin, comble notre allégresse,
Brûlant au ciel tout l’heur de notre affection.
Quant à ce cheval fol qui sautelle, qui danse,
Qui, au son du hautbois, cabriole et cadence,
C’est en dérision de ces fols mutinés
Qui, comme chevaux fols, couraient parmi la ville,
Voulant, à qui mieux mieux paraîtrait plus habile,
S’enrichir des trésors qu’ils auraient butinés.
Jadis les rois français portaient grand chevelure,
D’une riche couronne ils avaient la parure,
L’habit bleu aux lys d’or, et l’épée à la main.
Ces fols croyant jouir d’autorité égale,
Ont en dérision la parure royale,
Pour montrer à jamais leur malheureux dessein.
L’ancien souvenir d’une telle victoire
Se grave sur le front de l’heureuse mémoire
Pour tenir en raison tous les séditieux ;
Comme nouveaux Titans, comme enfants de la Terre,
Ils veulent au Très-Haut faire mortelle guerre,
Mais ils goûtent enfin un plaisir odieux.
Les rois sont fils du Ciel, Dieu garde leur couronne.
Un ange gardien toujours les environne.
Comme les oints sacrés du Seigneur des seigneurs,
En vain contre eux s’élève une troupe mutine ;
Puisqu’ils ont avec eux l’assistance divine,
Ils jouissent heureux des célestes faveurs.


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