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Foxfire, confessions d’un gang de filles

Par Tedsifflera3fois

Après la Palme d’or d’Entre les murs, le nouveau film de Laurent Cantet était très attendu. Pour éviter toute comparaison, le réalisateur tourne au Canada, en anglais, et situe son action dans les années 50. Mais ses interrogations sont les mêmes : comment un groupe peut-il arriver à vivre, à avancer, à lutter ensemble? Le film confronte habilement les idéaux au poids de la réalité.

Synopsis : 1955, USA. Dans un quartier populaire d’une petite ville, des adolescentes créent une société secrète, Foxfire, pour se venger de toutes les humiliations qu’elles subissent.

Foxfire, confessions d'un gang de filles - critique
Après le réalisme quasi-documentaire de Entre les murs, Laurent Cantet s’attaque à une vraie fiction, et même à un film d’époque : on est en 1955, aux USA, et un groupe de filles veut s’affranchir de l’injuste domination masculine et vivre selon ses propres lois.

Lorgnant vers le drame social britannique à la Ken Loach, Foxfire évoque aussi 17 filles, mais alors que le film des soeurs Coulin se contentait d’un récit naturaliste sans grande ambition, celui de Cantet prend le temps de sa chronique et refuse de sacrifier la moindre étape de l’aventure. On aura donc le droit à la formation du groupe, aux premiers succès, aux premiers doutes, à l’apogée du gang et à son autodestruction progressive.

Si le tout forme un ensemble cohérent dont chaque étape explique et nourrit les autres, il faut admettre que le film est long et que l’intérêt qu’on porte à l’histoire varie d’un moment à l’autre. Parfois, Foxfire traîne en chemin, s’apparentant alors à un feuilleton un peu mollasson. C’est dans sa dernière partie que le film se fait enfin passionnant. Car mieux que tout, Laurent Cantet sait filmer la dynamique d’un groupe de jeunes qui se cherchent. C’était déjà ce qui faisait la force de son précédent film : la vie en communauté est une épreuve de chaque instant.

Aux idéaux de départ succèdent la promiscuité, la jalousie, la méfiance. Il n’y a rien de plus électrisant que d’appartenir à un groupe, que de s’identifier à un collectif. Comme l’explique le vieux monsieur mi-clochard mi-prophète que vont rencontrer Legs et Maddy, alors tout parait possible, le monde peut enfin être changé, être meilleur. Seul, on ne fait pas le poids, on se résigne, on s’écrase. Au contraire, l’ébullition qui se crée quand on se rassemble peut mener aux plus grandes révolutions. Malheureusement, 1776 a apporté le capitalisme et l’individualisme, 1789 la guillotine et la Terreur, 1848 le Second Empire et les nationalismes exacerbés, 1917 le communisme russe et le Goulag. Tout idéal se pervertit avec le temps.

Comme dans Entre les murs, où Laurent Cantet laissait le professeur sans solution face aux contradictions de son métier, pris en étau entre ses convictions sur l’éducation et la réalité de la salle de classe, Foxfire se termine sans solution, entre le formidable mouvement né de revendications bien légitimes et la difficulté de s’accorder et de ne pas se tromper avec le temps, la quasi-impossibilité de partager une vision commune durable.

A ce titre, le film et sa révolte reposent sur le magnifique personnage de Legs, une écorchée qui hésite souvent entre débat et dictature, entre donner la direction et l’imposer. Quand un seul être est déjà construit de multiples contradictions, comment gérer une communauté sans qu’elle explose? C’est au contact de la belle et parfaite Marianne, issue d’un tout autre univers, que le film trouve sa principale ligne de force. Entre les discours très raisonnés d’un père bourgeois, réactionnaire, anticommuniste, mais pourtant un homme généreux et bienveillant, et les actions beaucoup plus intuitives de Legs, anticonformiste et rebelle, nous assistons à un face à face déchirant entre deux idéologies et deux bontés.

Comment construire le monde de demain sans blesser les résistances illégitimes d’individus pourtant dignes d’être considérés? Comment profiter des aspirations d’un groupe sans le détruire dans les dissensions? Laurent Cantet livre un film sans aucun manichéisme, un film profondément politique qui s’interroge sur nos possibilités et nos limites collectives.

Foxfire, confessions d’un gang de fille est l’histoire d’une utopie qui vit et qui se meurt. D’une flamme qu’on allume et dont on sait qu’elle finira par s’éteindre. On voudrait toujours que les plus belles choses qu’on crée soient éternelles. L’essentiel est d’abord qu’elles existent, qu’elles aient existé. La vie de Maddy ne sera plus jamais la même. Sans doute le gang a-t-il finalement réalisé peu de choses, mais l’impact est plus profond qu’il n’y parait. Certes, le film se termine sur une note nostalgique, mais il nous rappelle aussi que la fin d’un mouvement est contenue dans sa création même. On aimerait faire durer les idéaux le plus longtemps possible. Et pourtant, même après leur mort, ils survivent, s’alimentant les uns les autres, ici ou ailleurs, avec ou sans Legs. L’échec relatif du héros d’Entre les murs apportait son poids au débat. L’impact de ce jeune professeur était multiple, et comportait son lot d’avancées constructives. Si nous ne sommes pas capables d’agir sans nous tromper, alors nous pouvons quand même agir du mieux qu’on peut, comme le fait Legs à la fin du film.

Le gang Firefox se battait pour les droits des jeunes filles, quitte à exclure d’autres groupes entiers de population (les hommes, les noirs…). On se définit souvent par opposition aux autres, et c’est déjà là qu’est l’embryon du naufrage. Les idéaux sont peut-être destinés à échouer, mais les échecs successifs, avec leur part de réussites, participent à l’édifice de la petite et de la grande histoire. Certes ils finissent par s’éteindre, mais ils ont d’abord changé le monde.

Note : 7/10

Foxfire, confessions d’un gang de filles (titre original : Foxfire)
Un film de Laurent Cantet avec Raven Adamson, Katie Coseni et Madeleine Bisson
Drame – France, Canada – 2h23 – Sorti le 2 janvier 2013


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