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Ziad Kreidy " Les avatars du piano "

Publié le 21 octobre 2012 par Assurbanipal

Ziad Kreidy

" Les avatars du piano "

 Editions Beauchesne. Collection L'Education musicale.Paris. 2012.77 p.

Ziad Kreidy

La photographie de Martial Solal au piano est l'oeuvre du Généreux Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de cette oeuvre sans l'autorisation de son auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales.

Lectrices musicologues, lecteurs mélomanes, avant de commencer la chronique des " Avatars du piano " par le pianiste et musicologue libanais Ziad Kreidy, je dois vous avertir qu'il n'est pas du tout question de Jazz dedans. Par esprit de contradiction, j'illustre cette chronique par du Jazz.

De quoi parle donc ce livre court, dense et passionnant? De l'évolution technologique d'un instrument de musique créé à Florence, Toscane, Italie vers 1700 sous le nom de pianoforte (nom qu'il porte toujours en italien d'ailleurs) par Bartolomeo Cristofori (1655-1731) et des effets de cette évolution sur le jeu des pianistes. Est-il possible en 2012 de jouer des concerti de Mozart, des sonates de Beethoven, des études de Chopin comme leurs compositeurs l'entendaient (quoique Beethoven n'entendait plus rien à la fin de sa vie!)? La réponse de l'auteur est pessimiste et argumentée. A son avis, non. En effet, le développement technologique du piano depuis sa création est allé vers toujours plus de puissance et de standardisation. Des pianos produits à la chaîne comme des motocyclettes ne peuvent donner qu'une musique pétaradante. Ce qui est gagné en puissance est perdu en finesse, en expressivité, en singularité.

Certes, l'auteur prêche pour sa paroisse puisqu'il est musicologue et joue sur des instruments anciens. Joue t-il sur ceux de l'association Ad Libitum basée à Etobon, Haute Saône, Franche Comté, France (Ziad Kreidy enseigne d'ailleurs à l'université de Franche Comté à Besançon)? Toutefois, le lecteur ignorant que je suis a été captivé par son propos à la fois richement argumenté et passionné, dans un format bref. Ne sachant ni lire, ni écrire, ni jouer de la musique, j'ai pourtant dévoré son livre en sautant les partitions. Même en passant les partitions, comme l'on peut passer les longues descriptions botaniques, géologiques et zoologiques dans les romans de Jules Verne, ce livre est passionnant. Evidemment, si vous êtes capable de suivre ses indications en jouant sur un piano, vous profiterez bien plus des leçons de l'auteur.

Il n'est pas question en 2012 de fabriquer des pianos comme ils l'étaient en 1812. Ce ne serait pas rentable. La musique est une industrie comme les autres. Theodor Adorno, qui ne comprenait rien au Jazz, l'a démontré il y  a déjà longtemps. Curieusement d'ailleurs, Adorno n'est pas cité dans ce livre. Un regret tout de même: cet ouvrage ne comprend ni bibliographie ni discographie. Certes il y a des notes en bas de page mais c'est un peu juste. Il est possible que le format très court ne l'ait pas permis.

Par rapport au Jazz, voici quelques réflexions que m'inspire ce livre. D'abord, il ignore totalement qu'il existe un autre répertoire pianistique que celui dit classique. Certes, le Jazz est bien plus une musique d'improvisation que de composition mais pour jouer il faut un instrument, un piano qu'il soit droit comme souvent dans les petits clubs de Jazz (l'auteur réhabilite d'ailleurs le piano droit), à quart, demi ou queue (le crocodile disent les Jazzmen) et les pianistes de Jazz (Ivory ticklers) ont souvent tiré parti des limites de leur instrument voire même de leur technique comme Thelonious Monk. A part le classique, seul le Jazz a développé une école de piano et vu éclore des pianistes virtuoses respectés de leurs pairs du Classique. Sviatoslav Richter admirait la technique de Martial Solal et Alexis Weissemberg était un fan de Serge Gainsbourg pour en rester à deux musiciens qui illustrent cet article. Ensuite, il ignore qu'au XX° siècle a été inventé le microphone qui permet de diffuser et d'enregistrer le son. Il est vrai que les pianistes classiques jouent sans micro même avec orchestre. Sauf quand ils doivent être enregistrés. Le seul fait de passer par le truchement de câbles électriques, de hauts parleurs, change le son de l'instrument, la perception du musicien et de l'auditeur. Même avec sa puissance moderne, le pianiste de Jazz ne peut rivaliser avec le batteur. Quand il joue un solo, soit le batteur cesse de jouer, soit il joue en sourdine. C'est pour pouvoir jouer à fond avec le batteur à fond qu'Eddy Louiss est passé du piano à l'orgue Hammond.

Tous mes arguments d'amateur de Jazz sont en fait fallacieux puisque l'auteur ne parle que de musique classique. Il n'empêche que même si le Jazz est d"abord une musique d'interprètes, il a aussi un répertoire. La grande différence avec le classique c'est que le Jazz est né avec le disque et la radio, que nous savons donc comment jouaient et dirigeaient Duke Ellington, Count Basie, Bill Evans, Thelonious Monk, Bud Powell, Jelly Roll Morton pour en rester aux pianistes. Alors que nous n'avons pas la moindre trace sonore de Bach, Mozart, Beethoven, Chopin. Sans oublier que le Jazz compte des compositeurs noirs, blancs, métis, européens, américains, catholiques, juifs, protestants, musulmans, scientologues, athées, agnostiques, alors que le classique, à part le Chevalier de Saint Georges, c'est une musique de blancs le plus souvent européens. La question de la fidélité à l'oeuvre écrite est bien moins importante en Jazz puisque l'improvisation est toujours possible alors qu'en Classique, seuls les organistes ont conservé cette liberté (cf les interprétations de Bach par Jean Guillou à l'église Saint Eustache à Paris). Il n'empêche que lorsque Martial Solal a interprété Duke Ellington avec son orchestre, il lui a été reproché de lui être infidèle alors même que Duke Ellington a dit grand bien de Martial Solal et que Martial Solal a mûri, grandi avec la musique du Duke.

Bref, lectrices musicologues, lecteurs mélomanes, vous avez compris qu'il faut lire " Les avatars du piano " par Ziad Kreidy parce que c'est un livre passionnant, stimulant, dérangeant, instructif. " Le rôle de l'intellectuel est de semer des doutes, pas de cueillir des certitudes " (Norberto Bobbio). C'est ce que fait superbement Ziad Kreidy. A lire avec du bon piano en fond sonore. Par exemple, Mal Waldron jouant seul sa composition " All alone ". Silence, beauté.



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