Novembre 2011. "Allo, c'est Yves Gangloff à l'appareil. Je réponds à votre message laissé sur mon portable. C'est OK pour que vous passiez au domaine avec votre club de dégustation". 3 secondes de blanc, avant de pouvoir sortir le moindre mot ! D'une part parce que c'est pas simple a obtenir un rendez-vous chez les Gangloff et puis entre temps, après avoir tenté de joindre Yves Gangloff au téléphone, ce dernier venait d'être frappé par une terrible nouvelle. La pire qu'il soit pour un homme et une famille. Alors nous avions fait une croix sur cette visite.
Finalement, nous ferons la route depuis notre gite de Chanos Curson. Nous allions vivre un grand moment de sensibilité et d'humilité en sa compagnie. Rien que pour tout cela, MERCI !
Si aujourd'hui le domaine jouit d'une belle réputation, elle n'est due qu'au travail et à la construction d'un certain rêve américain par le couple Gangloff. Un rêve d'enrichissement intellectuel qui s'est étoffé et consolidé à mesure que le couple s'est investi dans le domaine, sans avoir les yeux plus gros que le ventre.
Né à Strasbourg d'un père militaire, Yves vient rejoindre son frère Pierre au début des années 80 qui s'est installé dans une pièce du château d'Ampuis pratiquer l'art. Ne pouvant rester sans travail, Yves bien qu'artiste lui aussi, mais musicien, est contacté par la maison Delas pour venir travailler comme ouvrier pour remplacer quelqu'un parti sans donner de nouvelles. Il ne quittera plus le monde du vin... Mathilde elle, est originaire de Vienne, tout proche d'ici. Née d'un père industriel dans le tissus, elle rencontre Yves très jeune et fondent tous les 2 leur propre domaine. Pendant qu'Yves travaille chez Delas de 1980 à 1987, ils plantent leurs premières vignes dès 1984 en appellation Condrieu. Leur premier millésime sera 1988.
Tiens, nous en profitons pour tendre notre verre pour que Yves y verse un Condrieu 2010. Le nez est fumé, lacté et de caramel au beurre salé. La bouche est ample, sans sucre résiduel mais surtout c'est l'équilibre qui est notable malgré 15 % d'alcool (100 % Viognier).
Actuellement sur une surface totale de 8 hectares (3 en Côte Rotie, 2,5 en Condrieu, 2,5 en St Joseph dont 1,5 de blanc), le domaine a fait l'acquisition en 2007 de quelques hectares en AOP St Joseph. Le blanc 2010 (100 % Marsanne) affiche fraîcheur et tonicité sur un fruit présent et un élevage en demie-teinte.
Nous passons aux rouges, avec l'appellation phare du domaine : Côte-Rôtie. Imaginez qu'au début des années 80, que le couple avait emprunté à l'époque 80000 Francs pour un hectare. Maintenant, ce même hectare coûte un million d'euros ! "Du grand n'importe quoi, comment voulez-vous que les jeunes s'installent" s'insurge Yves, qui nous ouvre une Barbarine 2009 (96 % Syrah et 4 % Viognier). Habituellement, le terroir de Côte-Rôtie repose sur 1/3 de granite et 2/3 de schiste. Au domaine Gangloff, c'est l'inverse. Les vignes de cette Barbarine ont été plantées en 1989 jusqu'en 2002 et proviennent de 3 parcelles différentes mais de mêmes origines géologiques. Le vin est charmeur, profond, séveux et affiche une maturité parfaite. C'est long et il faudra se casser une jambe pour résister à ouvrir les quelques exemplaires achetés sur place !
Nous goutons la Barbarine 2010 sur fût. Pour commencer, la parcelle des "coteaux de Turpin" : très poivrée, clou de girofle. Une syrah expressive. Les tannins structurent l'ensemble prometeur avec entrain. La parcelle "le Combard" est d'une approche subtile et minérale. Le vin possède une magnifique profondeur et les parfums sont enivrants !
Les étiquettes sont l'oeuvre de Pierre Gangloff, frère d'Yves
La Sereine Noire 2010 sur fût (parcelle du Rozier) est encore un peu sur la retenue. C'est la cuvée phare du domaine, produite à environ 5000 unités par an et nécessite quelques années de garde pour exprimer tout son potentiel.
Une bouteille de Barbarine 2001 achève de nous convaincre sur la qualité des vins. A peine évoluée, sur des notes de zan, de pivoine et d'orange sanguine, la bouche offre un touché subtil et crémeux. C'est à la fois sérieux et gourmand ! Excellent.
Que dire de notre visite ? Qu'elle fut touchante et que nous avons rencontré un homme discret, humble et timide de nous présenter ses vins, un peu comme s'il avait peur qu'on le juge. Ces derniers offrent une belle silhouette, à la texture crémeuse et profonde pour les rouges, à l'élégance soignée pour les blancs.
Encore tout bousculé du récent décès de Mathilde son épouse, Yves nous indique que plus rien ne sera comme avant. C'est désormais un nouveau départ qui s'annonce. Nous souhaitons à Yves de rebondir et de continuer à oeuvrer comme artiste du vin et à maintenir la tradition du domaine tout entier.
Merci Yves pour votre accueil !