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La crise : ce que personne ne dit (suite N°3)

Publié le 08 novembre 2011 par Dubruel


par Louis Dalmas (son site) mercredi 2 novembre 2011

lu sur le site Agora vox


Puisque nous parlons des médias, permettez-moi un petit intermède à ce point de mon exposé. 

Vous savez tous que le nom familier d’un journal, c’est le “canard“. Or il ne vient pas du brave palmipède que vous appréciez dans votre assiette, mais d’une expression du vieux français, “bailler un canard“, qui signifiait raconter un mensonge ou faire une promesse impossible à tenir. En 1690, on lit dans le dictionnaire de Furetière : “On dit proverbialement donner des canards à quelqu’un pour dire luy en faire accroire, ne luy pas tenir ce qu’on avait promis, tromper son attente“. En 1845, Gérard de Nerval, dans son “Histoire véridique du canard“, écrit : “Le canard est une nouvelle quelquefois vraie, toujours exagérée, souvent fausse. (…) C’est un désastre, un phénomène, une aventure extraordinaire : on paie cinq centimes et on est volé.“ En 1870, Mérimée, dans une lettre à la comtesse de Montijo, assimile le canard à un ragot déformant la vérité, et Balzac, à son tour, fait dire à Hector, dans “Les illusions perdues” : “Nous appelons un canard un fait qui a l‘air d’être vrai, mais qu’on invente pour relever les faits quand ils sont pâles.“ “Canard“ a donne “canardier“, qui désignait le crieur de journaux, mais aussi le fabricant de fausses nouvelles. Ca n’a pas changé de nos jours. J’ai un ami qui me disait récemment : “mon quotidien ne me sert plus qu’à écraser une mouche ou envelopper le poisson“.

Pourquoi cette parenthèse ? Pas pour dire du mal de mes confrères qui bravent souvent de grands dangers pour exercer leur métier et dont beaucoup rapportent honnêtement ce dont ils sont témoins. Mais pour souligner qu’une veine de désinformation court depuis longtemps dans le rocher du journalisme, pas à la base sur le terrain, mais au sommet, dans les étages de la direction. C’est à ce niveau supérieur que se nouent les complicités, que se décident les positions à prendre, que se définissent les tabous dont on ne parle pas, que s’organisent les campagnes, que se fabrique l’endormissement du public.

Ce n’est pas par hasard que le mot “canard“ évoque une tradition de mensonge. Un mensonge multiforme, qui va du simple choix des sujets à la falsification des faits. Au bas de l’échelle, à part les “scoops” de Voici et les “buzz” des ragots mondains, il existe toujours un journalisme d‘investigation. Mais il se limite en général aux petits scandales personnels que laisse filtrer tel ou tel personnage connu désirant couler un concurrent. Ou à des affaires montées en épingle pour pimenter la saga des “people”, et que le pouvoir finit par étouffer. Ce remue-ménage à courte portée fait croire à une liberté d’expression, et donne bonne conscience à mes confrères. Ils s’imaginent faire preuve de courage en “révélant” une malversation ou une indélicatesse, mais en fait ils remuent une merde ponctuelle qui ne remonte pas plus haut que les doigts de pied. C’est beaucoup plus haut, et plus largement, au niveau des affaires internationales, que s’étale la grande trahison de la vérité. C’est là que le mensonge prend toute sa force, car plus que bousculer une vedette de l’actualité, il dupe des peuples entiers.

Là, la tradition est forte, pour une raison fondamentale : la plupart de nos grands médias ne sont pas indépendants.

A trois égards.

D’abord, à la différence de leurs confrères anglo-saxons, ils font très mal la différence entre le news et les views, c’est-à-dire entre les faits et les opinions, entre le reportage et l’éditorial, entre le compte rendu et le commentaire, entre le journalisme et la politique. Et quand on ne sort pas de ce mélange, l’intérêt de la nouvelle cède forcément le pas aux intérêts des dirigeants. Bon gré mal gré, l’information est biaisée, elle s’imprègne de propagande. La pensée dominante, orientée dans le sens des maîtres, s’impose aux dépens de la réalité.

Ensuite, la vie même de nos grands médias dépend de la publicité. Les responsables ont beau dire que les annonceurs n’influent pas sur leurs rédactions, ils font partie de l’espace de richesse dirigé par les banques, et ils tiennent les cordons de la bourse. Leur soutien est forcément conditionné par certains tabous, ou pour le moins par certaines orientations. Et sans aller jusqu’à évoquer de grandes signatures qui ne sont pas à l’abri de sollicitations rémunérées, il faut tenir compte de la masse de matériel fourni par les directeurs de communication, les agences de relations publiques et les attachés de presse. Une situation malsaine qui infléchit forcément le contenu des médias et ne contribue pas à l’impartialité de leur information.

Enfin, le corpus de la pensée “officielle” pèse aussi lourdement sur ce contenu. De deux façons : par l’autocensure et le mimétisme. L’autocensure est la convention tacite de ne pas parler de certaines choses pour ne pas choquer, perturber ou offenser des catégories de spectateurs ou de lecteurs. L’extrême prudence en ce qui concerne tout ce qui touche à la religion ou aux origines ethniques en est une illustration. Le mimétisme est la surenchère dans le traitement d’un même sujet, qui donne lieu à d’extraordinaires campagnes où tous les médias disent la même chose en même temps, pratiquement sans vérifier les sources et sans tenir compte des contradictions ou des démentis.


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