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Les Bêtes du sud sauvage

Par Tedsifflera3fois

Grand Prix du Jury à Sundance et Caméra d’or à Cannes, Les Bêtes du sud sauvage est un premier film percutant : le sujet est fort et original, alliant la singularité d’un mode de vie à l’universalité des combats et des sentiments qui animent les personnages; la mise en scène est celle d’un film d’aventures métaphysique, partagée entre naturalisme et mysticisme.

Synopsis : Hushpuppy, 6 ans, vit dans le bayou avec son père. Brusquement, la nature devient menaçante et la santé du père se met à décliner.

Les Bêtes du sud sauvage - critique
Les Bêtes du sud sauvage est un conte fabuleux qui ne ressemble à rien de connu. D’abord parce qu’il décrit un monde marginal quasiment jamais vu au cinéma, une micro-société de quelques individus qui ont décidé de s’isoler dans un bayou sauvage que la civilisation technologique n’a pas encore colonisée. Dans cet univers, on vit à la dure, on mange ce qu’on chasse, ce qu’on pêche et ce qu’on cueille, on habite des maisons approximatives qu’on a construites de nos mains, on vit sans contrainte de travail ou d’horaires, dans une liberté folle qui mêle fête ininterrompue et danger permanent.

Dès les premiers plans du film, la caméra, portée à l’épaule, se met au diapason de cette liberté pour imprimer un mouvement continu à la vie de Hushpuppy. Il y a dans cette incapacité à se fixer le sentiment d’une urgence absolue, une urgence de vivre, une urgence de se battre, une urgence de partager avant qu’il ne soit trop tard. La musique grandiloquente rajoute encore de la solennité. Dans cet univers, une partie de rigolade peut bien se transformer en bataille de feux d’artifices, la colère d’une enfant peut provoquer l’incendie d’une maison, une dispute entre un père et sa fille devient un souhait de mort, et instantanément la mort peut frapper, ou être reportée. Et quand une tempête provoque une catastrophe écologique, alors les aurochs préhistoriques eux-mêmes peuvent bien renaître de leurs cendres et menacer le monde de Hushpuppy.

Les Bêtes du sud sauvage est l’histoire d’une petite fille aux prises avec Mère Nature, quand celle-ci se déchaîne et remet en cause dans un même mouvement l’intime et l’universel, l’équilibre familial et l’équilibre écologique, tout cela procédant d’une même harmonie panthéiste. Alors, la partie vaut pour le tout, l’individu et le monde sont une seule et même chose, une maladie cardiaque vaut bien un cataclysme climatique. Dans cette interdépendance généralisée qui rappelle le cinéma de Terrence Malick, Hushpuppy se bat avec les armes d’une gamine de 6 ans : un étonnement naïf face au monde, une volonté farouche de changer les choses, une force d’autant plus brute qu’elle est modelée, non pas par la société, mais par un père sauvagement têtu, enfin une puissante imagination qui lutte pour donner un sens à l’apparent désordre du monde.

Alors il s’agit de reconstruire, dans les limites du possible, un schéma familial perdu dans les limbes d’une histoire qui n’a pas eu lieu, à travers des cuisses de crocodile panées. Il s’agit de changer ce qui peut être changé, et d’accepter ce qui ne peut pas l’être. Les Bêtes du sud sauvage est l’histoire d’une petite fille qui doit admettre la maladie de son père, l’histoire simple et universelle d’une enfant qui perd son innocence.

Par delà ces enjeux profondément humains qui trouvent une résonance en chacun de nous, le film force le respect par sa description étonnante d’hommes et de femmes qui refusent la société. Si Hushpuppy est notre porte d’entrée dans cet univers (car il nous faut bien le regard d’un enfant pour redécouvrir le monde dans un contexte qui nous est tout à fait étranger), son père est un magnifique personnage, pétri d’intransigeance, un idéaliste total dont la brutalité quasi-archaïque cache mal une sensibilité à fleur de peau, un désir de vivre et d’aimer primitif, débarrassé de tous les calculs complexes du monde civilisé.

Certes, le film, par l’idéal sauvage qu’il porte en lui, peut parfois frôler l’apologie de la régression. Il n’empêche, Les Bêtes du sud sauvage montre qu’il existe encore des manières de vivre en dehors de la société dominante. Il s’agit d’un choix d’autant plus fort qu’il est brutal et dangereux. Rarement mise en image, cette vie sans code et sans repère classique nous est jetée à la gueule avec la puissance d’un miroir déformant : notre monde a encore un long chemin à parcourir pour ne pas faire de nous des esclaves consentants, esclaves des conventions, esclaves du travail, esclaves de la médecine, esclaves des préjugés, esclaves d’un mode de vie globalement uniforme et imposé.

Après Garden State et tous les films à la douce mélancolie absurde qui l’ont suivi, Sundance nous livre une nouvelle pépite, une nouvelle manière de remettre en question le monde formaté qui nous entoure, des nouveaux choix pour échapper au système, un nouveau ton, une nouvelle différence dans le paysage du cinéma indépendant américain. Et cette différence s’appelle Les Bêtes du sud sauvage.

Note : 8/10

Les Bêtes du sud sauvage (titre original : Beasts of the Southern Wild)
Un film de Benh Zeitlin avec Quvenzhané Wallis et Dwight Henry
Drame – USA – 1h32 – Sorti le 12 décembre 2012
Caméra d’or et Prix Fipresci Un certain regard au Festival de Cannes 2012, Grand Prix du jury au Festival de Sundance 2012


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