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Xu Xu Fang, Viper au sein

Publié le 01 avril 2008 par Bertrand Gillet
Cinquième partie


Les Warlocks déboulèrent avec morgue, le brouhaha baissa nettement d’un volume comme si les dieux commandaient aux hommes, sur la vaste console clignotante de l’Olympe rock, le leader nous présenta l’actuelle formation, réduite à l’essentiel, en gros pour produire de la saturation chantée, le show commença alors dans les lumières opiacées et les regards bancals. Le son était brut, gorgé d’écho et de mal être, la signature sonore des Magiciens, moi, je planais en sirotant mon 32e verre de vodka, tout était sous contrôle, moi un peu moins, mais telle était l’objectif non assumé de la soirée, surtout lorsque vous venez de palabrer trois pages sur un chinois muet et un matou hâbleur. Ballade électrique dans les sables mouvants d’un esprit résolument happée par les folles sirènes du psychédélisme, tel était l’image qui se fixa dans ma rétine lorsque Bobby Hecksher se mit à psalmodier d’une voix névrotique, presque chevrotante, juchée sur le parapet vacillant, au bord du gouffre blême d’une vie de défonce. Les guitares crissent, crépitent comme les réacteurs massifs d’un Boeing flambant neuf décollant vers la stratosphère ; la musique métronomique s’embrase comme un occident au petit matin, soleil lapis à son zénith. Contrastant sévèrement avec l’obscurité dévorante que les traits de lumières venaient percer par intermittence. Malgré la force d’attraction que le groupe dégageait, je me sentais ailleurs, en attente, en transit, mon âme appelait Xu Xu Fang et l’exhortait à venir se produire sur scène. Après un long moment de jam vrombissant au milieu des lights shows, mon vœu fut exaucé. Les guitares spatiales et le chant monocorde de vestale californienne diffusèrent dans l’espace une forme de litanie ample, accentuée par la frappe lourde de la batterie martelant d’obsessionnelles boucles au ralenti comme le temps se figeait dans un crépuscule saumâtre, empêtré dans je ne sais quel rêve nébuleux, mon corps semblait alors réagir de façon robotique, chaque mouvement exigeant des minutes pour s’exécuter ; lysergique agrégat d’impressions lymphatiques. Les morceaux s’enchaînaient sans hiatus, comme s’ils étaient liés, malaxés, ne faisant qu’un avec mon cerveau bien branché par le déballage intérieur des alcools et autres drogues que j’avais malgré tout abondamment ingurgités sans précautions aucunes, mon médecin personnel, c’est-à-dire ma femme, m’ayant également prescrit de la morphine en dose infinitésimale. Mes bras n’était que caoutchouc, ma tête un morceau de coton imbibé, ma langue s’effondrait, il y avait des flashs cisaillés et de longues minutes dilatées. Ma main, lamentable corps expéditionnaire, venait de se crasher sur la table, essayant vainement de se saisir d’un verre vide, les alcools avaient disparu et se déhanchaient maintenant dans nos veines, tout le monde planait sévère. Le set était fantastique, mirifique, Xu Xu Fang était belle et bien l’une des toutes meilleures formations de la nouvelle scène californienne, certitude qui arrachait à ma gorge de petits ricanements sardoniques. Et puis à un instant précis, je m’en souviens encore, les choses dérapèrent, je crois qu’en fait, cela commença lorsque le serveur nous apporta du vin californien. Le jus épais et boisé rampait le long de mon œsophage, il rongeait tout sur son passage comme dans Street Trash, je crois qu’après, nous quittâmes les lieux, Johnny Yen, le matou, leur petite cour et votre serviteur. La limousine s’enfuit dans un titubement motorisé.

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