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‘Sophie et Paul parlent comme des adultes !’ : L’art du dialogue 2/2

Par Clementinebeauvais @blueclementine

(NB. Tu vas rien comprendre si tu lis pas la première partie qui est là !)
Commençons cette seconde partie sur l’Art du Dialogue en Littérature Jeunesse en nous gaussant d’une critique des Malheurs de Sophie pêchée sur internet :

‘Sophie et Paul parlent comme des adultes !’ : L’art du dialogue 2/2

Plus du tout d'actualité

Bon, il faut admettre d'emblée que Les malheurs de Sophie ne sont plus vraiment d'actualité pour les jeunes d'aujourd'hui. À mon avis, si l'on voulait les lire aux enfants, l'écriture devrait être révisée, car je pense bien que le niveau de langage est trop élevé pour les jeunes enfants. Sophie et Paul parlent comme des adultes, et comme des adultes du XIXe siècle qui plus est ! Sophie a quatre ans et Paul, six. Avouez que ce n'est pas très réaliste ! Cela n'a pas manqué de m'agacer tout au long de ma lecture de l'oeuvre de la Comtesse de Ségur.
Ca y est, vous avez essuyé vos larmes de rire ? Bon. N’empêche qu’ilouelle a raison : Sophie et Paul ne dialoguent pas comme vos petits Léa et Enzo. Est-ce un problème ? C’est à voir. Ca n’a jamais été un problème pour mini-Clémentine version 6 ans, mais sans vouloir me la péter, j’étais une Wunderkind de la lecture, avec les résultats qu’on sait, c’est-à-dire une surdiplômisation dans une filière sans débouché avec zéro perspective de salaire convenable. Mais je m’égare.
Faut-il, en littérature jeunesse, que les dialogues soient ‘plus’ réalistes qu’en littérature adulte pour faire 'vrai' ? Notez que je dis réalistes, pas réels, car :
Dialogue ‘réel’ entre Léollyanna*, 4 ans, et son père :Papa : Alors ma puce, tu as fait quoi aujourd’hui ?Léollyanna : Ben, Augustin, il avait oublié ses crayons ! et après la maîtresse elle a dit… la maîtresse elle était venue, et… Mais aussi tu sais la balançoire elle était cassée ! Et et et et Justine après elle a dit « hého ! toi ! tu t’pousses ! » Et aussi… [intérêt pour la conversation subitement perdu, recentrement de l’attention sur un affreux shi-tzu en laisse]  Dialogue ‘réaliste’ entre Léollyanna, 4 ans, et son père :Papa : Alors ma puce, tu as fait quoi aujourd’hui ?Léollyanna : J’ai fait des coloriages avec Augustin, et ensuite la maîtresse nous a donné des images. A la cantine on a mangé des kiwis, et après on a joué au ballon prisonnier.
Donc dans le premier cas, on a un truc qui sonne comme s’il avait été écrit sous LSD, et dans le second cas, un truc fabuleusement ennuyeux parce que j’ai eu la flemme de faire intéressant, mais plus ou moins cohérent, qui ignore le fait qu’un humanoïde de cet âge-là a du mal à narrativiser de cette manière, mais conserve le vocabulaire et le niveau de langue qu’on pourrait attendre de lui dans la réalité.
Le texte, en littérature jeunesse, ne peut pas, peut-être, paramétrer entièrement la ‘véracité’ des dialogues. Un degré de réalisme, d’effet de réel, resterait donc nécessaire. J’emploie le conditionnel parce que je ne suis pas à 100% sûre que c’est le cas. Mais c’est l’hypothèse que je fais en ce moment : le dialogue « vrai » en littérature jeunesse ne peut se concevoir sans un fort effet de réel. Au contraire, dans un bouquin comme Ada, de Nabokov, le texte est configuré pour qu’on accepte parfaitement – pour qu’on se délecte, même – des dialogues complètement irréalistes entre les enfants prodiges Ada et Van. Construction et convention plutôt qu’ « essence » du texte pour enfants, c’est certain, mais qui mène à une définition instinctive très  différente de ce qu’est un dialogue qui « sonne vrai ».
C'est pour cela peut-être qu'il est aussi difficile pour un écrivain de livres pour 'adultes' de subitement se mettre à écrire pour les enfants. En général, ça ne marche pas terrible, parce qu'ils restent dans l'état d'esprit du texte qui configure les dialogues. Et qu'ils sont souvent détachés de la 'réalité' du parler-gamin, puisque leurs autres textes nécessitent moins d'effet de réel.
Parce que même s'il est possible de s'en émanciper un peu, difficile d'écrire des dialogues réalistes quand on n'a aucune idée de ce qui se raconte en cour de récré. Cette question a été particulièrement importante pour moi lors de l’écriture de La pouilleuse, qui est un roman censé être réaliste, actuel, et centré sur un groupe d’ados de 17 ans des beaux quartiers de Paris. Coup de chance, j’en étais une il y a 6 ans. Mais apparemment, c’est déjà trop loin. C’est grâce à ma sœur, qui, elle, a toujours 17 ans, et qui a relu deux fois La pouilleuse malgré sa phobie des poux (!), que des irréalismes dans les dialogues ont été modifiés. Apparemment, personne de cet âge-là ne dirait « On lui donnerait le bon Dieu sans confession ». Moi, à 23 ans, je le dis quarante-huit fois par jour. Comme quoi on change.
Donc pour moi les dialogues en littérature jeunesse reposent souvent sur un réalisme plus ancré à l'extérieur du texte que les dialogues en littérature jeunesse. Encore une fois, je précise que je pense qu'il s'agit davantage d'une convention, d'une attente, que d'une nécessité ontologique du médium. Après tout, personne ne nous dit que l'enfant-lecteur aurait des problèmes à s'attacher aux personnages si c'était, comme en littérature adulte, le texte qui paramétrait surtout les dialogues. Sophie et Paul restent compréhensibles, et les Malheurs reste un livre pour enfants. Peut-être est-on, comme d'habitude, beaucoup trop frileux lorsque l'on s'adresse à un lectorat qu'on estime moins 'sophistiqué'. Je pense que les petits lecteurs n'auraient en réalité aucune difficulté à suivre des dialogues beaucoup plus détachés de la manière dont ils parlent 'vraiment'.
Qu’en pensez-vous ? Comment écrivez-vous vos dialogues ? Racontez-moi tout ça sur le divan des commentaires.
*réalisme ajouté par une invention de prénom, puisqu'il semble que trouver les prénoms de ses gamins en tirant au hasard des lettres de Scrabble fait fureur ces temps-ci.

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