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Je me souviens de la Première Journée Internationale du Jazz à l'UNESCO le vendredi 27 avril 2012

Publié le 01 mai 2012 par Assurbanipal

Première Journée Internationale du Jazz.  UNESCO.

Paris. France. Vendredi 27 avril 2012.

Lectrices exigeantes, lecteurs exhaustifs, je ne prétends pas ici raconter tout ce qui s’est passé à l’UNESCO lors de la première Journée Internationale du Jazz. Je n’ai pas le don d’ubiquité et il y avait tant à voir et à écouter. Par exemple, comme je ne suis pas musicien, je n'ai pas été aux master classes de Marcus Miller (guitare basse électrique) et de Bireli Lagrène et Lionel Louéké (guitare). Les places étant limitées, j'ai préféré ne pas prendre la place d'un musicien. La radio TSF Jazz couvrait la journée. Les archives sont en ligne sur le site Internet de l’UNESCO. Le concert final, auquel je n’étais pas convié, est visible pendant 6 mois sur ARTE Live Web TV.

Voici mes impressions prises sur le vif.

Le parrain de la journée était  Herbie Hancock (né en 1940), pianiste et compositeur connu bien au-delà du cercle restreint des amateurs de Jazz.

Herbie Hancock

La photographie d'Herbie Hancock est l'oeuvre du Renommé Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de cette photographie sans l'autorisation de son auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales.

Il était interviewé par Frédéric Goaty, rédacteur en chef de Jazz Magazine, manifestement très ému.

J’ai noté les échanges suivants. Les erreurs de compréhension et de transcription sont miennes.

C’est Herbie Hancock qui demande à Frédéric Goaty de poser les questions en français. D’abord parce que nous sommes en France, à Paris, ensuite parce que le français est une des langues officielles de l’UNESCO, enfin parce que cela lui laisse le temps de préparer ses réponses. Herbie nous prie d’excuser l’interviewer pour sa nervosité. Rires dans la salle.

Herbie raconte comment il  a découvert le Jazz. A 14 ans, en écoutant un ami. Il a trouvé fascinant cette possibilité d’improviser en jouant et, en plus, ça plaisait aux filles. Il a alors décidé d’apprendre le Jazz. Il n’écoutait plus que du classique et du Jazz, oubliant le rhythm’n blues que tout le voisinage écoutait. Il s’est mis dans une boite et il est resté comme ça jusqu’à l’âge de 23 ans. Là, il a commencé à jouer avec Miles Davis. Il s’est aperçu que Miles écoutait de tout : du Jazz, du classique mais aussi James Brown, Cream, Janis Joplin, Manitas de Plata. Et pourtant Miles était cool, le mec le plus cool du monde. Miles était cool car il était ouvert. Alors Herbie a fait comme son patron. Il a écouté James Brown, entre autres. « Miles était bavard, très drôle. Pour comprendre son humour, il fallait parfois 5 minutes ou 5 jours ». Un mec cool, drôle, ouvert, ce n’est pas l’image de Miles Davis que je m'étais faite mais Herbie sait de qui il parle.

Comment avez-vous créé « Watermelon man » ?

C’était avant Miles (en 1962). J’ai commencé à mélanger mes ingrédients à d’autres ingrédients. Watermelon man a des ingrédients Rhythm and Blues. Donald Byrd est mon mentor, mon grand frère. C’est lui qui m’a aidé à décrocher mon premier contrat chez Blue Note. Il m’a dit : la moitié de l’album est pour le label, l’autre moitié est pour toi. Qu’est ce que ça veut dire ? lui ai-je demandé. La moitié est originale, de ta composition, pas forcément attractive. L’autre moitié est basée sur des choses connues, familières comme Gershwin, Irving Berlin, le Blues. Donc je devais enregistrer 3 compositions et 3 standards. Je me suis dit : Horace Silver écrit des compositions personnelles qui plaisent aux gens, qui se vendent et que je pouvais faire pareil. Je me suis demandé ce qui faisait que les compositions d’Horace Silver touchaient le grand public. Parce qu’elles étaient funky, noires. C’était la musique de mon quartier, de mon enfance. Je me suis dit que je pouvais écrire quelque chose qui venait de mon expérience de Noir américain. Le personnage le plus familier de ma communauté c’est le vendeur de melons d’eau, de pastèques (Watermelon man). La mélodie raconte les femmes qui crient de leur balcon « Hey Watermelon man ». Pour les rythmes, j’ai été inspiré par les bruits des roues de la charrette du vendeur ambulant. Note: c'est le procédé classique, dans la musique noire américaine, du " Call and response " que l'on trouve aussi bien dans les Work Songs que dans les Gospel Songs.

Vous êtes devenu instantanément un compositeur de standards.

Je ne m’en rendais pas compte. La chanson vit encore. Elle a cinquante ans puisqu’elle a été écrite en mars ou avril 1962. NB : «  Watermelon Man », première composition d’Herbie Hancock est un standard du Jazz dont il existe plus de 200 enregistrements.

Au passage, j’écoute la chanteuse Dee Dee Bridgewater en duo avec le pianiste Gerald Clayton sur « All Blues » (Miles Davis). Dee Dee pareille à elle-même. Talentueux pianiste que je découvre à l’instant.

Je note aussi une définition du Jazz par Duke Ellington : « Le Jazz ne peut être limité par une définition, par des règles, le Jazz est avant tout une totale liberté d’expression. Si une seule définition de cette musique est possible, c’est bien celle là ».

Le Montreux Jazz Festival (Montreux, canton de Vaud, Suisse), partenaire de l’événement, diffuse des vidéos de ses concerts sur un grand écran. Il y a des casques pour écouter. Je lis le Courrier de l’UNESCO, numéro spécial d’avril 2012 consacré au Jazz avec interviews d’Herbie Hancock et de Manu Dibango, chroniques d’Isabelle Leymarie, éminente musicologue française (son Que sais je ? sur le Latin Jazz est très recommandable) en écoutant Chick Corea avec son groupe Electrik et Acoustik. Impressionnant mais pas émouvant.

Fabien Ruiz, le chorégraphe de The Artist, fait une démonstration de claquettes en duo avec un pianiste devant un mur peint par Pablo Picasso. Comme me le dit Michel Goldberg, saxophoniste malouin, on a tellement l’habitude que le Jazz soit confiné dans des petits endroits qu’entendre une telle profusion de Jazz dans un lieu aussi prestigieux que le palais de l’UNESCO, cela surprend.

Danilo Perez et  Wayne Shorter nous attendent depuis New York pour parler du Jazz et de la Paix via Internet, avec le son et l’image. A Paris, se trouvent les jeunes musiciens du Berkeley Global Jazz Institute dont le Panaméen Danilo Perez est le fondateur et directeur artistique.

Le groupe est composé ainsi : piano, contrebasse, batterie, percussions, violon, sax alto, sax ténor. Riccardo del Fra, contrebassiste italien, directeur du département Jazz au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris est à l’UNESCO pour dialoguer avec eux.

Problème de son avec New York. C’est le Jazz. Il faut savoir improviser. Le groupe joue en attendant. Les alliances sonores sont originales et ça sonne bien coordonné. Excellent percussionniste en duo avec le sax ténor, plus léger. Le violon vient ajouter une couleur tzigane à cette musique au Latin Tinge comme disait Jelly Roll Morton. Beau duo final entre batterie et percussions.

Le son est revenu et Danilo Perez parle : le Jazz n’a pas de frontières, nous permet de nous connecter entre êtres humains. Le Jazz permet de développer la diplomatie en nous-mêmes. Le Jazz est un moyen pratique pour échanger entre les cultures. Le but est la recherche de la paix grâce aux échanges culturels sans préjugé, sans violence. Dizzy Gillespie, mon premier maître, était l’ambassadeur d’un Jazz global (Note : le dernier groupe de Dizzy, dont Danilo Perez était le pianiste, s’appelait le United Nations All Stars Orchestra sans être lié à l’ONU). Il est crucial de développer votre individualité dans un groupe où plusieurs personnes vont se connecter. Dizzy essayait de réunir des gens de différentes cultures mais, pour lui, l’origine des gens était très importante. Il avait une façon incroyable d’encourager les gens.

Le groupe joue un morceau qui traduit ce message de Dizzy. Chaque musicien apporte un morceau de sa culture et la réunion de tous fait le morceau. Duo entre le percussionniste qui sonne argentin et la saxophoniste israélienne. Puis avec le violoniste qui sonne irlandais avec un morceau venu des Appalaches.  Après avoir joué ensemble, chaque musicien joue à son tour son extrait en expliquant son origine culturelle.

Danilo Perez : le développement durable suppose aussi la coopération des cultures. Le Jazz est un outil pratique pour construire la paix et la diplomatie. Il demande à Wayne Shorter : Pourquoi ne cesses tu jamais ? (sous entendu, de créer, je suppose)

Wayne Shorter : tout dépend de votre regard sur la vie. Dans chaque moment, il y a l’inconnu.

Danilo Perez lance en chantant et en tapant des mains « Oyo como va » (standard latin) et « Speak No Evil » (composition de Wayne Shorter). Le groupe reprend depuis Paris et ça sonne.

Danilo Perez demande à Wayne Shorter pourquoi il a composé «  Aung San Suu Kyi »

Wayne Shorter : J’ai composé ce morceau pour la New York University. Plus de 22 ans après, j’ai lu dans le journal la nouvelle de l’arrestation de cette femme en Birmanie (le Myanmar en termes officiels) et de son prix Nobel de la paix. Je me suis dit qu’il ne fallait pas seulement écrire de la musique mais faire quelque chose. Chaque individu doit être le réalisateur de sa propre vie non pas le suiveur de celle des autres.

Danilo Perez : le Jazz global peut être un passeport pour la tolérance universelle.

C'est sur ce message optimiste que se termina pour moi la Première Journée Internationale du Jazz à l'UNESCO. Je ne doute pas que les festivités musicales à La Nouvelle Orléans et la Nouvelle York à l'Assemblée Générale de l'ONU le lundi 30 avril furent elles aussi grandioses. J'espère que cette initiative se prolongera et essaimera à travers le monde au fil du temps.

Vénérées lectrices, vénérables lecteurs, voici le quartet de Wayne Shorter avec Herbie Hancock jouant " Aung San Suu Kyi " lors du festival allemand Baltica Jazz de 2004. Je vous laisse le plaisir de trouver, pour comparer, la video du même morceau joué par le quartet habituel de Wayne Shorter avec Danilo Perez au piano.


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