Après Londres, Barcelone et Paris, Woody Allen pose ses caméras dans une nouvelle ville européenne : Rome.
La capitale italienne sert de décor à quatre histoires. Quatre récits entrelacés, mais sans lien direct les uns avec les autres, sinon qu’ils illustrent le même thème des relations amoureuses – classique chez le cinéaste newyorkais – mais aussi celui des apparences, à travers la célébrité, le regard (biaisé) que l’on porte sur les autres,etc… Une structure qui rend hommage, d’une certaine façon, aux films à sketchs des années 19760/1970, qui contribuèrent à la réputation de la comédie à l’italienne à travers le monde.
L’avantage de ce dispositif, c’est qu’il permet à Woody Allen de mettre en scène de nombreux personnages, et donc de réunir pour l’occasion un de ces castings cinq étoiles dont il est friand, et qu’il peut s’autoriser à filmer Rome sous de nombreux angles différents.
L’inconvénient, c’est que, comme souvent avec les films choraux ou les films à sketch, les parties sont de teneur assez inégales, alternant des scènes étincelantes et des moments moins inspirés.
On aime la première des quatre histoires, qui commence de façon assez classique avant de basculer dans la fantaisie burlesque.
Une jolie touriste américaine et d’un bel autochtone tombent amoureux près de la Fontaine de Trévi - là où Anita Ekberg se baigna dans La Dolce Vita de Fellini – décident illico de se marier et organisent la rencontre de leurs parents respectifs. Un vrai choc culturel entre les parents de la jeune fille (Woody himself et Judy Davis), couples de bourgeois newyorkais, névrosés à souhait, et la famille du jeune homme, romains typiques, exubérants et bouillonnants. Mais aussi un choc artistique quand Jerry (Woody Allen), entend Giancarlo (Fabio Armiliato), le père de son futur gendre chanter sous la douche des airs d’opéra. L’homme, qui dirige une entreprise de pompes funèbres, se révèle plus doué que les meilleurs ténors du monde ! Jerry s’y connaît. Il a travaillé toute sa vie dans le domaine de la production musicale. Il voit dans la découverte de ce talent méconnu l’occasion de reprendre du service. Non sans mal, il parvient à convaincre Giancarlo de passer une audition devant des experts en art lyrique. Mais hélas, cela tourne au fiasco. Tout simplement parce que l’homme ne chante juste que lorsqu’il est sous la douche. Cela ne freine pas l’envie de Jerry d’exploiter le talent de son nouveau poulain. Il concocte un de ces opéras avant-gardistes dont il a le secret, en prenant en compte les conditions nécessaires à l’expression artistique de Giancarlo.
Une cabine de douche au coeur d’un opéra de Verdi? Idée audacieuse et assez irrésistible… Tout comme les réparties cinglantes de Woody Allen : “Le fils est l’avocat des pauvres, le père est croque-mort. Et la mère? Elle dirige une léproserie?”.
Ou celles de Judy Davis :
“- Tu te rends compte que tu as épousé un homme très intelligent. J’ai un Q.I. de 150, 160…
- Tu raisonnes en euros. En dollars, ça fait beaucoup moins…”
La seconde histoire est sûrement la plus réussie du lot.
John, un architecte (Alec Baldwin) revient à Rome des années après y avoir été étudiant. Il décide de déambuler dans les rues à la recherche du quartier où il vécut jadis. Il rencontre le jeune Jack (Jesse Eisenberg), lui aussi américain, et ô coïncidence, lui aussi étudiant en architecture. Enfin, coïncidence, c’est vite dit… Quand John commence à s’incruster dans l’appartement du jeune homme, lui prodiguant des conseils paternalistes sur sa vie sentimentale et l’attitude à adopter, on comprend que Jack et John ne sont qu’une seule et même personne. En revenant dans le quartier où il vécut jadis, John fait une sorte de voyage temporel vers le passé. Un voyage purement mental et psychanalytique, un peu comme celui d’Owen Wilson dans Minuit à Paris, sauf que là, il ne s’agit pas de se confronter à une époque inconnue et fantasmée, juste de replonger dans des souvenirs intenses, mais avec le recul apporté par l’expérience, la sagesse et la maturité.
Cette période de la vie de John a été marquée par la rencontre avec l’ébouriffante Monica (Ellen Page). La jeune femme, actrice au chômage venait alors de se faire plaquer par son boyfriend et n’avait pas trop le moral. La petite amie de Jack/John, Sally (Greta Gerwig) avait donc décidé de l’inviter à Rome pour quelques semaines, le temps qu’elle se ressource. Le jeune homme s’était montré totalement indifférent au charme de la jolie Monica. Il la jugeait alors superficielle, arrogante, assez quelconque physiquement. Une façon de se rassurer, de dissimuler son attirance vis à vis de la demoiselle.
Evidemment, il avait fini par craquer, par se laisser envoûter au point de vouloir quitter Sally. Sans se rendre compte que Monica, par besoin égocentrique de plaire, de séduire et de manipuler, ne faisait que jouer avec lui…
Les souvenirs que laissent cette brève rencontre hantent encore l’architecte. Il se dit que, parce qu’il a bridé ses sentiments, il n’a pas pu, pas su profiter des instants avec Monica, et que, parce qu’il s’est naïvement laissé séduire par l’actrice ingénue, il a gâché sa relation avec la douce Sally.
John ne se contente pas d’être spectateur de ses propres souvenirs. Il intervient pour railler les jeux de séduction de Monica et la naïveté de Jack, démonte tout le mécanisme manipulateur qui l’a poussé dans les bras de la jeune femme. En contrepartie, l’étudiant qu’il était ne se prive pas de lui faire remarquer que, derrière cette naïveté, il y avait une foi en l’avenir, des rêves et des envies. Et il constate non sans sarcasme que l’architecte qui rêvait de Gaudi et de constructions prestigieuses est devenu créateur de centres commerciaux froids et impersonnels…
Il y a, dans cette petite histoire somme toute assez simple, cette pointe d’amertume, voire de cruauté, qui illuminait certains des meilleurs films de Woody Allen, comme Crimes et délits ou Maris et femmes. Ceci en fait la partie la plus intéressante du film, car elle dépasse le cadre de la seule comédie et lui donne une ampleur psychologique appréciable, en plus de nous offrir la rencontre de deux des jeunes acteurs les plus prometteurs du cinéma américain, Jesse Eisenberg et Ellen Page.
On n’en dira pas tant de la troisième partie, plus conventionnelle, qui tourne autour de deux tourtereaux un brin coincés, empêtrés dans un mariage avare en passion et en étreintes torrides, alors qu’ils ne sont ensemble que depuis peu de temps. Antonio et Milly ( Alessandro Tiberi et la bellissima Alessandra Mastronardi) quitte leur petite vie de province pour s’installer à Rome. Le garçon se prépare à un important déjeuner avec son oncle, sa tante et quelques-uns de leurs amis, de futurs employeurs potentiels. Ce sera l’occasion de présenter Milly à sa famille. La jeune femme ressent donc un peu de pression et décide de se faire coiffer avant le rendez-vous fatidique, afin de faire bonne impression auprès de ces bourgeois romains à cheval sur les principes.
Le salon au bas de l’hôtel ne pouvant s’occuper d’elle, elle tente d’en trouver un autre et se perd dans la ville.
Pendant ce temps, le pauvre mari s’impatiente, s’agace. Et pour couronner le tout, suite à une erreur, voit débouler une escort de luxe (Penelope Cruz) prête à lui faire passer une soirée très “bunga bunga”.
Comme Milly n’est pas là et que les visiteurs sont arrivés entre temps, Antonio n’a d’autre choix que de faire passer la prostituée pour son épouse…
Cette partie vaut surtout pour ses actrices. Alessandra Mastronardi est charmante. Ornella Muti est (toujours aussi) charmante. Et Penelope Cruz fait exploser l’érotomètre grâce à sa performance volcanique. L’actrice a troqué son accent espagnol pour des intonations italiennes et s’est glissée dans des robes ultra sexy pour incarner une bombe latine dans la lignée de Sophia Loren ou Gina Lollobridgida.
En revanche, Alessandro Tiberi en fait un peu trop dans le registre du garçon coincé, qui va peu à peu se dégeler au contact de l’accorte escorte.
Le dernier sketch met en scène un italien moyen, modeste employé et père de famille à la vie bien rangée (Roberto Begnini), qui devient subitement une des personnalités les plus populaires d’Italie, sans qu’il ait fait quoi que ce soit d’extraordinaire. En fait, il n’est célèbre que parce que les média se sont intéressés à lui. Tout le monde veut l’interviewer, savoir ce qu’il prend au petit déjeuner, quelle est sa couleur préférée… Chacune de ses réponses semble revêtir une importance capitale. Le bonhomme est désarçonné par ce subit intérêt pour sa petite personne, mais il prend goût aux avantages de la notoriété : il est invité aux premières prestigieuses, se voit gratifié d’un chauffeur et surtout, suscite désormais l’intérêt des femmes, y compris les plus sexy.
Mais quand on a été habitué à une vie modeste, peut-on supporter le harcèlement permanent des média, la pression des journalistes, des fans?
Woody Allen nous livre ici ses réflexions sur la célébrité, à la fois source d’ennuis et de confort. Il l’a lui-même expérimenté, pour le meilleur – une notoriété qui lui permet de tourner un film par an avec à chaque fois d’incroyables castings –et pour le pire – une vie privée étalée dans les tabloïds, avec les conséquences gênantes que cela a pu avoir. Mais le principe de ce sketch est assez poussif et peu convaincant.
Son seul intérêt est de remettre en selle Roberto Benigni, dont on n’avait plus de nouvelles depuis Le Tigre et la neige
To Rome with love est un film très mineur dans la carrière du cinéaste newyorkais, malgré quelques jolis scènes et une distribution globalement étincelante. C’est même l’un de ses films les plus faibles depuis son passage à vide au début des années 2000.
Certains lui reprocheront sans doute une vision un peu trop touristique de la ville de Rome, comme ils lui avaient reproché de filmer Barcelone ou Paris dans ses précédents longs-métrages. Mais, de notre point de vue, ce n’est pas vraiment là que se situe la faiblesse du film. Nous sommes même plutôt contents que Woody filme aussi joliment la ville, avec le même soin et la même recherche esthétique que pour ses oeuvres newyorkaises. Et tant pis pour ceux qui trouvent que cela fait cliché de filmer les thermes romains…
Non, le problème se situe au niveau du rythme du film. Les quatre parties sont donc d’un intérêt inégal, et cette différence de niveau occasionne des baisses de rythme dommageables, d’autant que le film est d’une durée inhabituellement longue pour un film de Woody Allen (1h50 au lieu des 1h20 usuelles).
En fait, il faut juste reconnaître que le cinéaste n’est pas vraiment à l’aise avec le film choral. On s’en était déjà rendu compte avec Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu et cela se confirme ici, hélas. Dès qu’il se disperse sur plusieurs personnages et plusieurs branches narratives, son cinéma perd de sa force. On peine à s’attacher à tous ses personnages et fatalement, on a plus de temps pour voir les artifices de mise en scène utilisés par Woody Allen, moins inspirés qu’à la grande époque des Manhattan, Annie Hall ou La Rose pourpre du Caire.
Cela dit, c’est quand même loin d’être mauvais. Les deux premiers sketchs sont de haute tenue et les deux autres valent le coup d’oeil, ne serait-ce que pour leurs interprètes principaux. Et même si Woody Allen ne nous éblouit pas totalement par sa mise en scène, celle-ci porte bien la patte du maître, qui nous gratifie de quelques scènes particulièrement réussies.
On n’en voudra donc pas trop au cinéaste de nous avoir livré ce cru 2012 un peu trop léger à notre goût. Mais on lui suggère d’arrêter pour un temps ses voyages européens. Si Londres, Barcelone et, dans une moindre mesure, Paris, avaient redynamisé son inspiration, ce n’est pas le cas de Rome. A moins de se rendre en Suède pour y filmer un drame bergmanien, ce qui pourrait être une démarche intéressante vu ses précédentes tentatives (Intérieurs, September), on conseille à Woody Allen de se ressourcer un petit peu chez lui et de retrouver ses marques pour nous concocter un de ces petits joyaux dont il a (avait?) le secret. Et on vérifiera le résultat l’an prochain. Vivement!
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To Rome with love
To Rome with love
Réalisateur : Woody Allen
Avec : Woody Allen, Judy Davis, Ellen Page, Jesse Eisenberg, Alec Baldwin, Penelope Cruz, Roberto Benigni
Origine : Etats-Unis, Italie
Genre : film à sketch à l’italienne
Durée : 1h51
Date de sortie France : 04/07/2012
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Chronic’art
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