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Et reboum sur Parker !

Par Mauss

Un mien ami, ne sachant pas que je me trouve dans les brumes automnales milanaises (ça y est : le scandale annuel de l'ouverture de la Scala avec Wagner au lieu de Verdi est en train de couver maousse), me fait connaître une revue dont j'ignorai jusqu'au titre : REUSSIR VIGNE (ICI).

Que peut-on y lire donc de si chaud ? Une interview de Frank Dubourdieu par Dame Claudine Galbrun.

Article que je me permets, sous leur ©, de reproduire ci-dessous :

Franck Dubourdieu, œnologue

« Une certaine critique américaine dicte son goût »

Dans son livre, résolument engagé, « Du terroir à la guerre du goût », l'œnologue Franck Dubourdieu, prend résolument fait et cause pour les vins de terroir et dénonce la domination progressive d'un goût mondialisé, fait d'une certaine critique américaine. Rencontre avec cet auteur qui ne mâche pas ses mots.

Réussir Vigne : Quelle est donc cette guerre du goût du vin qui serait en train de se déployer sur la planète et que vous dénoncez dans votre ouvrage ?

Franck Dubourdieu : Cette guerre oppose les partisans de deux styles de vin dans leur jeunesse. D'un côté, il y a les vins puissants, gras, anabolisés, exubérants, standardisés par le boisé, de l'autre, les vins retenus, équilibrés avec une certaine acidité, capables d'émouvoir à terme des palais classiques, éduqués « vieux continent ». Soit un goût mondialisé répondant aux sirènes du marché contre l'expression vraie et pure du terroir. Et ce qui m'afflige est de constater que cette soumission à ce goût mondialisé touche les grands vignobles de la vieille Europe et plus particulièrement Bordeaux. 

Réussir Vigne : Est-ce la critique vinicole qui entraîne cette évolution vers un goût mondialisé ?

Franck Dubourdieu : Oui et en particulier une certaine critique américaine  qui dicte son goût notamment tout en haut de la hiérarchie des appellations et des crus. Depuis trente ans, ce diktat a pris une ampleur considérable auprès de crus qui doivent chaque année écouler des volumes parfois très importants. Les Etats-Unis qui sont parmi les plus gros importateurs de grands vins rouges français principalement de Bordeaux, ont orchestré la médiatisation de ces derniers qui touche la planète entière et entraîne une remise en question du goût identitaire de certains producteurs. La standardisation est bien ce mal qui ronge beaucoup de grands vins rouges en Europe pour, soi-disant, s'adapter au marché.

Réussir Vigne : Sans jamais le nommer, ne mettez-vous pas en accusation Robert Parker ?

Franck Dubourdieu : Robert Parker est arrivé au bon moment à Bordeaux. Il est travailleur, il sait manier le verbe. Il est devenu une marque, un mythe et du coup, il peut s'autoriser n'importe quoi. En plus, les Américains ont cette vertu qui est de se donner un gourou lorsqu'ils ne connaissent rien dans un domaine. Et tous les gens qui ne connaissent rien au vin ont le guide Parker. En plus, il a été le premier à raconter le vin dans un luxe de détails, incroyables pour un vrai dégustateur. Ainsi, parle-t-il par exemple, pour un vin de l'odeur du pain grillé, de moka, de café, de crème caramel, de fruits confits, de cerise et de tant d'autres fragrances laudatives savamment distillées et variées à l'infini sinon inventées. On connait la musique, il m'arrive d'être obligé d'imaginer plus ou moins ces histoires d'odeurs pour satisfaire un public de béotiens. J'en ai horreur mais c'est ce qu'on attend parfois de nous. C'est génial,  car il a répondu à une attente mondialisée des consommateurs néophytes et donc  crédules.

Il est donc très fort mais représente cependant un danger puisque la norme, c'est lui. Pour avoir une bonne note, il faut donc se rapprocher des bons œnologues et parfois on en arrive jusqu'à une falsification des échantillons au moment des primeurs puisque c'est à ce moment-là que tout se joue pour le haut du panier bordelais et que des vins « excessifs » pourront alors plus facilement sortir du lot.

 Réussir Vigne : La critique française ne joue-t-elle pas un rôle de contre-pouvoir face à la prééminence de Parker ?

Franck Dubourdieu : la critique vinicole française a depuis longtemps fait allégeance à Parker dès qu'elle a compris qu'elle ne pourrait pas lutter contre lui. Elle s'est rangée du côté du « gustativement correct ». Il y avait quelques opposants concernant la critique des Bordeaux, maintenant c'est fini. Ils sont rentrés dans le moule du fric et de la marchandisation. Personne n'a objectivement critiqué le sur-classement récent de certains crus à Saint-Emilion, tous porteurs dans leur goût de l'excès que je dénonce et de notes mirobolantes. Mais pas forcément porteurs de  l'essence suprême du Terroir que laisserait imaginer leur  nouvelle position en haut de la hiérarchie.

Réussir Vigne : la guerre est-elle alors perdue ?

Franck Dubourdieu : En privé, les gens me disent que j'ai raison de me battre et de défendre les vins de terroir mais après ils doivent commercer alors ils suivent Parker et s'abandonnent au profit de la mondialisation. Mais je crois que ce combat répond à une demande, parfois insoupçonnée des consommateurs. Alors...

Claudine Galbrun

QUELQUES COMMENTAIRES

Préliminaire :

Ce que dit Franck Dubourdieu n'est pas totalement faux, understatement. Simplement, il y a des perspectives à mettre dans le bon sens et quelques nuances qu'il eût fallu développer pour garder un ton juste et honnête.

D'abord, Madame Galbrun, cette situation que vous évoquez dans votre première question est aussi vieille que le jeu des mille francs. Ce sujet a été mille fois débattu, sur papier et sur sites web, depuis des années. Aussi, ne m'en voulez pas de remettre quelques pendules en place.

a : le monde du vin ne peut se réduire à Bordeaux et aux cabernets-merlots. Une fois pour toutes, et par respect pour elles, merci de citer les régions totalement indépendantes à l'influence parkérienne comme l'Alsace, la Bourgogne, et des pays comme l'Allemagne, la Hongrie, etc. Donc, non : cela ne touche pas tous "les grands vignobles de la vieille Europe".

b : non, malgré les faciles apparences, il n'y a pas une "standardisation" du goût. Bien au contraire, l'amateur a plus que jamais une immense palette de propositions de beaux crus offrant des centaines, des milliers d'approches différentes au grand vin.

c : une fois votre maïeutique faite (bravo) où Mr Dubourdieu cite enfin le nom de Parker, il eût fallu relever le fait que de dire de cet homme d'exception qu' "il peut s'autoriser n'importe quoi", c'est effectivement, du n'importe quoi. Le jour où l'on comprendra qu'on a affaire à un homme simple, qui a depuis des lustres la même approche du vin, et que cet homme n'a surtout plus besoin de démontrer quoique ce soit vis à vis de quiconque, on avancera un tantinet dans la béatitude des poncifs. Associer le mot "danger" à son nom, c'est vraiment ne rien comprendre.

En effet, combien de fois faudra t'il écrire que s'il y a quelqu'un à blâmer, ce sont ses lecteurs, ses béniouiouis, ses affidés, les producteurs qui l'adulent bêtement (ou intelligemment : c'est selon) ? Qui oblige quiconque à le suivre dans ses recommandations ou jugements ? Qui met un pistolet sur le tempe de qui ? Toujours cette histoire du doigt et de la lune.

d : les falsifications des primeurs et les bonnes notes : s'il est vrai que certains échantillons "primeurs" sont de belles mascarades (cela aussi, nous en avons déjà parlé "x" fois), laisser sous-entendre que ce serait un peu la faute du grand Bob, c'est-y pas un peu fort de café ?  Les bonnes notes : mais que oui qu'il y a des producteurs qui s'en contrefichent des notes de Parker! Un nom ? Mitjavile. Un autre ? Figeac. Deux styles bien différents - on en conviendra facilement - , mais aussi deux "neutres" vis à vis du gourou américain. Et la liste bordelaise peut être facilement complétée.

Attention : cela ne veut nullement dire qu'il y aurait d'un côté des purs dont les vins sont toujours des références et de l'autre des inconséquents qui n'auraient rien compris et feraient des vins médiocres. Il y a d'excellents crus qui plaisent à Parker et à Bettane et d'autres qui sont rois chez lui et qui, au GJE, sont en queue de liste. Les nuances des goûts, toujours.

e : le paragraphe sur la critique française qui se serait "rangée du côté du "gustativement correct"". Si on entend par là qu'en matière de Bordeaux, il est difficile pour B+D, pour la RVF, pour GM de descendre en flèche (par esprit rebelle plus que par opinion propre) quelques noms encensés par Parker, c'est simplement faux, car bien au contraire, ils pourraient générer plus d'attraits en s'opposant qu'en étant de gentils suiveurs. Mais bon, il sera aussi facile de trouver moult exemples d'opinions convergentes allant dans le sens opposé des préférences dubourdiennes.

Et boum ! On y arrive : il manquait "LA" question : "Mr Dubourdieu, pourriez vous nous lister les 50 crus bordelais qui ont votre préférence, qui sont en haut de votre panthéon, et qui seraient des crus subalternes chez Parker ?"

Bon, ce serait entrer dans des délicatesses audiardiennes… 

Ne soyons pas bégueule : une chose est sûre : Monsieur Franck Dubourdieu est d'une grande constance dans ses opinions, et elles sont compréhensibles à défaut d'être sans tâches. Si Parker en tant que critique a si bien réussi, c'est quand même que quelque part, il a apporté au monde des amateurs une nouvelle approche du vin, quand bien même on peut la décrire parfois comme réductrice, monothéiste, simpliste, et cie…

S'il faut critiquer quelqu'un, ce sont donc, avant lui :

a : les producteurs qui ne jurent que par lui et souvent en se trompant dans leurs démarches vineuses

b : les lecteurs qui ont tellement compris ses notations scolaires qu'ils ne prennent simplement pas le temps d'avoir un oeil critique, d'apprendre le français ou l'allemand, et d'aller voir ailleurs ce qui se dit.

Tout cela, c'est un peu du redit : mes lecteurs historiques me le pardonneront :-)


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