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Une étrange histoire d’amour

Par Urobepi

uneEtrangeHistoireDamourLorsqu’elle présentait au public une pièce pour quatre mains à l’occasion du concert de fin d’année de ses élèves, la professeure de piano de ma fille aimait bien rappeler cette anecdote voulant que Johannes Brahms ait écrit plusieurs de ses œuvres en prenant soin de faire en sorte que les mains des musiciens aient à se croiser, ce qui lui permettait d’effleurer les poignets de Clara Schumann dont il était secrètement amoureux, lorsqu’il les interprétait avec elle.

Comparez maintenant cet exemple d’amour purement romantique avec les coutumes de notre époque marquée par Occupation double, le « sex on first date », le « speed dating » et autres pratiques édifiantes de la même eau et vous serez en mesure d’apprécier l’écart qui sépare notre univers de celui du 19e siècle. Je ne suis pas certain qu’on puisse parler d’évolution ici et, franchement, dans ce domaine, je préfère me ranger du côté des dinosaures.

Tout ce préambule pour vous parler de cet intéressant petit roman de Luigi Guarnieri ayant précisément pour sujet la passion dévorante et coupable que Johannes Brahms a nourri pour la femme de Robert Schumann depuis du premier où il l’a rencontrée et jusqu’à son dernier souffle.

« Clara ! Viens tout de suite, dépêche-toi ! Attendez ! Ma femme doit écouter cette sonate ! Clara ! Veux-tu bien descendre? Clara ! » L’instant d’après, tu es entrée dans la pièce, ma tendre amie, et ma vie a changé à jamais. (p. 30)

Tout le livre prend en fait la forme d’une longue lettre que le musicien adresse à l’amour de sa vie mais qu’il n’enverra pas puisque Clara vient de mourir.

Mercredi 27 mai 1896
Matin

Ma Clara bien aimée,
Je t’écris cette longue lettre de Vienne, de retour de tes funérailles. Tu m’excuseras si je t’écris même aujourd’hui, même si tu n’es plus là, même si, malheureusement, tu m’as quitté pour toujours. (p. 11)

Qu’importe la mort, l’écriture de cette missive sera l’occasion pour le compositeur de dévider le fil de sa vie, refaisant le parcours qui l’a conduit jusqu’à la brillante concertiste, évoquant l’amitié de Robert Schumann, la longue maladie mentale de ce dernier, l’expression de l’affection naissante entre les deux amoureux, les tensions également.

Oui, je continue d’écrire, et, enfin libéré de la peur de te blesser, je te parlerai de l’amitié mais aussi de la rancœur. De l’affection, mais aussi de la haine, des joies et des douleurs, des incompréhensions, des hypocrisies, des mesquineries, des tristesses. Je te parlerai de tout ce que, durant des années, nous n’avons pas eu le courage de nous dire, et des nombreuseUne étrange histoire d’amours choses que tu ignores. Je t’écrirai et j’écrirai à moi-même, et j’espère seulement que, si un jour nous nous rencontrons à nouveau, dans un lieu où le temps n’existe pas, tu m’étreindras comme tu l’as fait tant de fois, que tu auras pitié de moi et de nous et de toute la vie que nous n’avons jamais vécue et que, à la fin, peut-être tu me pardonneras. (p. 13)

On ressort de cette lecture avec l’intime conviction que les œuvres musicales de ces compositeurs qui ont traversé les siècles, si grandes soient-elles, sont d’abord le fait d’êtres de chair et de sang qui, comme nous autres pauvres humains ont vécu, souffert et aimé.

Je vous conseillerais bien d’écouter quelques danses hongroises de Brahms lors de votre lecture mais ça n’est pas ce que j’ai fait moi-même. Le disque qui tourne en boucle sur ma platine ces temps-ci est plutôt une œuvre pour chœur et orchestre de Haendel:

HAENDEL, George Frideric. Ode for the birthday of Queen Anne (HWV 74). Arles : Harmonia Mundi, 2009. No de catalogue: HMC 902041

Aucun rapport avec ce roman mais, Dieu que c’est beau! Que voulez-vous je suis haendelien… À signaler la présence de la soprano québécoise Hélène Guillemette (que je ne connaissais pas).

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GUARNIERI, Luigi. Une étrange histoire d’amour. Actes Sud, Montréal, 2012, 219 p. ISBN 9782330009021 (traduit de l’italien par Eve Duca en collaboration avec Marguerite Pozzoli)

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Ce Blog a également commenté le roman: Livrogne; Thierry-Guinhut; L’Italie à Paris; La ballade de Mathylde; Lire-visionner-créer; Lucie Renaud;   Parisblogged; Les dessous du plaisir; Danerard; Marque-pages; Pause toujours;

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