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Quelques facettes du Prism de Dave Holland en concert à Genève

Publié le 04 août 2012 par Assurbanipal

Dave Holland Prism.

Jazz Estival. 47e édition.

Genève. Cour de l'Hôtel de Ville.

Lundi 30 juillet 2012. 20h30.

Dave Holland: contrebasse, direction

Craig Taborn: piano, Fender Rhodes

Eric Harland: batterie

Kevin Eubanks: guitare électrique

Dave Holland

La photographie de Dave Holland  en concert à Genève est l'oeuvre du Persistant Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de cette oeuvre sans l'autorisation de son auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales.

L'organisateur explique qu'en plus du cachet habituel, pour convaincre Dave Holland d'ajouter un concert à Genève à sa tournée européenne de l'été 2012, il a fallu ajouter trois caisses de Gameret, un vin du Valais. Manifestement, le stratagème a fonctionné. Le concert est prévu à 20h30 et commence à 20h40. Une précision et une organisation toute helvétique. Nous sommes dans la cour de l'hôtel de ville de Genève achevé en 1578, en plein air. Le ciel est bleu, il fait chaud et le vent est faible. Bref des conditions idéales pour écouter de la musique dans ce havre de calme au coeur de la vieille ville.

Dès l'attaque de la contrebasse, l'auditeur sait, au cas où il l'ignorerait encore, qu'il a affaire à un Maître. Guitare et batterie se mêlangent, le pianiste vient distiller quelques notes. C'est tout de suite magique. Ca ressemble à du Miles Davis de 1969, celui qui a lancé Dave Holland sur la grande scène dont il n'est jamais redescendu depuis. C'est hypnotique comme Bitches Brew. Quelle ligne de basse! Bien des musiciens se damneraient pour l'obtenir. C'est super précis, en place, fin et puissant. Bref, c'est Hénaurme! Ce qui émane de Dave Holland, outre la maîtrise de son instrument et de son groupe, c'est la bonté. Cette musique est curative. Music is the healing force of the universe comme disait Albert Ayler. En solo, comme  Ron Carter, Henri Texier, autres maîtres de la contrebasse, Dave Holland nous raconte de très belles histoires. Le groupe monte en puissance pour lancer le guitariste. Ca chauffe du feu de Zeus! Ca devient très funky. Je ne serais pas étonné que ce guitariste ait écouté Georges Benson et  Prince. Les murs de l'hôtel de ville de Genève tiennent le choc. Nous aussi, ma foi. 20mn pour le premier morceau. Ils sont chauds. Dave Holland explique que c'est le dernier concert de la tournée ce soir et s'excuse d'avance de jouer beaucoup de musique avant de partir se reposer. S'ils continuent comme ça, ils sont tout excusés. C'était " A New Day " (Dave Holland). La promesse de l'aube se trouvait bien dans cette musique.

" Evolution " (Kevin Eubanks). Ca commence conceptuel par différents bruitages des musiciens mais de façon mélodieuse et coordonnée. C'est de l'improvisation, pas du désordre. Nuance. Cela s'ordonne autour de la contrebasse, point d'ancrage. Quelle pulsation! Directement en résonance des tympans au coeur. Ca devient subtilement et puissamment funky. Cordes pincées et grattées à la guitare. Si Prince achetait cette musique, il pourrait en faire une sacrée chanson. Pour que ce soit encore plus funky, Carig Taborn est passé au Fender Rhodes. Ca marche. Malheureusement, nous sommes tous assis sagement et il n'y a même pas de place pour danser devant la scène. Quel dommage! Ca devient plus rock pour le final. Sauf que ce n'est pas le final mais l'occasion de repartir sur un autre thème. Non seulement Kevin Eubanks fait corps avec sa guitare mais, en plus, il nous incorpore dedans. Ils jouent avec une puissance contrôlée qui nous envoûte. Un dernier roulement de tambour et il ne nous reste plus qu'à applaudir quasi groggy. 

" The colour of ours " (Kevin Eubanks). Je ne garantis pas le titre. Est ce un hommage à la négritude? " Le tigre ne proclame pas sa tigritude. Il saute sur sa proie et il la mange " (Wole Soyinka). Le batteur commence à faire rouler ses balais sur les tambours. Son sombre de la guitare. Une mamie s'en va. Cela libère une place assise pour ceux qui écoutent debout. Merci à elle. C'est une ballade. Retour au piano pour Craig Taborn. C'est joli mais un peu trop gentil, mielleux à mon goût. Techniquement c'est impeccable mais, émotionnellement, c'est trop poli pour être honnête. Si poli que cela devient lisse et insignifiant. Heureusement, c'était moins long que les deux précédents morceaux. 10mn au lieu de 20 chacun. 10mn qui m'ont paru plus longues que les 40 précédentes. Une nouvelle preuve de la validité de la théorie de la relativité générale, découverte en Suisse d'ailleurs. 

Dave Holland commence un solo. Des rustres s'en vont. Pour fuir un solo de Dave Holland, il faut être un rustre. Comme Charles Mingus, il sait faire sonner sa contrebasse comme des grandes orgues mais sans l'aspect révolté, militant. Je ne dirai pas, comme feu Thierry Roland, " Après ça, on peut mourir! ", parce que la mort me privera de la musique de Dave Holland entre autres plaisirs de la vie. Le groupe est reparti, dense, énergique, funky. Ca, c'est bon. Le piano fait des vagues puissantes. Un signe du pianiste et ça repart à fond les manettes pour rebondir l'instant d'après sur un thème plus souple mais toujours puissant. Le guitariste est parti en flèche, très vite, très haut, très fort, poussé par la rythmique. Logique, en ce moment, à Londres, ce sont les Jeux Olympiques. Il y a une vibration, une lame de fond poussée par ce quartette qui nous emporte. Même si ça attaque fort et ferme, ce n'est jamais violent. Ils s'amusent bien et nous avec eux. Un peu de finger tapping sur la guitare pour rendre la musique encore plus funky. La preuve que ça marche, c'est que je bats la mesure en claquant ma langue dans ma bouche, fait rarissime dans un concert de Jazz. C'était " Spirals " (Craig Taborn). En effet, ça tournait.

" The empty chair " (Dave Holland). Voir la vidéo qui illustre cette chronique. Dave Holland commence, bien grave, bien centré, relayé par quelques vibrations de cymbales puis de guitare. Ca gémit, vibre, viril et sensuel en diable. Les projecteurs se sont allumés au dessus de la scène. Les étoiles devraient les rejoindre. De tels artistes méritent le salut du Grand chef éclairagiste. Si la chaise était vide, ils la remplissent avec grâce, mesure, élégance. Ca se passe entre le contrebassiste et le guitariste. Pianiste et batteur savourent comme nous. Les étoiles sont en train de rater ça. Elles ont tort. C'est une sorte de Blues. En Europe, seuls les Anglais savent jouer le Blues. Dave Holland est Anglais. C'est pour cela que Miles Davis l'a choisi pour remplacer Ron Carter et non pas Eddie Gomez. Une claque des baguettes sur la batterie et le groupe est parti. Craig Taborn s'est mis au Fender Rhodes. Il est 22h à ma montre mais à l'ambiance, il est au moins 2h du matin. C'est un  Blues qui crache le feu, qui expulse les mauvais esprits. Ca fait du bien par où ça passe. 

Retour au piano avec Craig Taborn qui détourne " O when the saints " en ballade. Juste un instant avant de partir vers autre chose. Une ballade a priori. Solo de piano à la Keith Jarrett, même visuellement. Il a l'air de vouloir entrer dans le piano, s'y incorporer au lieu de le maîtriser, devenir un prolongement du piano et non pas faire du piano un prolongement de soi comme  Martial Solal par exemple. Après ce long, très long, trop long solo, le groupe part en ballade avec le batteur aux maillets. Quelques douces griffures de guitare. Malgré la pulsation magique de Dave Holland, c'est sirupeux tout de même. C'était " Breeze " d'Eric Harland. A mon goût, ça manquait de souffle et de fraîcheur.

" The watcher " (Kevin Eubanks). Ca démarre bien funky entre guitare et batterie. Craig Taborn revient au Fender Rhodes. Pulsation rapide, précise de la contrebasse. Humm, que ça groove bien! Le guitariste retient, relâche. Ils nous manipulent pour notre plus grand plaisir. Quel bon vrombissement! Ca déménage sérieusement. Bel envol. Craig Taborn est sérieux au Fender Rhodes. Il n'a pas le grain de folie créative qu'avaient Herbie Hancock, Chick Corea, Keith Jarrett quand ils jouaient avec Miles Davis en 1969-70. Il manque du sens de la démesure. Chaque membre du quartette est auteur, compositeur, interprète sous l'autorité sage et souriante de Dave Holland, vrai démocrate et First Lord of the Bass. 

Le concert s'est fini avec un public en extase, avec un rappel que je n'ai pas suivi jusqu'au bout car j'avais de la route à faire pour rentrer au domicile estival, une heure matinale pour me lever le lendemain afin d'aller marcher en montagne (sur France, comme disent les Suisses). Pour reprendre une autre expression suisse, malgré quelques rares ballades sirupeuses, j'ai été déçu en bien par ce concert du quartette électrique Prism de Dave Holland. Tout de bon! 

Quelques facettes du Prism de Dave Holland en concert à Genève

Ci-dessous au festival de Jazz de Garana (Roumanie), le samedi 14 juillet 2012, le Quartette électrique Prism de Dave Holland joue " The empty chair ". Le film est d'un amateur. Pas la musique. A écouter ou à danser selon votre bon plaisir, lectrices ailées, lecteurs aériens.

 

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