Nouveau classement Saint Emilion (8)

Nous entrons dans la nième phase de turbulence avec les premières lettres qui arrivent auprès de certains producteurs, lettres par lesquelles ils apprennent que leur demande de classement ("grand cru classé" ou "premier grand cru classé") n'a pas été validée.

Avant que je puisse mettre ici un exemple (sans mention de nom) de ces lettres, j'apprends qu'elles sont précises, avec détail des points obtenus ou des points retirés.

Permettez moi de reproduire ici le début du dernier billet que j'avais écrit à ce sujet le 19 juin 2011 (ICI)

"Comme l'a souligné Hervé Bizeul dans son commentaire, le prix du vin est certainement le critère peut-être pas le plus juste, mais certainement celui sur lequel on peut trouver un maximum d'adhésion. Comme il le dit, à Bordeaux, le prix a un sens historique (on est dans un réel marché, avec des volumes conséquents depuis des lustres) et, in fine, ce prix traduit mieux qu'autre chose, la qualité d'un cru, la réputation d'un terroir.

Chacun sait que dans sa grande sagesse, la Bourgogne a consacré non pas des prix (comme le 1855) mais des terroirs dans sa propre classification. En d'autres termes, nous savons tous que même si, par succession, un crétin hérite d'un morceau de Chambertin ou de Bonnes-Mares, c'est lui le coupable si le vin n'est pas bon, et non le terroir. A Bordeaux, à l'exception remarquable de l'intangible 1855 (basé sur la valeur des vins à l'époque), on souhaite consacrer aussi des hommes et non seulement des terroirs (d'autant plus qu'ici, en achetant son voisin, on peut lui donner son nom).

A Bordeaux, il est aisé de citer des domaines dont la gestion n'a pas été toujours confiée à des mains expertes. On sait que les classés sont sur des terroirs significatifs, et que s'il y a une mauvaise gestion, ce ne peut (ce ne doit) être que temporaire. Mais on ne doit pas oublier non plus que bien des châteaux, inexistants en 1855, pourraient parfaitement s'intégrer dans ce classement toujours prisé mais largement relativisé par l'évolution des choses, les nouveaux venus, les terroirs inconnus à l'époque.

Bref : rien de parfait".

Pour résumer : le rêve, c'était d'appliquer le système bourguignon. La réalité : c'est simplement impossible. A lire avec attention le questionnaire et les éléments requis pour les dossiers de candidature, on est dans un autre système où une multitude de critères, chacun avec des points à obtenir (ou à retrancher) est à la base du nouveau classement.

Dans l'attente d'exemples précis dont je vous ferai part ici, le fait d'avoir des salles d'accueil, le fait d'être (ou ne pas être cité) dans tel guide, avec telle note, cela entre en jeu pour la note finale. On est loin, très loin, d'une note majeure et déterminante pour le terroir. Quelque part, pénaliser une propriété, un terroir parce que son propriétaire ne veut pas recevoir de bus de visiteurs, parce que les deux zozos qui écrivent un guide - soyons gentils : presque passable - ne citent pas son nom, c'est un peu fort de café. Donner autant d'importance à l'écrit historique, sans considération équivalente au WEB, ça manque un peu de tonus ! Il est loin le temps où un coup de coeur au Guide Hachette vidait un chai.

Apparemment, les producteurs n'ont pas le détail des notes de dégustation obtenues, et surtout ne savent pas avec quels autres vins les leurs ont été dégustés. Cela reste secret. Nous sommes bien placés au GJE pour savoir à quel point il y a là une réelle relativité qui ne peut pas ne pas être prise en compte. Gageons que bien des pros et des amateurs prendront soin à se lancer dans des dégustations comparatives une fois que le classement final sera établi.

Pour le moment, ceux qui ont reçu leur lettre, c'est pour apprendre que leur demande de classement a été refusée. Mais ils ont le droit d'aller en appel. Cela va encore prendre du temps, susciter des polémiques inutiles et retarder une stabilité que réclame à corps et à cris le négoce bordelais qui, cette année, a littéralement puni St Emilion avec des prises d'achat (en moyenne) nettement inférieures, (en termes de pourcentage par rapport aux offres en volume des châteaux) à celles de la rive gauche.

Certains châteaux disposant de capitaux suffisants et/ou d'une intelligence supérieure, ont su dire aux négoces : "vous paierez quand le vin sera mis en bouteilles" ou même : "on vous reprendra ce que vous n'arriverez pas à revendre". Inutile de préciser que ce langage a suscité une attention particulière de la part des négociants.

Saint-Emilion est dans une phase délicate de son évolution alors même qu'il y a là un potentiel réel mal travaillé et, quelque part, une solide cote positive de la part d'amateurs amoureux de cette AOC. Comment faire surgir de ce magma l'oeuvre d'art que tout le monde attend ? Doit-on rentrer dans une politique où ne rien faire c'est bien faire ? Doit-on s'orienter plus fortement vers une politique de marque, ce qui semble inéluctable pour certains ?

On sait que le classement n'a de rôle véritable que pour la valeur foncière des terres. Certes, ce sont des mots, la plupart des propriétés restant solidement ancrées sur des bases familiales, mais il n'empêche: c'est à cela que les propriétaires rêvent la nuit. Humain, simplement humain.

Bon : attendons d'en savoir plus, de dire qui sera promu ou non, en espérant que les "premiers grands crus crus classés (A ou B)" seront unanimement reconnus comme tels. Là, on est en tangage, dans le brouillard.