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Le Havre

Par Tedsifflera3fois

Quelques mois avant l’élection présidentielle française, Aki Kaurismäki vient tourner au Havre et nous parle d’un jeune sans-papiers et de l’absurdité d’une société qui traque des enfants innocents. On pense un peu aux Mains en l’air de Romain Goupil mais le réalisateur finlandais fait de la poésie plutôt que de la politique. Le résultat est un monde désuet et charmant.

Synopsis : Marcel, ex-écrivain, vit une vie simple de cireur de chaussures au Havre. La soudaine maladie de sa compagne et sa rencontre avec un jeune sans-papiers bouleversent son quotidien.

Le Havre - critique
Drôle de coïncidence : Aki Kaurismäki n’est pas le seul réalisateur étranger à avoir sorti un film tourné au Havre en 2011. Les belges Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy ont aussi parcouru la ville dans une romance décalée et burlesque, La Fée. Le lieu n’est pas le seul point commun aux deux films : la mise en scène de héros simples et seuls, leur lutte contre la mécanique d’une société déshumanisée, la poésie de l’absurdité, le minimalisme des dialogues, des attitudes et des intrigues, tout cela les rapproche, tout cela dresse du Havre un portrait étrange, entre misère affective et rencontres essentielles. C’est une ville où les marginaux vivent, se croisent, se perdent, se cherchent, et trouvent quelque part, au détour d’un vague regard, d’une situation éphémère, le bonheur modeste auxquels ils aspirent.

Chez Kaurismäki cependant, les personnages s’affirment, la lutte est solidaire, la poésie est politisée, les répliques sont élégantes, les attitudes sont dignes, les intrigues sont importantes. L’humour est presque invisible, et pourtant il surgit partout, dans les mots, dans les visages, dans la composition des plans. C’est un burlesque étouffé, mis sous cloche. Dans La Fée, le doux ridicule est immédiat, le rire aussi. Dans Le Havre, c’est la société qui est ridicule. Les hommes qui y évoluent sont contraints à la distance pour garder leur intégrité. On s’amuse de leurs adresses plus que de leurs maladresses, de leur pudeur plus que de leur décalage. Chacun prononce son texte fort et distinctement, comme s’il voulait être sûr d’être compris. Chacun s’exprime frontalement, presque absent de lui-même, comme s’il essayait de cacher son émotion.

Et pourtant, tout le monde est fragile et tout le monde se protège et essaie de protéger l’autre. Ici, on se fait une arme de l’absurdité, on lutte contre les politiques insensées, contre les situations inhumaines. On s’enrichit de l’autre, d’autant plus si l’autre est un sans-papiers, d’autant plus si l’autre est interdit.

Certes, le point de vue candide et la bonté artificielle des personnages peuvent agacer. Certes, l’humour et la politique sont un peu trop simples pour vraiment apporter quelque chose au débat. Mais Kaurismäki ne débat pas, il rêve. Le Havre est une douce utopie : ici, les gens se soucient des autres et s’entraident. Le film, en résistance contre une mondialisation sans âme, regarde un peu trop vers le passé, à la recherche de l’ombre de Jacques Tati. Le tout est par conséquent un brin réactionnaire, mais résolument humaniste.

Note : 6/10

Le Havre
Un film de Aki Kaurismäki avec André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin et Blondin Miguel
Comédie dramatique – France, Finlande, Allemagne – 1h33 – Sorti le 21 décembre 2011
Prix Louis-Delluc 2011 et Prix Fipresci de la critique international au Festival de Cannes 2011


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