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La Coupo Santo

Publié le 18 février 2012 par Guiguite @domainecastille
Directeur du domaine de la Castille, entre Toulon et Hyères, l’ingénieur agronome Jean-Jacques Soullié s’est lancé dans une aventure moins simple qu’il n’y paraît : élaborer un vin de messe qui plaise aux palais ecclésiastiques.
La Coupo SantoLa première année, les prêtres n’étaient pas très satisfaits, se souvient Jean-Jacques Soullié. On avait essayé un assemblage muscat-sauvignon qu’on pensait intéressant. Le problème, c’est que la fermentation a repris dans les bouteilles. Les bouchons sautaient, une catastrophe ! » Il avait profité d’un lundi de Pâques, jour où les prêtres du diocèse de Toulon étaient tous réunis, pour leur faire goûter son innovation. Mais ce vin qui frisait un peu trop sur la langue a loupé son examen de passage.
Pas découragé, le directeur du domaine de la Castille a planté du chardonnay. Qu’il a fait cueillir en surmaturité et associé au muscat blanc dont il cultive un demi-hectare seulement. Cet assemblage rare – on associe plus souvent le muscat avec le viognier – a donné un vin bien équilibré moelleux et vivacité, qui, enfin, a fait claquer la langue des prêtres varois. Son nom ? Coupo Santo, ce qui signale à la fois ses origines, le chant ainsi intitulé étant l’hymne des Provençaux, et sa destination : symboliser le sang du Christ au moment de l’eucharistie.
Au fait, pourquoi le précieux fluide vital est-il représenté par un vin… blanc ? On a beau scruter les quatre Evangiles, on n’y lit aucun indice que Notre Seigneur ait eu dans les veines du jus de navet ! « La raison est purement pratique, répond Jean-Jacques Soullié. Imaginez l’effet que feraient des taches de gros rouge sur le linge d’autel ! »
L’affaire, en tout cas, ne date pas d’hier. Elle remonte presque à Mathusalem. « La première mention dans la Bible est au chapitre XIV de l aGenèse : Abraham reçoit du prêtre Melchisédech des offrandes de pain et de vin.Ce rite, présent dans l’Eglise hébraïque, a été repris par les chrétiens. Au moment de la sainte cène, les gestes du prêtre et les mots qu’il prononce rappellent le sacrifice du Christ. » L’eucharistie, et donc le vin de messe, existent depuis l’aube du christianisme. On peut supposer, d’ailleurs, que c’est grâce à elle si nous pouvons encore goûter au jus de la treille. Aux siècles les plus troublés en effet, tandis qu’autour d’eux le monde se livrait à des occupations belliqueuses, les moines ont maintenu la tradition de la viticulture. « Son implantation en Europe a été conditionnée par la nécessité d’avoir du vin pour la messe, assure Jean-Jacques Soullié. Dans toute l’Europe, Angleterre et Suède comprises, nécessité liturgique a fait loi. Mais peut-être plus dans notre pays qu’ailleurs. N’oublions pas que la France était la fille aînée de l’Eglise, et en plus elle était favorisée par les conditions climatiques. »
Les moines étaient de gros consommateurs : « Ils communiaient chaque jour sous les deux espèces, donc, du vin, il leur en fallait ! ». Il n’est pas interdit de penser qu’étant de bons vivants, ils ont mis à la tâche plus d’ardeur que ne le commandait la foi. « La Bourgogne a bâti son vignoble grâce aux ordres monastiques. Lesquels avaient des pratiques qui seraient interdites aujourd’hui : ils faisaient charrier par tombereaux entiers la terre de la vallée vers les hauteurs, afin de pouvoir planter la vigne sur les coteaux les mieux exposés ! » Au Moyen Âge, la plupart des domaines viticoles appartenaient à l’Eglise. En Lorraine par exemple, l’abbaye Saint-Vincent, à Metz, celles de Gorze et de Villers-Bettnach cultivaient la vigne sur des surfaces étendues.
Le domaine de la Castille lui, est propriété d’une fondation du même nom, structure créée ad hoc par l’évêché de Toulon. Outre les 160 hectares de vigne, on y trouve une maison de retraite pour prêtres âgés, la bibliothèque du diocèse et un des plus importants séminaires de France. Mais ce lien avec l’Eglise est relativement récent. « La Castille a longtemps appartenu à une famille de soyeux lyonnais, les Aubert. Le d ernier fils, qui voulait entrer dans les ordres, est décédé en 1921. L’année suivante, sa mère a légué le domaine à l’évêché en demandant qu‘il soit consacré à l’accueil et à la formation des prêtres. Le séminaire a ouvert en 1929. »Chercher à produire un vin de messe était logique, et en même temps risqué car les débouchés n’étaient pas garantis. « Les prêtres font ce qu’ils veulent, explique Jean-Jacques Soullié. Rien ne leur interdit d’acheter le vin liturgique au supermarché du coin. » Précisément, le choix se fait par un conseil presbytéral où siègent l’évêque et une dizaine de prêtres. Et il obéit à un cahier des charges : le vin doit être naturel, non pétillant et sans alcool ajouté, ce qui élimine les vins doux obtenus par mutage, le seul ajout autorisé étant le sucre de raisin. Ces contraintes, et la préférence accordée aux blancs un peu gourmands, ouvrent la porte à des vins légèrement moelleux. Un créneau qu’occupe à la perfection le Coupo Santo .
Ailleurs, le seuil d’exigence est encore plus élevé. Exemple, la difficulté rencontrée par Thomas Flensberg, un pharmacien de Leverkusen qui est aussi un vigneron provençal puisqu’il possède, à Cuers, le Château Bastidière. « Il voudrait vendre du vin de messe à l’archidiocèse de Cologne, raconte Jean-Jacques Soullié. Or, là-bas, ils exigent du vin de terroirs délimités, sucré à sec et pas avec du sirop, qui titre moins de 15°, et si c’est un vin étranger, il faut qu’il soit d’appellation contrôlée ou qu’il ait un certificat d’origine. Je suis allé auditer sa cave, elle est nickel. Mais son problème, c’est qu’il ne fait que des blancs secs ! » Le Dr Thomas Flensberg devra réfléchir à l’élaboration d’un produit spécifique…
Ce cap, le domaine de la Castille l’a franchi avec succès. Depuis 2009 il commercialise chaque année 5 000 bouteilles de Coupo Santo, désormais invité aux célébrations dans nombre d’églises du Var et dans quelques abbayes, ici ou là. Toutefois, ce nectar n’est pas réservé à la seule fonction liturgique. Chacun peut se l’offrir comme vin d’apéritif, 4,50 € la bouteille, au caveau du domaine. Et, avec un peu d’imagination, se mettre dans la peau du prêtre à qui, tôt matin, ce sympathique petit blanc éveille en douceur les papilles, durant la première messe dominicale.
Source : Le Républicain Lorrain par Richard SOURGNES

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