Concernant les résultats d'élections françaises, le géographe Gilles Fumey, parmi d'autres, avait déjà brandit un "carton rouge pour les cartes électorales", revenant sur cet impératif de comprendre ce que nous dit la carte. La carte-discours dépend des choix du cartographe (volontaires ou imposés par son commanditaire), et dans le cas des cartes électorales, le choix du territoire de référence qui sera cartographié change totalement la représentation cartographique. En France, le choix de représenter les résultats des vote par région, par département, par canton ou par ville, change totalement la représentation. De plus, la corrélation doit être faite avec la densité de population : dans le cas des Etats-Unis, l'article de Cris Beauchemin, "Élections présidentielles aux États-Unis : « The Great Divide », mythe ou réalité spatiale ?" (Mappemonde, n°77, n°1/2005, rubrique "Internet" : voir le billet "Les élections présidentielles des Etats-Unis en cartes"), revenant sur la victoire de George W. Bush en 2004 interrogeait justement, en confrontant différentes cartes, la représentation de la "marge de victoire" par la représentation cartographique. Il confrontait ainsi plusieurs séries de cartes :
- carte des résultats par Etat :
- carte "classique" selon la superficie
- anamorphose selon le poids relatif de chaque Etat dans la population nationale
- anamorphose selon le poids relatif de chaque Etat dans le collège électoral
- carte des résultats par comté :
- carte "classique" selon la superficie
- anamorphose selon le poids relatif de chaque Etat dans la population nationale
- carte des résultats par comté en fonction de la marge de victoire
- carte "classique" selon la superficie
- anamorphose selon le poids relatif de chaque Etat dans la population nationale
Cartographies des élections présidentielles aux Etats-Unis en 2004 :
une "Amérique divisée" ou une "Amérique pourpre" ?
Source : Cris Beauchemin, "Élections présidentielles aux États-Unis : « The Great Divide »,
mythe ou réalité spatiale ?" (Mappemonde, n°77, n°1/2005, rubrique "Internet".
Carte des résultats des élections présidentielles étatsuniennes par Etat
Source : Le Monde, 7 novembre 2008.
En effet, sur ce type de carte ne donnant que le vainqueur par Etat, on ne voit pas si cette victoire est solide ou si elle dépend d'une très petite avance. Des cartes sur la "marge de victoire" lors de l'élection 2008 (celles de 2012 sont à venir !) permettent d'affiner cette analyse. Dans la carte interactive du Washington Post sur les éelctions de 2008 ("Presidential Election: Winners by County", novembre 2008) qui permet de choisir les résultats combinés ou les résultats par candidat, les résultats électoraux en fonction de la "marge de victoire" (calculée en retirant le nombre de voies attribuées au perdant du comté considéré au nombre de voies du vainqueur : par exemple, dans le comté de Broward en Floride, Barack Obama a reçu 464.353 votes, et John McCain 220.786 votes, ce qui donne à Obama une marge de victoire de 243.567 votes) montrent qu'à l'échelle des comtés, les territoires emportés par John McCain ne lui donnaient que rarement de très légères marges de victoires, tandis que Barack Obama pouvait s'appuyer sur de nettes victoires à Los Angeles ou à Chicago et sur un nombre de victoires relatives plus important. Il sera nécessaire de confronter cette carte de 2008 aux cartes du même ordre avec les résultats de 2012.
Carte des résultats des élections présidentielles étatsuniennes de 2008
par comté (aplats de couleur) et tenant compte de la "marge de victoire"
Source : The Washington Post, novembre 2008.
Carte de la marge de victoire par comté lors des élections 2012Source : "President map", The New York Times, 7 novembre 2012
De plus, il est intéressant de montrer, à des échelles différentes, les évolutions dans la géographie du vote. La carte de l'évolution du vote par comté entre 2008 et 2012 proposée par le New York Times montre que si Barack Obama est vainqueur de cette élection, il a déçu une partie des électeurs qui avaient voté en 2008 pour le parti démocrate. Si ce constat est assez "logique", Barack Obama, en tant que Président sortant, devant répondre d'un bilan, ce qui est plus intéressant est d'observer que loin des clichés sur un clivage "Amérique urbaine"/"Amérique profonde", cette évolution du vote affecte tout autant les comtés très fortement urbanisés que les autres, et ne laisse pas entrevoir la même ligne de fracture que la carte des résultats par Etat selon la superficie.Evolution du vote par comté entre 2008 et 2012
Source : "President map", The New York Times, 7 novembre 2012.
- L'Etat de New York, qui s'étend sur 141.229 km2, avec plus de 19 millions d'habitants (au 3ème rang après la Californie et le Texas), compte 29 grands électeurs.
- L'Etat du Montana, qui s'étend sur 380.834 km2 (la "tâche" de couleur du vainqueur de cet Etat est donc bien plus visible sur la carte des résultats électoraux par Etat) compte 989.415 habitants, et 3 grands électeurs.
Carte des intentions de vote par Etat en fonction du nombre de grands électeurs
Source : The New York Times, novembre 2012 (avant le vote).
Carte des résultats 2012 par Etat selon la superficieSource : Mark Newman, "Maps of the 2012 US presidential election results", 7 novembre 2012
Carte des résultats 2012 par Etat selon le nombre de grands électeursSource : Mark Newman, "Maps of the 2012 US presidential election results", 7 novembre 2012
Carte des résultats 2012 par Etat selon le nombre d'habitants
Source : Mark Newman, "Maps of the 2012 US presidential election results", 7 novembre 2012.
Extrait des résultats chiffrés par groupes de population pour les élections 2012
(critères : sexe, âge, revenu, appartenance communautaire, niveau d'éducation...)
Des cartes sur les élections présidentielles étatsuniennes et leurs enjeux
- Cartes du New York Times.
- Toutes les cartes de Robert J. Vanderbei sur les résultats des élections présidentielles étatsuniennes de 1960 à 2008.
- Les cartes par anamorphoses de Mark Newman pour les résultats de 2008 et de 2012.
- Les cartes interactives du Monde pour les élections 2008.
- Blog : La Course vers la Maison-Blanche, Elisabeth Vallet.
- Site : Quelle Amérique après 2012 ?, Chaire Raoul Dandurand.
- Elisabeth Vallet, 2012, "Les fractures électorales de la démocratie américaine", Visions cartographiques, 29 octobre 2012.
- Elisabeth Vallet, 2012, "La course vers la Maison-Blanche : quelle géographie pour les élections présidentielles étatsuniennes ?", Cafés géographiques, rubrique "Vox geographi", 6 octobre 2012.
- "Géographie électorale, géographie des élections", Cafés géographiques, rubrique "Des Dossiers", 6 février 2012.
- "Géographie des élections", Scoop.it, journal de "Géographie de la ville en guerre" regroupant les liens des articles sur la géographie électorale, la géographie des élections, la géographie dans les élections.
- Billet : "Géographie et cartographie électorale (1) : des sites et des cartes", Géographie de la ville en guerre, 23 mars 2012.
=> En guise de (non-)conclusion, voici une invitation à (re)découvrir le très article du géographe Thierry Joliveau sur "La carte, un truc de maniaques ?" dans son carnet de recherches Monde géonumérique (7 avril 2010). En voici le point de départ : "La carte est-elle un objet complexe, un outil réservé aux spécialistes ? Ou bien, comme la néogéographie le postule, tout un chacun aujourd’hui va-t-il être amené à fabriquer sa propre carte et donc à maîtriser la technique cartographique ? Cette question est difficile à trancher mais ouvrir le débat me paraît nécessaire".