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Notes sur la poésie : Jorge Luis Borges

Par Florence Trocmé

Je me souviens d’une épigramme d’Oscar Wilde qui constate : « Si les formes classiques du vers n’existaient pas, nous serions à la merci du génie » ; ce qui arrive maintenant, puisque tout un chacun se considère génial, ce qui veut dire, irresponsable. Ici sont venus me voir des poètes, qui m’ont lu leurs poèmes, et quand je leur ai demandé une explication, ils m’ont rétorqué que non, qu’ils écrivaient ce qui leur arrivait. Loin d’eux l’idée de responsabilité ; et ce qu’ils publient ce sont les premiers brouillons — qui n’aboutissent pas à des seconds. Et ceci fait l’objet d’admiration. En plus, ils cherchent le vers libre, parce qu’ils le croient à tort plus facile que les formes classiques, et c’est tout le contraire : si vous ne prenez pas la précaution d’être, mettons, Walt Whitman ou Carl Sandburg, ce qu’on appelle vers libre est réellement de la mauvaise prose, disposée typographiquement comme vers. Néanmoins, on pourrait argumenter en faveur de ce vers libre — qui est réellement de la prose négligente ou une prose à laquelle se résigne l’auteur — qu’il convient peut-être d’imprimer comme vers, parce qu’ainsi le lecteur sait ce qu’il doit attendre de ces pages, c’est l’émotion, et non l’information et le raisonnement. Si l’on voit des lignes irrégulières, l’une au-dessous de l’autre, on sait derechef que c’est conçu pour l’émotion. En revanche, si quelque chose est ordonné comme de la prose on peut penser qu’il s’agit de convaincre ou de raconter ; ce qui signifie que le but est narratif ou polémique. (…) La forme classique donne à chacun un schéma, même illusoire, de ce que l’on va faire. Par exemple, si vous vous décidez à écrire un sonnet, vous avez déjà le plan du sonnet, qui peut être de deux tercets, de deux quatrains, ou de trois tercets et d’un distique. Finalement, vous avez déjà la structure, et plus tard cela peut vous aider ; quoique en réalité le sonnet ne dépende pas de ces deux constructions possibles, qui sont toujours identiques.

Jorge Luis Borges, Osvaldo Ferrari, Retrouvailles, dialogues inédits, José Corti, 2003, p. 160-161.


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LES COMMENTAIRES (1)

Par roca
posté le 29 décembre à 11:39
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