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Eolas ... le juge avait tort !

Publié le 19 février 2011 par Jean-Marie Le Ray
Dans un billet publié en avril 2008, Maître Eolas, avocat de son état, se posait la question suivante : "Affaires Fuzz, Dicodunet, lespipoles et autres : et si le juge avait raison ?".
J'avais été interpellé par le ton du Maître qui s'en prenait de haut à la "secte du kiosque à journaux" :
Ha, l'analogie du kiosque à journaux. J'espère que celui qui a inventé la comparaison l'a déposé à l'INPI, il a des redevances à toucher. Comment espérez-vous comprendre si la première chose que vous faites est de changer les données du problème ? C'est assez amusant de voir qu'au reproche fait au juge de ne pas avoir compris les données technique se joint la comparaison d'un site internet à un kiosque à journaux (le trottoir, c'est le réseau, la chaussée le haut-débit, et les poubelles des pages 404, c'est ça ?). La seule réponse que j'ai à vous faire est : un site internet n'est pas un kiosque à journaux. C'est tout.
Ce à quoi je répondais, en commentaire :
On peut tout aussi bien dire avec le même aplomb : "un agrégateur n'est pas un éditeur. C'est tout."
Car si la jurisprudence naissante semble s'orienter sur l'équation agrégateur-blogueur = éditeur au seul motif d'afficher un lien sur lequel à la limite ils n'ont aucun contrôle, ni sur le contenu dudit ni sur son affichage (je rappelle quand même, s'il en était besoin, que s'abonner à un flux signifie être alimenté automatiquement par un flux - d'où le nom - d'infos, chose qui est loin d'être une lapalissade et qui a des conséquences évidentes, ou pour le moins qui devraient l'être, dans l'affaire Fuzz), en mettant indifféremment tout le monde dans le même panier - Dicodunet, Wikio, Fuzz et les autres, alors qu'en l'espèce aucun cas ne se ressemble -, j'ai la nette impression que cette orientation est due davantage à une sorte d'émulation, pour ne pas dire flemme intellectuelle, en vertu de quoi les juges ne font que répéter la même chose que le précédent sans vraiment prendre en considération ni les spécificités du cas particulier ni le texte de la LCEN, qui énonce exactement le contraire, comme je le dis dans mon billet.
 
Il est vrai que la LCEN ne prend pas du tout en compte ce que devrait être un éditeur, et encore moins un agrégateur, donc il est plus facile pour les juges de s'engouffrer dans ce vide juridique en disant que l'un égale l'autre sans qu'aucune loi ne dise encore, en 2008, ce qu'est un éditeur ou un agrégateur sur Internet.
Du grand n'importe quoi, tout ça.
N'ayant pas répondu à mon commentaire, il répondit à mon billet dans "Affaires Fuzz et autres, réplique à Adscriptor", en commençant ainsi :
Je ne pensais pas pouvoir y répondre rapidement vu sa longueur, mais en fait, il s'avère que la partie argumentative, au demeurant intéressante, peut se résumer aisément, le reste n'étant que des scories atrabilaires contre le droit, accusé d'être contraire au “bon sens”, comprendre celui de Jean-Marie Le Ray, ou votre serviteur, accusé de n'être qu'un valet dudit droit. L'auteur me pardonnera de passer rapidement sur ces paragraphes qui n'ont d'autre intérêt que lui permettre de passer ses nerfs, et lui conseiller amicalement de se relire et élaguer la prochaine fois avant de poster, par respect pour son lectorat et surtout son interlocuteur, faute de quoi ce dialogue risque de terminer prématurément.
Et en terminant sur cette gentillesse :
Qu'il suffise de se rappeler que le droit s'apprend à l'université, et le bon sens, au bistro.
Ce qui me semble un peu dédaigneux, autant comme entrée en matière que comme conclusion ! Un peu trop, même. D'où ma riposte et la coda plutôt vénéneuse. Mais après ces aménités, il m'était difficile de croire Eolas lorsqu'il prétend :
... chaque fois que j'aborde les affaires Fuzz, Wkio et autres, désormais, j'attire l'attention de gens dont le comportement me déplaît profondément. Je ne parle pas pas de vous, dont la courtoisie est sans faille, hormis quelques moments d'échauffement aussi brutaux dans leur montée que dans leur redescente ; mais vous semblez apprécier leur compagnie. Je vous les laisse volontiers.
Mon blog, ai-je la prétention de croire, est un lieu de dialogue, de confrontation d'idées. Les controverses peuvent être vives. Les piques sont monnaies courantes, mais l'honnêteté intellectuelle est de de rigueur. Ceux qui n'ont ni le talent pour les premières ni les capacités des secondes ne sont pas les bienvenus. Or parler de ce sujet les attire comme des mouches, et je suis las.
Or après que la Cour d'appel ait infirmé la décision du juge des référés, en considérant :
Que c’est l’internaute qui utilisant les fonctionnalités du site, est allé sur le site source de l’information, www.célébrités-stars.blogspot.com, a cliqué sur le lien, l’a recopié sur la page du site de la société Bloobox Net avant d’en valider la saisie pour le mettre effectivement en ligne sur le site www.fuzz.fr et a rédigé le titre ; qu’ainsi, l’internaute est l’éditeur du lien hypertexte et du titre ;
Que le fait pour la société Bloobox Net créatrice du site www.fuzz.fr de structurer et de classifier les informations mises à la disposition du public selon un classement choisi par elle permettant de faciliter l’usage de son service entre dans la mission du prestataire de stockage et ne lui donne pas la qualité d’éditeur dès lors qu’elle n’est pas l’auteur des titres et des liens hypertexte et qu’elle ne détermine pas les contenus du site, source de l’infirmation, www.célébrités-stars.blogspot.com que cible le lien hypertexte qu’elle ne sélectionne pas plus ; qu’elle n’a enfin aucun moyen de vérifier le contenu des sites vers lesquels pointent les liens mis en ligne par les seuls internautes ;
Qu’au vu de ce qui précède, il résulte que la société Bloobox Net ne peut être considérée comme un éditeur au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, sa responsabilité relevant du seul régime applicable aux hébergeurs ;
Considérant qu’à l’exception de certaines diffusions expressément visées par la loi relatives à la pornographie enfantine, à l’apologie des crimes contre l’humanité et à l’incitation à la haine raciale que l’hébergeur doit, sans attendre une décision de justice, supprimer sa responsabilité civile ne peut être engagée du fait des informations stockées s’il n’a pas effectivement eu connaissance de leur caractère illicite ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer les données ou en rendre l’accès impossible ;
Qu’il appartient à celui qui se plaint d’une atteinte à ses droits d’en informer l’hébergeur dans les conditions de l’article 6-l-5° de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 ; que dès cette connaissance prise, l’article 6-I-2 de la loi impose à l’hébergeur d’agir promptement” ; qu’en l’espèce, M. Olivier M. n’a adressé à la société Bloobox Net aucune mise en demeure en ce sens avant de l’assigner ;
un jugement confirmé en Cassation :
... attendu que la cour d’appel qui a relevé que l’activité de la société Bloobox-net, créatrice du site www.fuzz.fr, se bornait à structurer et classifier les informations mises à la disposition du public pour faciliter l’usage de son service mais que cette société n’était pas l’auteur des titres et des liens hypertextes, ne déterminait ni ne vérifiait les contenus du site, en a exactement déduit que relevait du seul régime applicable aux hébergeurs, la responsabilité de ce prestataire, fût-il créateur de son site, qui ne jouait pas un rôle actif de connaissance ou de contrôle des données stockées ;
il me semble, modestement, que les jugements d'Appel et de Cassation ont finalement rejoint mon raisonnement :
Là où le raisonnement de Jean-Marie Le Ray est erroné est qu'il n'accepte que l'hypothèse d'une responsabilité immédiate, conséquence directe d'une faute, toute autre hypothèse étant invalidée comme “contraire au bon sens”, ce qui est un peu léger dans un débat qui, ne lui en déplaise, est essentiellement juridique. Selon Jean-Marie Ray, seule la personne ayant publié une information illicite comme résultat d'un acte volontaire (donc soit le site qui rédige l'original de l'article soit l'usager qui le reprend sur Fuzz) seraient responsable de son contenu. Tous ceux qui reprendraient la nouvelle mécaniquement (Wikio) ou offriraient à quiconque les moyens de la faire figurer sur leur site (Fuzz) seraient irresponsables car ils n'auraient pas commis de faute ; tout au plus auraient-ils fait encourir le risque à des victimes de contenus illicites de donner une chambre d'écho à ces contenus, sans qu'on puisse les en blâmer parce qu'ils ne sont au courant de rien. Le triomphe de l'autruche, en somme.
Comme quoi le débat "essentiellement juridique" peut aussi fort bien s'accommoder du bon sens. Une façon comme une autre de rapprocher les bancs de l'université et du bistro.
Eolas, désolé, mais le juge avait tort, et vous aussi par la même occasion. Ça arrive parfois, même aux meilleurs.
Jean-Marie Le Ray
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P.S. Qu'il me soit permis de remercier ici Pierre Chappaz, qui a assuré de son soutien Eric Dupin dans cette longue bataille. J'aime particulièrement sa conclusion :
C'est le bon sens qui a gagné.

Liens connexes : série de billets publiés en 2008 sur les questions flux RSS, Fuzz, LCEN, etc.
  1. Olivier Martinez, l'acteur le plus en vue du moment (20 mars)
  2. Olivier Martinez et la vieille Dame (28 mars)
  3. Affaire Martinez/Fuzz : un jugement critiquable (30 mars)
  4. Eolas et la Secte du Kiosque à Journaux (19 avril)
  5. Eolas – Adscriptor : riposte (23 avril)
  6. L'affaire Martinez - Gala (27 avril)
  7. LCEN : les juges détournent-ils la loi ? (7 septembre)
  8. LCEN : entendons-nous sur les mots ! (8 septembre)
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