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« La foudre qui la brise, c’est le membre d’un homme, mais la gloire d’un abbé »

Publié le 06 février 2012 par Donquichotte

Pierre Michon

« Abbés »

Michon, à propos de ce livre, aurait dit : « C'est un truc qui a été écrit en quinze jours. (...) C'est l'inverse exact des Onze. Pour l'écriture, j'avais très peu de documentation et je l'ai fait en trois coups de cuiller à pot. »

Il aurait aussi dit : « Chacun de mes récits est écrit d’un seul élan pour ne pas perdre de vue mon incipit et amener mon émotion de départ intacte jusqu’à la fin. »

Cela paraît peu probable, que le texte ait été écrit aussi rapidement, et avec peu de documentation, tellement le texte est comme les autres, - d’un souffle qui essouffle - une trame – affabulée ou non - qui texture, une ou des idées bien ancrées qui conspirent, ou se contredisent, des images évoquées et pourtant si réelles parce qu’on les voit dans sa tête tellement elles sont précises, brèves et surtout, si pures de mots, métaphorées. Et comme il le dit, celles-ci, idées et images, naissent d’un seul souffle, qui porte loin et durablement ; l’émotion que je ressens est palpable, je suis assis, confortablement, je goûte chaque mot, je lis très lentement, j’ai peur que la phrase s’achève trop vite, qu’une autre idée ou image la remplace ; j’ai peur de perde la fièvre qui monte, la salive qui mouille mes lèvres, et les mouvements du cœur qui s’abandonne aux tumultes de l’histoire racontée. Oui, l’écriture est parfois cruelle, - il en est ainsi des désordres de l’histoire du Moyen Âge - ainsi ce Hugues que le fer va couper en deux ; ou cette dame Ermengarde de Thouars, cravachée, renversée, effondrée et laissée aux fauconniers et valais qui vont user d’elle.

J’aime quand l’émotion demeure intacte jusqu’à la fin ; les textes de Michon, habituellement courts, je me les lis d’une traite. Mais lentement, sagement ; car il arrive que « je n’entende guère sa langue », alors, je la relis. Je me sens parfois comme l’indigène face à l’abbé, pêcheur de mots, et mes filets sont embarrassés quand je ne sais plus s’ils sont maillants ou droits, traînant ou cernants, à mots nouveaux ou à mots inventés.

Alors je cherche dans le dictionnaire. Ainsi...

-   Haubert : chemise de mailles à manches, à gorgerin (partie inférieure d’un casque servant à protéger le cou et composée d’une ou plusieurs pièces métalliques articulées à recouvrement) et à coiffe, que portaient les hommes d’armes au moyen-âge, un genre de cotte de mailles.

-   None : (après vêpres et none) Neuvième heure du jour. À peu près vers 15 heures.

-   Coule : vêtement à capuchon porté par certains religieux. La coule des moines.

-   Broigne : c’est l’équivalent de haubert. Du francique brunnia, « protection pour la poitrine du combattant ». (francique : langue des anciens Francs, variante du germanique occidental, reconstituée de façon hypothétique).

-    Charron : celui qui fabrique ou répare les chariots, les charrettes, ainsi que les roues de ces véhicules.

-   Timon : longue pièce de bois disposée à l’avant d’une voiture ou d’une charrue, et de chaque côté de laquelle on attelle une bête de trait.

-   Laudes : Liturgie catho., partie de l’office divin qui se chante à l’aurore après matines, et qui est principalement composée de psaumes à la louange du seigneur.

-   Complies : Liturgie. Dernière heure de l’office divin, qui se récite ou se chante le soir, après les vêpres.

-   Absoute : Prière dit devant le cercueil, aux funérailles.

-   Glèbe : Motte de terre, sol cultivé, fonds de terre...

-   Tadorne : Oiseau palmipède, canard migrateur de forte taille.

-   Traque : dans un contexte érotique, « tu m’excuseras, mais je te quitte, j’ai une traque », dit de l’homme qui se met en chasse...

-   Béer : Du latin pop « batare », venir la bouche ouverte. On connaît bien l’expression « bouche bée ». Penser aussi à « béant », grand ouvert.

-   Loupiote : Petite lampe.

-   Drosser : Ici Michon écrit «Théodelin et Pierre sont drossés tout contre l’autel ». Il y a peut-être méprise. Le terme « drosser » est un terme de marine, d’origine incertaine, peut-être emprunté au néerlandais « drossen », qui signifie « entraîner vers la côte », ou « détourner de sa route ». Donc, peut signifier ici, « dériver ». Ou mieux, si je me réfère à « drosse » qui signifie « cordage pour l’arrimage des canons », Michon veut-il écrire « arrimés à l’autel » ?

-   Bauge : dans l’argot ancien, coffre, malle.

Je comprends que certains de ces mots, je les avais devinés, ainsi « béer, absoute, loupiote », par le contexte de l’événement ou des faits décrits; d’autres, je les avais imaginés, « broigne, haubert, coule »,  par le contexte médiéval et des gens de la chevalerie et des monastères. Mais en tous les cas, cela m’amuse beaucoup de les retracer dans le dictionnaire et de me les préciser. On sort de là plus instruit.

Mais revenons au texte.

Qui sont tous ces abbés ? Des personnages, tout simplement.

Certains on se les attache, ainsi Èlbe, mon préféré, qui n’a d’yeux, au final, à la recherche de la gloire, que pour cette femme « accroupie sur ses pieds de marbre ».

Elle est seule, le mari est à la forge, alors, Èlbe, l’abbé, rejette son capuchon, et, lorsqu’elle se découvre jusqu’à la taille, qu’elle se découvre et qu’elle s’ouvre, « il regarde la plaie de feu mouillé dans son étoupe à elle, puis il ne la voit plus puisqu’il a plongé dans ce feu. Elle crie comme une mouette, la foudre bleue les lie ».

Èlbe aime regarder ses gens, les indigènes, les pêcheurs qui quittent la mer, un temps, pour travailler sa terre, et œuvrer à son projet d’assécher le marais ; et quand il les regarde, « il aime voir les deux pieds de marbre battre la boue, les mêmes qui chaque jour dans le plaisir battent le rien, sont levés et lavés par la foudre bleue ».

« La foudre qui la brise, c’est le membre d’un homme, mais la gloire d’un abbé ».

Un jour, la femme ne reviendra plus travailler la terre. Èlbe est seul, avec sa mémoire lasse, son rire solitaire. Des années passent. Un jour...

Toute choses sont muables et proches de l’incertain... la gloire est une chose mélangée. C’est une flamme éblouissante qui s’allume au contact des choses mélangées. Il l’accepte. Cela naît de la plaie des femmes, c’est une petite fille blonde qui apparaît, scintille, et passe ».


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