A 4 heures de Lima, on se retrouve au cœur de la Cordillère Centrale. Arrivé au fameux Paso Anticona, point culminant de la route reliant Lima à la jungle centrale, de nombreuses montagnes s’offrent à nous, dont le sommet San Andres de la montagne Ticlio.
Je me suis organisé ma mini expédition du week-end avec le guide Bruno Castro Pletikosic.
Je suis parti de Lima à 7H du mat pour arriver 4 heures plus tard à 3100m d’altitude à San Mateo. Un petit trek dans les collines pour s’acclimater et chauffer le corps. Une grosse truite avec frites et au lit.
Lendemain, lever à 4h00 du mat. Au petit déjeuner, dans une salle obscure, ce qui traîne sur la table est moche : un œuf dur, un jus d’orange et une tasse de thé.
Je m’engouffre dans le taxi qui attend dans le noir. Une heure et demie plus tard, on s’arrête au bord de la route (à 4800m). Quelques baraques marquent le point culminant de cette route qui part vers la jungle centrale. Les énormes camions se croisent devant nous et la chaîne de montages de la Cordillère Centrale touche les nuages.
Sac à dos sur l’épaule, on part vers le sommet San Andres de la montagne Ticlio. Les premiers kilomètres se font sur des pentes de pierres de taille moyenne, dont certaines sont effilées comme des couteaux. Elles sont très instables et chaque pas se fait avec attention. En 24 heures, je viens de manger 4800m de dénivelé, et mon cœur claque dans ma poitrine. Un vrai marteau qui ordonne au cerveau d’arrêter les conneries. Dans mon crâne, il n’y a plus assez de place, ça pousse de tous les côtés.
Je pose mes fesses sur un rocher, c’est la loose. Le cadre est repoussant, je regarde les camions en contre-bas, et le guide qui est à 50 mètres. Sur tous ces amas de pierres, je ne suis pas séduit par le paysage et ne trouve pas de raisons d’avancer. On a démarré depuis une heure et je suis dans le dur. Au lieu de jeter l’éponge, je me saisis d’un petit sachet de gâteaux et je tire sur ma réserve d’eau.
Je me relève pour enchaîner quelques pas et de nouveau le cœur se métamorphose en bombe à retardement. La pente qui m’attend est triste à mourir, et j’ai vraiment du mal à trouver des ressources. Bref, je suis complètement désenchanté, c’est la 2ème fois de ma vie que je tente une ascension, et l’altitude ne me pardonne rien.
La veille, sur les collines, j’étais au top et là plus rien. Tous les 15 pas, je souffle 20 secondes et ma tête me fait extrêmement mal. Nouvelle pause où j’achève deux bananes, baignées dans de grandes gorgées d’eau. Debout, je rejoins Bruno le guide tout cool, qui me regarde genre « c’est qui ce guignol ». On continue et, pendant une heure supplémentaire, je force en maudissant chaque pierre. Cette sortie est l’occasion de tester mon matériel pour l’Aconcagua en Argentine, où je vais dans un mois. J’ai chargé le sac à dos avec 4 litres d’eau et du matériel supplémentaire. J’ai des bottes de cosmonaute qui pèsent chacune 1470g et sont disproportionnées pour cette ascension. Le top confort, mais tout ce matos, je l’utilise pour la première fois, et je manque terriblement de repères. Il n’y a pas de neige, et le pas n’est pas souple. Chaque avancée se fait contre la pierre avec le son claquant de chaque bloc qui roule sous mes pieds. Au dessus, le ciel est gris et menaçant.
Peu à peu, les renforts de la nourriture se font sentir, les maux de tête s’assouplissent et envoient l’info au cœur : aujourd’hui, c’est pas la journée de congé. J’arrive enfin au premier passage important où l’inclinaison devient plus forte. Le petit glacier est tout proche. A sa vue, la motivation ressurgit. Je passe les crampons sur les chaussures, et sors le piolet. Les pas sont souples, tout pique parfaitement la glace. Maintenant je suis dans le truc, et avance sur un bon rythme. Les nuages sont de plus en plus menaçants, mais les pauses me permettent de regarder en contrebas tout le chemin parcouru, et les camions, qui ressemblent à des fourmis. Le sommet est invisible, il est caché par d’énormes rochers qui restent à gravir. Les pentes sont plus raides, tout le corps est sollicité. Les mains s’agrippent sur les rochers pour soutenir la traction des jambes. Les pointes des chaussures s’appuient sur de minuscules prises creusées dans la roche, rien de dur. Mais on est à 5000 m et rien n’est offert. C’est pas la semaine des soldes.
Les minuscules parties de neige permettent une avancée plus rapide. Et on arrive au premier point de passage entre deux cols. Le guide me propose 3 choix face au temps qui s’assombrit :
- Direction à gauche vers le sommet le plus proche, à moins d’une heure. Un mini objectif.
- Redescendre en pensant que le temps va encore se dégrader, et qu’il faudrait mieux rentrer.
- Direction le sommet le plus haut sur la droite qui est encore loin.
Je suis captivé par le paysage que je vois devant, et j’ai oublié la galère. J’ai encore envie de lutter et j’espère de tout cœur aller au plus haut. Mais je lui dis que je n’ai aucune idée sur les évolutions du temps, et que je lui fais toute confiance sur la bonne décision à prendre. Mais je lui glisse qu’on pourrait essayer encore 50m, pour voir comment ça va…
Gagné ! On prend à droite, ça monte dur. Mes doigts s’agrippent sur les pointes des rochers. J’ai plus beaucoup de cartouche dans le fusil, mais je suis à fond et le plaisir est intense.
On a fait trop de chemin pour redescendre avant d’avoir touché le plus beau. Et même si l’altitude m’a flingué les jambes, et si l’esthétique des cailloux ne m’a pas séduit, j’ai appris à passer au-dessus et j’apprends un maximum d’informations qui me seront utiles dans un mois. La concentration au maximum, chaque pas est décidé et accompagné de bonnes respirations. Je garde mon rythme, en contrôlant mes limites du jour.
Après 5 heures d’efforts, j’ai les deux pieds sur le sommet et la vue de la vallée s’offre à moi. C’est splendide, un 360° vertigineux sur la richesse géologique du Pérou. On est à 5285m. J’ai jamais été aussi haut, et je me sens très bien. Le spectacle est au top. On prend bien le temps, je savoure et j’oublie toutes les petites galères.
Je pensais que cette sortie serait un petit truc cool et j’avais pas trop préparé la chose dans ma tête. Une bonne claque, la montagne ne rigole pas, et faut pas déconner. Je suis averti et la descente sera un beau petit chemin de croix. En ce mois de novembre la neige a complètement disparu, et le tas de cailloux c’était pas du gâteau. A cette altitude, tout a un prix.
Dans la bagnole, sur le retour, je suis pressé de descendre vers une altitude plus raisonnable car ma tête est depuis une bonne heure sur le thermostat cocotte minute. Arrivé au village, je me retape avec un bifteck, accompagné de riz, de frites, d’un œuf, d’une banane cuite et de salade. Je suis bien, pas trop fatigué en fait, et le corps ne fait pas mal. J’ai le sentiment d’être passé un peu à côté d’un bel effort, un peu paralysé par l’altitude.
La prochaine fois, je reviendrai avec la neige, un matos plus adapté, et une acclimatation moins courte pour envoyer à fond. Et surtout, je mangerai plus qu’un œuf au petit déjeuner.
Une vidéo supplémentaire sur l’ascension en Hiver :
Pleins d’infos sur les montagnes et l’alpinisme au Pérou pour préparer vos expéditions : http://www.montanasperuanas.com/index.html
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