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« Charles Mutaganswa n’était pas un lettré au sens où on l’entend, mais il était cultivé, une sorte d’érudit du simple bon sens »

Publié le 08 janvier 2013 par Donquichotte

Le « politiquement correct ».

Anecdote:

Il n’est pas politiquement correct de parler des « nègres ». Sans doute, dans l’esprit de chacun, cela fait référence au mot terrible utilisé par des Américains blancs quand ils blasphèment contre les « neggers ».

Pourtant pour moi, c’est un Africain, un Tutsi, qui m’a éveillé au mot « nègre ». Un jour que je discutais avec lui et que j’ai appelé « noirs » les gens de son peuple, il m’a repris très vertement, j’ai senti que je l’avais blessé, et m’a expliqué : le noir est la couleur de ma peau, mais mon humanité, Robert, c’est autre chose, - et j’aimerais bien que tu retiennes ce que je vais te dire - c’est d’être un « nègre », un membre de cette grande humanité africaine qui habite ici l’Afrique sub saharienne et à laquelle j’appartiens. Mon appartenance à la « négritude » est ce qui me définit avant tout, - pas Tutsi, pas Noir, pas Africain - et il me disait cela avec un brin de fierté dans la voix, dans le regard. J’avais une grande confiance en cet homme avec qui je travaillais depuis près de deux ans. Il était ce qu’on appelle dans le langage de la Coopération Internationale mon vis-à-vis : j’étais directeur d’un projet d’aide, il était directeur de la coopérative aidée. Il était pour moi un être assez exceptionnel : un membre de la tribu Tutsi, mais qui avait fui du Rwanda vers le Zaïre à l’époque des massacres de sa tribu par les Hutus, et qui était devenu directeur – il avait su s’imposer par ses seules qualités d’homme - d’une coopérative qui regroupait 18,000 éleveurs nomades appartenant à des tribus, toutes étrangères à la sienne, du Nord-est du Zaïre. Et ce n'est pas peu dire, quand on connaît bien l'Afrique, et ses conventions tribales, qu'un homme, "étranger" aux tribus membres de cette coopérative, ait pu accéder au poste de directeur d'une organisation leur appartenant.

Je n’ai jamais oublié cet homme, (il s’appelait Mutaganswa) ni non plus sa leçon d’humanisme « nègre ». Et quand je disais « nègre » dans mes classes quand j’enseignais à l’université, j’ai toujours dû m’expliquer, et justifier ce « nègre » qui passe si mal. Et je rappelais cette anecdote. Charles Mutaganswa n’était pas un lettré au sens où on l’entend, mais il était cultivé, une sorte d’érudit du simple bon sens, un écouteur attentif (j’ai beaucoup bénéficié de son empathie naturelle envers le blanc que je suis), un philosophe naturel, d’une intégrité morale et inaliénée, et qui fut un grand ami.

J’ai aussi lu là-dessus un peu plus tard, quand je suis rentré au pays, et j’ai compris que Aimé Césaire avait forgé le terme. Le concept a ensuite été repris par Léopold Sédar Senghor dans ses Chants d'ombre, qui l'approfondit, opposant « la raison hellène » à l'« émotion noire » :

« Nuit qui me délivre des raisons des salons des sophismes,
 des pirouettes des prétextes, des haines calculées des carnages humanisés,
 Nuit qui fond toutes mes contradictions, toutes contradictions dans l'unité première de ta négritude » (dans Wikipédia)

« Charles Mutaganswa n’était pas un lettré au sens où on l’entend, mais il était cultivé, une sorte d’érudit du simple bon sens »


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