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SALLE 5 - VITRINE 4 ² : LES PEINTURES DU MASTABA DE METCHETCHI - 5. QUELQUES PRÉCISIONS TECHNIQUES (Troisième partie)

Publié le 29 novembre 2011 par Rl1948

 

   Alors qu'il avait été initialement annoncé que nous terminerions ce matin la trilogie de nos rendez-vous "techniques" en prémices à l'étude des fragments peints du mastaba de Metchetchi exposés ici, dans la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, un questionnement de mon ami Jean-Claude, appuyé par deux autres fidèles lecteurs, à propos de mon intervention de samedi m'invite, après avoir succinctement répondu, à développer mon propos de manière plus prolixe pour évoquer les phases successives de la réalisation du programme iconographique d'une tombe égyptienne de l'Ancien Empire, choix chronologique motivé, vous ne l'ignorez plus maintenant, par le fait que Metchetchi vécut à la fin de la Vème dynastie, à la cour du roi Ounas.

   A la différence des témoignages qui nous sont parvenus concernant l'art de la XVIIIème dynastie, au Nouvel Empire, nous ne savons que peu de choses sur le monde des peintres et des dessinateurs - comme d'ailleurs sur celui des sculpteurs - de l'Ancien Empire dans la mesure où, contrairement à l'art des époques ultérieures jusqu'à la nôtre, les oeuvres égyptiennes antiques, à quelques rares exceptions près, ne furent pas signées. De sorte que, sauf à reconnaître l'une ou l'autre "griffe" bien distincte en un même temps dans des tombes différentes, il n'est pratiquement pas possible de savoir avec exactitude qui faisait quoi.

   Les peintures funéraires - à l'instar de l'art de  l'égypte antique -, étant, comme j'ai eu souvent l'opportunité de l'expliquer, utilitaires, c'est-à-dire visant à une certaine efficacité, possédaient une vertu performative et magique. De sorte que l'artiste passait au second plan, derrière son commanditaire, derrière sa réalisation. Importait peu, à vrai dire, son patronyme, seule était prise en compte sa valeur en tant que détenteur d'un savoir technique. Valeur reconnue par le souverain qui l'employait et qui lui permettait, parfois, d'être détaché de la Cour pour se rendre dans n'importe quel nome du pays aux fins de s'occuper de la tombe d'un notable que le roi voulait particulièrement honorer au titre de services rendus ; comme ce fut le cas pour Metchetchi !

   Même si, dans le corpus des documents que nous ont laissés les Egyptiens, n'existe nul traité théorique ressortissant au domaine de l'esthétique comme par exemple celui qu'a rédigé, au début du XVème siècle de l'ère commune, le peintre toscan Cennino Cennini, à propos de l'art de la Renaissance - Il libro dell'arte (Le Livre de l'Art) -, et, notamment de la préparation d'une fresque - ce qui nous reporte au débat apparu au sein des commentaires après notre rendez-vous de la semaine dernière -, quelques témoignages sourdent ça et là - notamment avec la stèle C 50 exposée ici, en la salle 28 du premier étage, d'un certain Dédia qui, un temps, dirigea les dessinateurs d'Amon -, qui nous indiquent que la profession était nettement hiérarchisée tant pour ce qui concerne les étapes du travail que les compétences de tout un chacun. C'est donc sur cette segmentation des tâches, prouvant à mes yeux la présence d'équipes plus ou moins importante, d'hommes aux aptitudes, au savoir-faire différents  que je me propose de quelque peu vous entretenir ce matin ...

   La première d'une longue série de phases, vous vous en doutez, consistait à tailler dans la roche les pièces du complexe funéraire ; dégrossissage qui incombait aux carriers. L'égyptologue belge Arpag Mekhitarian, dans son superbe ouvrage consacré à la peinture égyptienne explique même qu'à ces hommes revenait la tâche de lisser la paroi de manière à masquer les défauts de la pierre.

   Peut alors, et seulement alors, être envisagée, sur l'enduit final étalé sur les strates précédentes, l'étape du carroyage.

     Sur ce fragment  (E 25527) des porteuses d'offrandes à Metchetchi,

-Paris--103.jpg

l'on distingue à nouveau très bien la présence de semblable mise au carreau.

   Il fallait en effet, avant que s'entame l'esquisse proprement dite, que quelqu'un réalise une graticulation préparatoire de manière à dessiner selon un canon bien précis, différant parfois d'une époque à une autre : j'en veux pour preuve le fait que 18 cadrats parurent suffisants pour contenir en hauteur la figuration humaine avant qu'Amenhotep IV/Akhenaton, ce souverain qui, un seul quart de siècle durant, changea considérablement les donnes de l'histoire égyptienne, en ce comprise celle de l'art, décide d'imposer l'ajout de deux carreaux supplémentaires. Il fut alors impératif que l'artiste, à l'intérieur de cet ensemble de carrés, respectât la convention qui voulait qu'un certain nombre d'entre eux soient réservés aux corps,  un autre aux visages, etc.


   Activité consubstantielle, le dessinateur devait également déterminer la mise en place des scènes escomptées, l'espace réservé à chacune d'elles sur la paroi murale, la délimitation des différents registres ... ; bref, il oeuvrait à ce que tout s'harmonise dans un périmètre déterminé et visuellement compartimenté par des lignes de sol ou des colonnes de motifs divers.


   Rien à voir à proprement parler avec l'Ancien Empire, mais je voudrais néanmoins mentionner ici que pour la XVIIIème dynastie, au Nouvel empire, donc, les égyptologues disposent, provenant des fouilles de Bernard Bruyère à Deir el Médineh, sur lesquelles j'avais déjà eu l'occasion, au printemps 2009, de vous entretenir trois mardis consécutifs, de quantité phénoménale d'ostraca réalisés par les artisans qui avaient pour fonction d'aménager les hypogées de la Vallée des Rois ; éclats de calcaire dont certains portaient ébauches d'un corps ou d'un visage qu'il arriva de retrouver, agrandi et peaufiné bien sûr, dans un hypogée royal.
   Je rappelle aussi que, dans le même esprit, un Léonard de Vinci nous a laissé maintes esquisses, sanguines ou dessins à la plume, - Etudes des proportions de l'oeil et du visage (1489-90), Etudes de têtes barbues (1502), et d'autres et d'autres -, destinées à se faire la main avant d'entamer une toile officielle.

   Revenons, si vous le voulez bien, aux peintures murales de l'Egypte antique. Deux hommes se révèlent absolument nécessaires pour la mise au carreau évoquée à l'instant : l'un tendait le cordeau préalablement trempé dans de l'ocre rouge suffisamment diluée pour que l'autre, qui le claquait d'un geste bref contre la paroi, permît à la couleur d'ainsi délimiter ce qui allait devenir les lignes directrices de l'ensemble de la scène.  

   Quand tous ces travaux de mise en place étaient terminés, travaux qui relèvent donc à mes yeux de plusieurs mains car ce sont pour la plupart des techniques différentes, donc des métiers bien distincts, le scribe des formes, comme préfère l'appeler Dimitri Laboury, peut silhouetter personnages, animaux et objets divers. Ces esquisses graphiques des scènes à venir, il les propose également à l'ocre foncée qu'il s'est préparée, le plus souvent dans un récipient qu'il tient de la main gauche si, d'évidence, il est droitier. 

   Intervient alors une autre catégorie d'artiste : celle du maître d'oeuvre, comme je l'ai appelé, d'inspecteur (ou chef) des dessinateurs peut-on lire sur la stèle (C 50) à laquelle j'ai ci-avant fait rapidement allusion qui, aux traits noirs, corrigera éventuellement ce qui lui paraît soit peu esthétique, soit peu conforme au bon respect du code des proportions en vigueur.
   Chez Metchetchi, au niveau du fragment (E 25517)

-Paris--097.jpg

que nous avons ici devant nous et déjà considéré samedi, vous pouvez constater que l'artiste n'a pas pris soin d'effacer ses traits initiaux

   A ce propos, précisément, François m'a aimablement proposé, dans son commentaire de dimanche dernier, une réflexion du restaurateur de peintures italien Giorgio Capriotti qui conseille judicieusement, dans cet extrait qu'il me plaît d'épingler pour vous, de renoncer aux critères esthétiques de notre sensibilité moderne et d'assumer une mentalité où la fonction l'emporte sur l'expression, reconnaissant tout d'abord à la tombe peinte son rôle principal, selon lequel les textes et les images participent, tout comme le mobilier funéraire, à la mise en scène d'un rite.

   C'est fort heureusement ce non-effacement, auquel l'on peut associer le fait que, pour des raisons sur lesquelles les égyptologues ne se sont pas encore mis d'accord, il n'existe pratiquement aucune tombe de l'Egypte ancienne dont le programme iconographique soit complètement achevé, qui permettent une meilleure appréhension, une meilleure compréhension des étapes qui se sont succédé pour aménager la maison d'éternité des notables.

   Quand d'aventure tous ces préliminaires étaient achevés, un peintre-coloriste pouvait alors compléter, avec ses différents pigments - car, je le rappelle, tout ce qui précède s'est esquissé en rouge et corrigé en noir -, par  grands aplats, l'intérieur des esquisses de départ.

   Et là, il ne faisait rien d'autre que de reproduire un geste déjà consacré aux dynasties antérieures, quand la stabilité politique et la richesse de la civilisation des premiers temps de l'Ancien Empire permettaient une décoration pariétale gravée de bas-reliefs que la couleur venait compléter !

   Dès la fin de cette époque faste, soit au terme de la Vème dynastie, à l'époque de Metchetchi, et toute la VIème, les restrictions budgétaires - eh oui, en ces temps-là aussi ! -, eurent l'abandon des reliefs, relativement onéreux, pour première conséquence et l'obligation de se contenter des seules figurations peintes, nettement moins coûteuses, pour seconde.

   Les pigments. Nonobstant qu'ils constitueront le coeur même de notre dernier entretien technique, samedi prochain, j'aimerais aujourd'hui les évoquer sur un plan social : il semblerait en effet, quand on procède à une étude comparative de plusieurs tombeaux que, quand l'éventail des matières colorantes utilisées est restreint, nous serions en présence d'un seul artiste pour réaliser l'ensemble de toutes les scènes et, a contrario, qu'une palette de teintes étendue - comme c'est le cas chez Metchetchi -, prouverait l'existence de plusieurs peintres pour se consacrer à un même mur.

   Grâce à la relativement bonne conservation des couleurs de son mastaba, je puis avancer, fort des analyses requises par le laboratoire auquel j'ai fait allusion samedi, que différents pigments furent employés, provenant de différentes régions du pays parfois géographiquement bien éloignées les unes des autres. Or l'on sait que les artistes - dépendant d'ailleurs essentiellement du pouvoir royal - devaient eux-mêmes se procurer les matières premières qu'ils utilisaient. De sorte que tous n'avaient pas l'opportunité de sillonner l'Egypte et ses environs pour ramener l'ensemble des teintes de la palette idéale.

   En outre, il nous faut considérer qu'être habile à fabriquer des pigments à partir d'éléments qui se trouvent dans la nature ; être habile à les mélanger pour obtenir des teintes plus ou moins claires ou plus ou moins foncées ; être habile à respecter des codes en vigueur pour l'utilisation de certains d'entre eux - j'y reviendrai samedi -, tout cela constitue à mes yeux une autre tâche à laquelle ne se résout pas nécessairement celui qui les utilise. C'est d'un autre métier qu'il s'agit également là ! Il n'est dans cette phase du travail plus question des seules teintes noire ou rouge !

   Multiplicité des métiers. Giorgio Capriotti, dans une autre réflexion fournie par François, ne dit rien d'autre quand il avance que, dans le cadre d'une organisation du travail fortement structurée en équipes où la répartition des rôles est rigoureusement ordonnée, les phases de réalisation de l'oeuvre sont intuitivement conçues comme une action collective visant à la réalisation rapide d'un projet.


   Enfin, à toute cette argumentation qui n'a d'autre motivation que vous convaincre à concevoir une répartition des tâches en fonction de plusieurs corps de métier distincts, j'ai même envie, amis lecteurs, d'en ajouter une supplémentaire qui me vient à l'instant à l'esprit : comme le nombre de personnes sachant écrire était extrêmement réduit, il se peut très bien qu'un scribe particulier fût requis pour ne dessiner sur une paroi que les signes hiéroglyphiques, laissant à d'autres la charge de les colorier. 

   Si quelques artistes pouvaient être considérés comme faisant partie intégrante d'une élite intellectuelle, d'autres, au contraire, apparaisaient comme peu lettrés : c'est en effet ce qu'il ressort d'une enquête jadis menée par feu l'égyptologue belge Jean-Maris Kruchten qui concluait que certains devinaient plus qu'ils ne comprenaient le sens de plusieurs hiéroglyphes qu'ils écrivaient en fait de mémoire. Malheureusement, elle leur faisait parfois défaut ! D'où des erreurs sémantiques et orthographiques çà et là dans des tombeaux ...

     Arrivés au terme de notre rencontre de ce matin, et avant que, samedi 3 décembre prochain, nous clôturions cette tétralogie d'entretiens par l'évocation de la composition et de l'origine des pigments constituant la palette du peintre égyptien, je dois à la vérité d'ajouter qu'à l'Université de Liège, les récents travaux de recherche du Professeur Laboury concernant spécifiquement les peintres officiant dans les tombes privées thébaines à la XVIIIème dynastie dont on retrouvé l'une ou l'autre "signature", auraient tendance à démontrer qu'un seul et même artiste assurait toutes les étapes du programme iconologique de la chapelle funéraire d'un notable, depuis la mise en place de l'enduit sur lequel les premiers traits sont appliqués jusqu'à la finition complète de l'oeuvre.

     Mais la XVIIIème dynastie, chronologiquement, est bien éloignée de la Vème, dont Metchetchi faisait partie. De sorte que les recherches en cours de Dimitri Laboury constituent un tout autre chapitre encore à écrire de l'histoire de l'art égyptien sur lequel, un jour peut-être je reviendrai si l'occasion m'en est donnée, ici, au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre ...

(Capriotti : 2007, 83-84 ; Laboury/Tavier : 2010, 91-106 ; Laboury ² : 33-46 ; Mekhitarian : 1978, 28 ; Ziegler : 1990, 8-20 ; 123-51)


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