A l’extrême fin de la période caravagesque, Georges de la Tour nous donne du thème une interprétation des plus carrées.
La Diseuse de Bonne Aventure
Georges de La Tour, 1635, Metropolitan Museum of Arts, New York
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Le rapport de force
La Tour a conservé la composition de Caravage, mais avec quatre bandes verticales (le tableau a été raccourci sur sa gauche et légèrement élargi sur le haut).
Cette fois, il a ôté toute chance au jeune homme, en l’entourant de quatre redoutables femelles.
Les registres parallèles
Le jeune homme renvoie à la vielle femme un regard suspicieux, mais n’a pas conscience des trois autres regards qui le clouent au centre du piège. Les personnages sont statufiés dans leurs méfiances croisées ; ce qui vit, ce sont les regards en haut, et les mains en bas, jouant leurs jeux de dupes dans leurs registres parallèles.
L’instant ironique
La Tour a saisi un instant bien particulier, où le jeune homme présente sa paume tandis que la diseuse brandit une pièce entre le pouce et l’index. Est-ce l’instant du paiement, essaie-t-elle d’amadouer le jeune homme pour avoir une autre pièce ?
En fait, il s’agit d’une technique de prédiction qui se pratiquait à l’époque : la diseuse ne lisait pas les lignes de la main, mais se concentrait sur une pièce marquée d’une croix, que le sujet devait tenir dans sa paume ( voir G. de La Tour, catalogue de l’exposition du 3-10-1997 – 26-01-1998, p 153, Ed. Réunion des Musées Nationaux, Paris 1997 )
Sans doute la marque de la croix avait-il pour but de blanchir le côté diabolique de la divination. Peut-être aussi la pièce servait-elle à la fois pour la prédiction et le paiement – bonne manière pour la praticienne de s’assurer que son client avait de quoi.
Ici, la pièce sert bien sûr à focaliser l’attention du nigaud sur la vieille et sur son boniment, tandis que ses filles lui font les poches.
Des pickpockets professionnelles
Comme chez Caravage, tout se passe dans la lumière du jour. Mais La Tour ne suggère pas, il démontre : nous voyons la main de le première gitane qui se glisse dans la poche droite en soulevant délicatement la tunique ; nous voyons la main de la seconde qui, avec une petite pince, sectionne délicatement la chaînette de la médaille. Enfin, la main de la troisième se tend déjà, dans l’ombre, pour récupérer le butin et s’esbigner en douce.
Ce qui était suggéré chez Caravage est ici appuyé, surchargé, comme si l’épuisement du thème obligeait à forcer le trait. La fille de gauche porte des soleils sur son corsage, pour bien signifier qu’elle est une orientale et une voyante.
Et la vieille femme montre clairement, par le motif brodé de sa chasuble (des lapins guettés par des aigles), quel sort est réservé au naïf.En quarante ans, le goût a évolué. Les ambiguïtés de Caravage ne sont plus de mise : une vieille femme face à un jeune homme nullement efféminé, voilà tout.