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« Quand je le sens dans mes os[1] », oui, cela a du sens. Peu importe le reste. Ou ce que d’autres en pensent.

Publié le 04 février 2013 par Donquichotte

J’ai fait un drôle de rêve, au sujet du « je », c’est comme ça que je le vois en me réveillant.

De quoi s’agit-il ?

Tout simple : je rêve, il y a trois personnages, une femme (qui ? peu importe), une autre personne (qui, quel sexe ? aucune importance) et moi.

A une question qui m’est posée par l’autre personne, je suis sur le point de dire quelque chose qui, me souviens-je, devrait dire le vrai, disons la vraie chose, plus simple, une « vérité ». Mais cette vérité risque de me nuire... Et c’est à ce moment que la femme intervient, et répond à ma place... Elle ne dit pas ce que j’allais dire, mais autre chose qui me disculpe, ou plutôt, qui est une semi-vérité, une réponse plus appropriée qui va empêcher que je dise vrai, et surtout, que je dise quelque chose qui allait me nuire. « Sa » réponse est plus fine, plus vraie quasiment, et sans doute plus « correcte politiquement parlant ».

Et c’est là  que je me réveille... me posant immédiatement deux questions. La première : pourquoi a-t-elle répondu à ma place ? Alors que je comprends bien que sa réponse est bien plus adroite que la mienne, plus fine je disais, plus adéquate, et vraisemblablement mieux acceptée par l’autre personne ( ?). Bref, pourquoi est-ce que je n’y avais pas pensé, à « sa » place, et pourquoi ne l’ai-je pas dit moi-même? L’autre question : mais voilà, pourquoi et comment cette femme peut-elle entrer dans mon rêve et répondre à ma place ?

Et c’est à ce moment que je comprends qu’elle ne répond pas à ma place. Puisque c’est mon rêve, c’est moi qui suis elle et qui ai répondu. Bien sûr, c’est mon rêve, je contrôle donc tous mes personnages, (un leurre ?) sinon, ce n’est plus mon rêve. Cette femme est moi, pas « une » autre. Autrement, cela n’a pas de sens. Je n’ai pas d’autre alternative que de penser que « je » me suis exprimé à travers « elle », une « autre » que « je ». « Je est un autre », non ? NON, « l’autre est je ». Et ce que je trouve si important, c’est cette fraction de seconde qui a existé entre le moment où je m’apprête à dire ce que je croyais que j’allais dire... et ce que, à travers cette femme, j’ai dit. J’ai dit exactement ce que je devais dire (je le rappelle, c’est plus « fin », et mieux pour moi). Et là-dessus, mon rêve est si précis, je me vois encore, l’écrivant, je suis sur le point de dire une chose (moi), et j’ai dit autre chose (la femme), que je suis étonné au point de me réveiller et d’en parler avec ma compagne, ce que je fis le lendemain, au moment où nous randonnions dans la montagne.

Son explication est toute trouvée. Elle me dit : tu as vécu exactement ce que tu dis si souvent à propos de la relation qui « doit » exister entre un homme et une femme. Son amour fou pour toi, doit en tout temps te sauver, prévenir tout évènement qui pourrait te contrarier, et surtout, toute intervention d’autrui qui pourrait te nuire. « L’amour fusion » comme je dis si souvent. OK, dis-je, mais... Je rappelle que lorsque je dis cela, c’est dans un tout autre contexte : et je lui rappelle que je dis ainsi quand je suis en difficulté (disons avec un policier qui vient de m’arrêter pour excès de vitesse et que j’engueule), et que, « à tout coup », elle prend partie contre moi, rappelant que je suis en tort (ce qui est vrai très souvent) et m’engueulant à son tour. Je dis dans ces cas, que nous devrions garder cette engueulade pour notre retour à la maison ; et surtout, je dis « je ne comprends pas que tu interviennes contre moi, et que, même si j’ai tort, je m’attends à ton soutien indéfectible, et j’ose le dire, « aveugle », tout simplement parce qu’il s’agit de moi, son grand grand copain de vie. Et j’ajoute que, dans un cas semblable, mais qui lui arriverait à elle, je prendrais partie pour elle « aveuglément » (et je l’ai toujours fait, j’ai toujours agis ainsi) ; oui, là je suis clair, on ne bouscule pas ma femme, on ne contredit pas ma femme, on n’engueule pas ma femme, on ne donne pas tort à ma femme, on ne blesse pas ma femme, on ne « contrarie » pas ma femme... devant moi, (ou même si je suis ailleurs) et « sous aucune considération, sous aucun prétexte ». Rien ne peut me faire accepter que ma femme ait tort... même si je sais aussi qu’elle peut pertinemment avoir tort en certaines occasions. Je n’accepte pas, point à la ligne. Bref je la défends : c’est simple.

Puis-je aller plus loin avec ces idées, sur le « je » dont je me suis écarté un peu ?

Voilà : du même coup, je me mets à penser à cette réalité de tout écrivain (supposons que je suis écrivain) qui écrit de la « fiction ». Ma perception est la suivante. Il n’y a pas de fiction ; je, l’autre, les autres, sont tous des « je ».  C’est un sujet clé en littérature aujourd’hui, mais de tout temps, puis-je dire. J’invente tous mes personnages, aucun ne m’échappe, et surtout, aucun ne peut exprimer, ressentir, inventer une histoire, discuter, imaginer, penser, avoir ses états d’âme, rêver... autre chose que « je » ne puis le leur faire faire. Tout est autofiction, ou tout est « ma réalité », tout est autobiographique. Même si prétends le contraire, ou encore que je ne comprends pas parfaitement qui je suis, et ce que je fais, je crois que ma réalité, et celle que j’imagine être ma réalité ne sont rien d’autre qu’une seule et même réalité (elles ne font qu’un) ; dans mes textes, je suis celui-ci, et je suis celui-là, tous ces autres sont moi, sont « je ».

Rousseau déjà  avait voulu montrer son moi dans ses Confessions ; il ne pouvait mieux faire pour amorcer un type de littérature qui allait s’en prendre au « je », ou prendre le « je » à témoin de toute pensée, sentiment, état d’âme des écrivains plus tard. L’individualisme de Rousseau et de d’autres qui ont pris le relais par la suite allait prendre de plus en plus d’importance.

L’autofiction, le « je » de Rousseau porté à un autre niveau aujourd’hui, porte en soi une contradiction ; elle réussit peu à se démarquer de l’autobiographie. À mon avis les deux expressions se conjuguent au présent, et ensemble ; elles s’auto- pénètrent parce que « je et l’autre » ne font qu’un. Il me semble si « improbable » que le « je » de l’écrivain puisse se séparer, même se démarquer, du « je » de son narrateur, ou d’un quelconque personnage de son livre. Comme dans ce rêve, les narrateur et personnages d’un livre interviennent sans que l'auteur ne l’ai voulu, ni ressenti, ni consciemment, ni inconsciemment, ni même accepté. Combien d’écrivains ne disent-ils pas que le livre qu’ils écrivent leur « échappe », qu’il se construit au fur et à mesure, que des évènements surviennent sans même qu’ils l’aient prévu, que des personnages se forment en cours de route, que très difficilement des plans de roman puissent être établis à l’avance ; que la plume (le clavier) dirige les mots, le texte, le drame, les évènements, la narration, les caractères des personnages. C’est, tout comme je le fais en ce moment, presque de l’écriture automatique, le clavier s’envole pour moi, il me vole des mots, il en invente, je ne puis rien faire d’autre que d'entendre le bruit si doux, j'entends si familier, du clavier, il m’emporte, c’est un tourbillon de mots, de sentiments, de perceptions sur la manière d’écrire ; je suis un peu dérouté parfois, je dois me relire pour voir si cela fait « sens » toujours, j’hésite, mais je me dis que oui, cela a l’air de faire « sens », pourquoi effacerai-je ces mots qui me « disent mieux » que je ne saurais le faire en pleine conscience. Voilà, bien sûr, je déparle, j’entends, je déraisonne, je doute, je me crois, je ne me crois pas... mais, oui mais, je suis bien avec cela. « Quand je le sens dans mes os[1] », oui, cela a du sens. Peu importe le reste. Ou ce que d’autres en pensent.

On dit que le terme autofiction est récent en littérature, je ne le crois pas ; c’est tout simplement parce qu’on n’y avait pas pensé avant, (avant Freud, peut-être) tellement certains étions-nous que notre « inconscient » ne pouvait nous mener, nous influencer, comme si il n’y avait que notre « raison » qui puisse prendre la parole, et la plume. On dit aussi que le terme est « problématique » ; je crois bien qu’il ne l’est que pour ces gens de raison trop raisonnée, trop abstraite, trop enfermée dans des codes dépassés, des règles de grammaire ou de syntaxe trop « orthodoxes ». L’orthodoxie en littérature, à mon avis, tue la littérature.

Chacun peut se donner des règles, disons des manières personnelles pour écrire, on parlera alors de leur « style » reconnaissable ; Céline a un style, Kertész a un style, on les reconnaît entre mille autres écrivains ; et pourtant, ce ne sont pas des orthodoxes, et pourtant, ils ont des règles d’écriture.

Dans Wikipédia, il est écrit, à propos de l’autofiction : « Vincent Colonna[2] définit un sens étroit - la projection de soi dans un univers fictionnel où l’on aurait pu se trouver, mais où l’on n’a pas vécu réellement - et, par extensions, tout roman est autobiographique (en considérant qu’il y a toujours une part de fiction dans la confession). Ces dichotomies témoignent en tout cas de l’ambiguïté de la notion ».

Voilà, les termes « autofiction et autobiographie », et pourquoi ne pas ajouter « réalité et fiction », « conscient et inconscient », « vrai et faux », « bien et mal »... sont des termes, des notions « ambigus ». Trop facile de le dire ainsi. Mais c’est plus simple que cela, et ce n'est pas ambigu, me dis-je. Tellement d’auteurs l’ont déjà dit, et je le résume ainsi : « Tout ce que j’écris a des racines autobiographiques évidentes, même si je ne le laisse pas voir, ou même si je ne me l’imagine même pas tellement tout cela relève de mon « histoire », bref, de ma vie ».



[1] Voir : Glaser and Strauss.

[2] ↑ Vincent Colonna, L’Autofiction. Essai sur la fictionnalisation de soi en littérature, Thèse inédite dirigée par Gérard Genette, EHESS, 1989


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