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Ce parfait ciel bleu de Xavier de Moulins au Diable Vauvert

Par A Bride Abattue @abrideabattue
Ce parfait ciel bleu de Xavier de Moulins au Diable VauvertCe parfait ciel bleu est un roman, le second écrit par Xavier de Moulins au Diable Vauvert.  C'est la destination vers laquelle Mouna, 88 ans et une énergie à faire pâlir d'envie de plus jeunes qu'elle, va entrainer son petit-fils Antoine dans une belle et ultime leçon de vie.
Le discours pourrait être convenu. Mais pas du tout. Parce que la plume de Xavier est énergique, un peu grinçante, mais avec juste ce qu'il faut d'ironie pour que tout passe. Les phrases sont brèves, les chapitres courts, le lexique est fleuri. Les images se suivent comme dans un diaporama bien enchainé. C'est efficace et pourtant sensible.
Ce que je regrette ? Et ce n'est pas la première fois. Qu'un éditeur n'ait toujours pas eu l'idée d'inventer le livre-CD. Parce qu'on aimerait écouter une bande-son choisie pour la circonstance pour accompagner notre lecture, un peu comme au cinéma. Même si les chansons citées sont des standards. Les quadragénaires en tout cas se rappelleront The End que les Doors chantaient en 1967. Et presque tout le monde a dans la tête la jolie déclaration mélancolique (page 88) de Frank Sinatra à travers le célèbre Fly me to the Moon (1964) dont l'auteur a la délicatesse de nous recopier les paroles.
En d'autres termes, emmène-moi au bord de la mer, serre ma main, sois sincère, je t'aime.
La romance d'Elvis Presley est "belle à crever" comme il l'écrit page 113. Le crooner enregistra Can’t Help Falling In Love en 1961, cette célèbre version américaine de Plaisir d'amour, pour le film Blue Hawaii.
Xavier de Moulins n'a pas choisi ces références au petit bonheur. Elles s'accordent pile avec la révélation que Mouna fera à son petit fils dès qu'elle se tiendra à coté de lui, la bouche couleur rouge absolu, élégante et distinguée, sous ce parfait ciel bleu (page 183) qu'elle a envie de revoir avant de se faire la belle ou, si vous préférez, d'y grimper l'âme légère.
Avant cela on aura découvert une Mouna hystérique devant des machines à sous, et gourmande des plaisirs de la vie. Ce n'est pas le moment de se priver d'un excellent whisky pur malt, un Aberlour s'il vous plait, ni d'un énorme plateau de fruits de mer, cette fois avec un verre de vin blanc sec pour que l'instant soit franchement impeccable.
C'est que Mouna a un caractère de guerrière et qu'elle restera sur le pont jusqu'au terme qu'elle s'est fixé. Quand on imagine le couple devant les flots c'est la vision du Titanic de James Cameron qui se superpose, avec Leonardo DiCaprio et Kate Winslet les cheveux dans le vent, et bien sur la voix de Céline Dion (qu'il ne faudra pas oublier sur le CD à la prochaine édition).
On mettra aussi Le vent nous portera de Noir Désir que je vois cité assez largement ces derniers temps. C'est là encore une si belle chanson ...
On pourrait disserter : qui emmène l'autre voir la mer ? A première vue Antoine cherche à faire plaisir à sa grand-mère, mais n'est-ce pas elle qui l'entraine pour mieux sentir la limite. La sienne en premier lieu, face à cet océan qui la sépare de l'Amérique. Mouna n'aura de cesse de faire entendre un message que l'on peut résumer en six mots : vis au présent, aime au présent !
Elle le lui dira sur tous les tons. Refuser de se souvenir d'hier pour mieux embrasser demain (...) La vie passe tellement vite qu'on n'a pas le choix, il faut la mordre à pleines dents en acceptant que les situations nous échappent, sans s'en faire. (page 142)
Mouna ne cherche pas à revivre des souvenirs. Elle ne veut pas (re)voir la mer. De la même manière qu'on ne refait pas sa vie. On continue son chemin. Des phrases à tiroirs comme celle là ponctuent le roman jusqu'à la recommandation finale : fais de ton mieux et ne regrette rien, qui résonne comme un pléonasme. Car pourquoi regretter si on a fait de son mieux ? Et réciproquement.
Une des forces du livre c'est l'équilibre entre les personnages. Le jeune homme, quoique sa jeunesse soit relative, se pose les questions que bien d'autres vivent aujourd'hui avec ce qu'on appelle l'éclatement de la cellule familiale et les pseudos facilités de communication, qu'il s'agisse du Mac Book, de l'I Pad, d'Internet ou des textos qu'on tape à longueur de temps.
Un des paradoxes de la famille recomposée est bien de risquer de passer plus de temps avec les enfants d'un type qu'on ne connait pas qu'avec les siens.(page 64)
Que le père (ou la mère) qui n'a jamais piraté en douce le login de son enfant pour l'espionner sur Facebook jette la première souris à Antoine pour avoir lorgné sur Alice. On suit avec amusement la cérémonie de mariage qu'il nous décrit avec une ironie douce-amère, et pour cause puisque la mariée est son ex-femme et que sa mère a choisi d'y briller. L'auteur fait preuve d'une mauvaise foi plutôt piquante dans une église, pour juger que l'orgue y sonne faux par deux fois (penser à ajouter les deux Marches nuptiales de Wagner et de Mendelssohn pour laisser le choix).
Il a le coeur entre deux histoires. La suivante est Laurence qu'il a gagnée comme seconde chance au jeu video de son existence et qu'il nous présente comme Che Guevara du couple, avec 2 mariages, 3 enfants ... pas d'enterrement. Ce type de cérémonie sera plutôt sa spécialité à lui en ouvrant et clôturant le livre.
Si la philosophie de vie de Mouna est facile à comprendre elle n'est applicable que si on a fait le deuil de ses illusions. Antoine le sait bien. Au début d'une histoire on prend facilement l'autre pour une Ferrari avant de lui en vouloir de n'avoir à offrir qu'un moteur de 2 CV (page 38). La confrontation au principe de réalité peut être brutale si on ne s'y est pas préparé. Tout comme le séjour dans une résidence du type des Lilas, qui propose aux familles un système de préinscription avant la chute dans l'escalier et la fracture du col du fémur. Car personne n'est prêt (ni préparé) à devenir un jour les parents de ses parents. Finalement on est sur liste d'attente toute sa vie, de la crèche à la dernière demeure.
Mouna poursuivra sa route avec l'obsession de rester digne. Ce qui n'empêche pas la peur. La grand-mère a la frousse de mourir. Le petit-fils a la trouille de vivre. Mouna ne jugera jamais les actes des autres. Sauf quand même pour conseiller "d'accepter et de tourner la page ... pour ne pas passer à coté de sa vie". Et là encore elle sait de quoi elle parle.
Laissez-moi ajouter un titre ultime pour le voyage : Dernier rendez-vous de Sammy de Coster (Album Tucumcari) qui excelle aussi dans l'interprétation de Love me tender ...
Ce parfait ciel bleu de Xavier de Moulins au Diable Vauvert, mars 2012

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