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Les Cahiers Russes (Igort)

Par Mo
Les Cahiers Russes

Igort © Futuropolis - 2012

Suite indépendante des Cahiers Ukrainiens, Les Cahiers Russes d’Igort relatent son voyage en Russie. Suite car c’est la même démarche que l’auteur poursuit. Indépendante car le sujet de son enquête est différent. Ici, Igort part de la mort de la journaliste Anna Politkovskaïa abattue pour avoir dénoncé la politique de Poutine et les atrocités de la guerre de Tchéchènie.

« J’ai été choqué lorsque, le 7 octobre 2006, Anna Politkovskaïa a été assassinée dans l’ascenseur d’un immeuble anonyme de Moscou. Je me rappelle avoir écrit quelque chose sur mon blog à ce sujet, bien qu’il soit réservé habituellement à la narration. Anna était morte. Une lumière s’était éteinte de quatre coups de Makarov dans le ventre et dans la tête.
La brutalité d’une démocratie travestie, à laquelle les soviétologues ont donné le nom de démocrature, avait parlé.
Pour ma part, je ne savais pas encore que, seulement trois ans plus tard, je rentrerais dans cet ascenseur, au numéro 6 de Lesnaja Ulitza, que je parlerais avec les personnes les plus proches d’Anna. Que je suivrais certains de ces parcours  en quête d’un sens, malgré les questions qui se multipliaient en moi » (extrait de la présentation d’Igort sur le blog de Futuropolis).

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Les Cahiers Ukrainiens m’avaient laissée sans voix. Remuée, mal, cette lecture m’avait pourtant ouvert tout un pan de l’histoire ukrainienne que j’avais méticuleusement pris soin d’oublier. Pourtant, malgré l’insupportable de certaines scènes, malgré la violence des témoignages, je voulais lire ce second volet du voyage d’Igort.

Quelques mots sur l’auteur pour commencer, Igor Tuveri alias Igort est né en Italie. Ses parents sont originaires de Russie. Il publie dès l’âge de 20 ans et trouve peu à peu écho auprès des éditeurs francophones (Les Humanoïdes associés à partir de 1991, Amok éditions et Coconino Press en 2001, Casterman en 2002… la collaboration avec Futuropolis débute en 2009 avec le premier tome de La Ballade de Hambone). L’histoire de sa famille l’a conduit à s’installer en Ukraine. D’abord de façon temporaire puis de manière plus stable puisque cela fait maintenant deux années qu’il passe là-bas. Les Cahiers Ukrainiens sont d’ailleurs un moyen pour l’auteur de partager ses carnets de voyages, retranscrivant ses rencontres, illustrant les régions qu’il a traversées…

Les Cahiers Russes (Igort)Si le premier tome m’avait heurtée malgré l’intérêt que je lui ai porté, je pensais être plus à même de faire face à la force de ce nouvel album. S’appuyant sur un graphisme sobre et sans aucun artifice, Igort relate le fruit de ses recherches sur le parcours d’Anna Politkovskaïa. L’ouvrage accueille le lecteur sur les faits tels qu’on les connait aujourd’hui et les circonstances de son assassinat puis, on part dans des allers-retours entre passé et présent (on y côtoiera notamment l’amie et traductrice française d’Anna : Galia Ackerman). Igort reconstitue le puzzle, met en exergue toutes les répercussions (sociales, politiques…) de l’action menée par la journaliste russe. Il aborde les pressions dont elle a été l’objet et son modus operandi professionnel, rend compte de son combat, de ses valeurs éthiques et humaines. Il livre-là un superbe hommage à cette femme.

Pour enrichir le contexte dans lequel Anna Politkovskaïa est intervenue, Igort intègre de nombreux témoignages, essentiellement ceux de civils tchétchènes victimes de la guerre et des brutalités des soldats russes. Ces derniers considèrent les Tchétchènes comme une sous-race animale juste bonne à leur servir d’exutoire. Ainsi, Les Cahiers Russes sont à l’image de leur prédécesseur -Cahiers ukrainiens- puisqu’ils dévoilent l’horreur et la cruauté auxquelles sont confrontés les Tchétchènes depuis des décennies. Viols, tortures et « zatchistka » (en termes militaires, cela signifie une opération de nettoyage).

Mais dans un contexte où le massacre des Tchétchènes est une pratique quotidienne et le passe-temps préféré des soldats russes en garnison dans le Caucase, les zatchistkis ne sont rien d’autre que des razzias, des expéditions punitives. La violence gratuite contre les gens sans armes, les femmes, les vieux ou les enfants, est comme une drogue, une dépendance. A tel point que les soldats qui sont retournés en Russie ne peuvent pas s’en passer et se dépouillent entre eux (propos d’Igort).

Une nouvelle fois, la violence m’a submergée. Récalcitrante à l’idée d’abandonner cet album, captivée par le travail d’Igort, c’est une réelle ambiguïté qui m’a accompagnée durant toute la lecture. Régulièrement parcourue par des frissons qui me remontaient le long de l’échine, parfois sujette à des haut-le-cœur à la découverte de certains témoignages et/ou de certains visuels, je suis sortie mal à l’aise. Je ne dirais pas « plus fort que le premier album », je dirais « différent » car je m’étais tout de même préparée à l’idée de me retrouver dans cet état d’esprit. Le genre d’album qui, lorsqu’on le referme, nous prive de toute envie de parler. Dans les Cahiers ukrainiens, j’ai été marquée par un passage où une femme parlait de son enfance et où, face à la famine, les gens n’avaient d’autre alternative que celle de manger leurs morts. Ici, ce sont les « anecdotes » de deux enfants de 16 ans qui m’ont frappée : l’un fut violé à maintes reprises par les soldats russes, quant à l’autre… ils lui ont scié les dents avec du fil de fer…

Une Guerre sale qui ne laisse d’autre choix – aux bourreaux comme aux opprimés – que celui de sombrer dans la folie. Une folie teinte de noirs, bruns, rouille sang et verts… des couleurs qui portent toute la mélancolie, toute la souffrance et toute l’absurdité de ces vies. Les dessins d’Igort sont réalistes. Ils ne s’attardent pas sur les détails, griment souvent une expression de visage en un masque d’horreur ou d’hébétude… le rendu est très fort. Comparé à d’autres reportages (journalisme d’immersion), je n’ai jamais eu ce ressenti. Par exemple, sur les dessins de Joe Sacco qui, bien qu’il décrive lui aussi les horreurs de la guerre, ne me prend pas à partie comme ici. La rondeur de ses traits exclu la violence (qui agresse le lecteurs) dans ses illustrations, ce qui n’est pas le cas dans le mode d’expression d’Igort.

Les Cahiers Russes (Igort)Une lecture difficile, pour public averti mais c’est malgré tout, un témoignage que je vous conseille.

La chronique d’Arianne, d’Aurélie Champagne sur Rue89, la présentation de l’ouvrage sur le site d’Amnesty International et le podcast de l’émission du 18 janvier 2012 sur France Inter.

Extrait :

“Mais la réponse à mes questions ne soufflait pas dans le vent et les étendues blanches ne me donnaient nullement le sentiment de paix et de réconfort que j’avais espéré. Dans cet hiver moscovite, la tension était palpable, un sentiment de malaise croissant auquel je ne savais pas encore donner un nom. La Grande Mère Russie offre aujourd’hui un destin oppressant à ceux qui s’occupent des droits de l’homme, à ceux qui n’acceptent pas les vérités préfabriquées” (Les Cahiers Russes).

Les Cahiers Russes

Challenge Petit Bac

Catégorie Objet

- La guerre oubliée du Caucase-

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur / Scénariste : IGORT

Dépôt légal : janvier 2012

ISBN : 9782754807579

Bulles bulles bulles…

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Les cahiers russes – Igort © Futuropolis – 2012


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