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Wilco | The Whole Love

Publié le 17 octobre 2011 par Deschibresetdeslettres
Wilco | The Whole LoveDe Wilco on ne retient généralement que Yankee Hotel Foxtrot, duquel même on extirpe parfois une vision partielle, périphérique et marginale : celle d’un disque qui pousse la pop à ses plus hauts degrés d’expérimentations. S’il est vrai que Yankee Hotel Foxtrot est un véritable laboratoire technologique, aux trésors de production inépuisables, il est un peu moins évident qu’il s’agit de la moelle épinière du disque. Sa signature irréductible est certes dans l’étrange lumière onirique qui le nimbe, dans les textures fantastiques de Jim O’Rourke, mais les entrailles de l’album sont autres, et elles sont au fond les mêmes que pour n’importe quel autre album des Chicagoans.
Il est étonnant en vérité que deux épisodes comme A.M. et Wilco : The Album soient à ce point minimisés dans la carrière du groupe. Disques simples, conventionnels, on a eu tôt fait de les ranger au rang de disques mineurs. Or se manifestaient en eux de la manière la plus éclatante le vrai songwriting de Jeff Tweedy, son vague à l’âme permanent, sa subtile ambivalence entre résignation et énergie, entre country-folk larvé et pop-rock plus conquérant. Dépouillé : c’est le terme qui correspond en fait le mieux à ces deux disques, car dépouillés des gestes fous de rats de studios qui viennent dans les autres efforts du groupes succéder à la composition proprement dite.
On se souvient de Summerteeth, construit d’abord comme un tranquille album de studio. Jeff Tweedy s’occupe des lignes de force, le reste du groupe accompagne et brode autour. Mais surprise au moment du mixage, quand tout semble ok, prêt à empaqueter, Tweedy et Jay Bennett reprennent le travail, sans le consentement des autres, ils coupent, taillent, évincent, surchargent, renchérissent ; d’un album de pop bien cadré ils érigent un album-poème où préoccupations de la forme et du fond se confondent.
Pour Yankee Foxtrot Hotel le procédé est similaire : l’expérimentation succède au classicisme, l’orgie d’arrangements extatiques se rajoute à des chansons de facture plutôt traditionnelle.
On en retient comme idée que chez Wilco, les ambitions exploratoires sont secondaires, elles viennent dans l’après-coup ou ne viennent pas du tout (comme dans ce discret album éponyme qui recèle pourtant l’écriture la plus subtile). Il n’est pas étonnant, dès lors, que le seul disque vraiment contesté du groupe soit A Ghost Is Born, par moments sublime, mais dont les innombrables embranchements peinent à retrouver leurs racines. Wilco, au fond et avant tout, est un groupe plutôt simple. Qui touche premièrement par son style – par la voix sobrement expressive de Jeff Tweedy, par ses textes immersifs, par ses mélodies si évidentes et en même temps si délicates, grâce aussi au talent irréprochable de musiciens qui jouent comme il se doit, en souplesse, en maîtrise et avec beaucoup d’engagement. Qu’après ce style-là soit déconstruit, reconstruit, déplacé dans des structures plus ambitieuses n’est qu’une source de plaisir augmentée – pas transfigurée, pas bouleversée, seulement augmentée. C’est pourquoi Yankee Hotel Foxtrot et Summerteeth sont si adulés : ils offrent quelque chose de plus, ils disposent d’un argument supplémentaire par rapport à la formule de base d'une formation d'alt-country qu'ils restent néanmoins.
Cette introduction est importante car c’est une des clés de compréhension possibles de The Whole Love, un nouvel album beaucoup plus compliqué à appréhender qu’il n’y paraît, un disque trompeur, qui peut se définir simultanément comme l’album le plus osé et le plus pauvre du groupe depuis des lustres. Il faut en effet retenir de ce préambule une chose très simple : il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, d'autant plus chez Wilco, où les originalités formelles doivent toujours être tractées par des bonnes chansons toutes simples.
Wilco | The Whole Love
Venons-en à notre première impression : The Whole Love décoiffe. Après le très intimiste et linéaire disque éponyme, après également un Sky Blue Sky parfois très anguleux et austère, ce nouveau venu apporte une fraîcheur extrêmement agréable. Varié, tant sur les styles abordés que les structures utilisées, il est vivifiant et très dynamique. L'ouverture qu'est "Art of Almost" en atteste puissamment, avec sa construction inhabituelle, avec ses arrangements surréalistes et son final destructeur. Hell Yeah, ça défouraille et l'idée surgit bien vite qu'on tiendrait-là un des meilleurs albums de Wilco. Idée pas saugrenue, puisque l'énergie déployée, l'enthousiasme de chaque instant et la liberté revendiquée sont des critères forts, instantanément accessibles. The Whole Love séduit de suite par son côté fougueux et emporté, son alternance efficace entre pop songs tout en tonus et ballades pleines d'étoiles dans les yeux.
Très vite se confirme donc que le point fort de cet album est son entrain juvénile, porté par des sections instrumentales étonnamment musclées et abrasives ("Born Alone", "Standing O"). On le sait, les musiciens de Wilco sont férocement doués. Et il n'y a pas que Nels Cline qui est cette fois mis en valeur – au passage toujours un des meilleurs guitaristes en activité – : on retiendra aussi la performance exceptionnelle d'un bassiste John Stirratt généralement plus en retrait. Souvent ainsi, le back band aiguisé des précédents albums se mue en front band explosif et, c'est le revers de la médaille, quelque peu démonstratif. Rock'n'roll, oui, mais un peu bourrin, tout comme ce retour soudain à la pop 60's qu'on avait plus entendu aussi frontalement depuis Summerteeth en 1998. Cette influence n'est pas critiquable en soi, bien sûr, on s'étonne juste qu'elle réapparaisse sous des formes aussi simplifiées, en l'occurrence avec des claviers tapotés frénétiquement et un peu bêtement. En quelques écoutes ces aspects d'abord galvanisants commencent à interroger.
The Whole Love nourrit en fait plus d'une ressemblance avec les dernières moutures de Yo La Tengo. Outre les ressemblances intrinsèques aux deux formations – deux institutions indie-rock dont l'âge d'or est derrière eux –, tous ces disques respirent la décontraction retrouvée. The Whole Love, I'm Not Afraid of You and I Will Beat Your Ass et Popular Songs sont trois même disques : des synthèses guillerettes et enlevées qui gagnent en candeur et en immédiateté ce qu'elles perdent en finesse et en créativité. Car ne nous y trompons pas, si The Whole Love paraît plus recherché que ses prédécesseurs, ce n'est qu'apparence. Il ne faut ainsi pas voir dans cette espèce de folie reconquise de grande valeur qualitative : elle est plutôt signe d'une forme de relâchement. C'est quelque chose de positif, au fond, puisque Jeff Tweedy paraît plus heureux et détendu que jamais. Et musicalement, cela se traduit par un régime créatif plus démocratique, par des arrangements moins pointilleux et par une spontanéité optimiste qui, on le sait, n'est pas l'humeur la plus appropriée pour écrire des grands disques.
The Whole Love transpire bien du plaisir de jouer ensemble, et nul doute que cet album joué live sera un beau moment d'émotion. Il n'en reste pas moins que, pris pour tel, ce disque pêche un peu dans tous les domaines. Surtout si l'on reprend notre métaphore de la charrue et des boeufs – les bases classiques en premier et la modernité dans un deuxième temps. Pas évident, il est vrai, de trouver ici beaucoup d'excellentes chansons, qui seraient tout autant à l'aise au naturel, dépouillées de tout artifice. "Dawned on Me", "Black Moon", "Rising Red Lung", "Whole Love" et guère plus. Pour les autres, les mélodies tombent moins bien qu'habituellement, elles semblent moins justes, moins inspirées, trop dépendantes de leur interprétation et de leur production ("Sunloathe", "Open Mind" etc.). Des chansons moyennes, donc, qui sont sauvées parce que Jeff Tweedy reste lui-même, un grand chanteur et un sacré leader. Mais même ce deuxième temps, celui de l'habillage des chansons, de leur exécution, de leur aménagement dans l'espace, ne livre pas grand chose de très réjouissant. Les arrangements sont un peu approximatifs, pas super inventifs, ils sont efficaces seulement et n'apportent à aucun moment la plus-value exceptionnelle qui signe les grands albums de Wilco. Rien de clairement emballant, donc, si ce n'est sur le très carillonnant "Capitol City", ou sur "One Sunday Morning", forcément, une balade de clôture de douze minutes à la progression inattendue, évitant le piège de la montée et du crescendo émotionnel pour jouer uniquement sur la répétition et les frises instrumentales pleines de retenue.
On ne boude pas ce que Wilco nous offre ; The Whole Love est agréable et réjouissant, un bel ami d'arrière-saison, enlevé et tendrement mélancolique. Mais l'évolution est courte. Dans ses moments les plus intéressants, nous sommes dans un disque de continuité. Les autres tentatives sont plus hasardeuses, jamais détestables mais quelque peu oubliables. Et de ce bonheur nouveau, de cette libération fraîchement affichée, Jeff Tweedy n'en sort pas vraiment de titres majeurs, surtout pas un "Art of Almost" bien trop poudre aux yeux pour ça, à la limite pourrions-nous plutôt féliciter "Born Alone" et "Whole Love", deux titres qui résument le projet pas totalement concrétisé de cet album : redonner à Wilco une adolescence, naïve, audacieuse et exaltée.

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