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F comme Freud (et Fées)

Par Clementinebeauvais @blueclementine
F comme Freud (et Fées)Bonjour, chers visiteurs... allongez-vous donc sur le sofa virtuel de ce blog et racontez-moi ce qui vous tracasse... hmm hmm... hmm hmm... intéressant... Ah, l'heure est écoulée, il faut partir maintenant. Ca fera cent euros. A l'ordre de Clémentine B. ... Merci bien. Revenez la semaine prochaine. Il va y avoir du boulot avec vous!
Bon, pour justifier un peu cette dépense inopinée, voici quelques bonnes pensées sur la place de ce cher Dr Freud dans l'étude de la littérature jeunesse.
Freud, évidemment, s'est énormément intéressé à l'enfance et il était inévitable qu'un jour ou l'autre on applique la théorie psychanalytique à la littérature pour la jeunesse.
Le précurseur de ce type d'études s'appelle Bruno Bettelheim. En 1976, ce psychologue américain a fait paraître un livre désormais culte, intitulé, en angliche, The Uses of Enchantment, et traduit en gaulois sous le titre très Amélie-Nothombien de Psychanalyse des Contes de Fées.
F comme Freud (et Fées)J'ai découvert ce livre quand j'avais quatorze ou quinze ans, sans connaître grand-chose ni de la théorie de la littérature jeunesse ni de la psychanalyse, et pour moi ç'a été une révélation. Evidemment, c'est maintenant un livre très daté dont les conclusions sont bien connues, mais ça reste un incontournable qui a encore son mot à dire.
Dans ce livre, Bettelheim analyse, à l'aide de la psychanalyse freudienne, l'impact des contes de fées sur le développement psychologique de l'enfant [n.b. un point de discussion acharné: les contes de fées n'étaient pas au départ spécialement destinés aux enfants]. D'après lui, ces récits permettent à l'enfant de synthétiser et d'assimiler des événements psychologiques douloureux et inévitables de l'enfance.
Exemple classique: la méchante belle-mère de Cendrillon ou de Blanche-Neige est interprétée comme une figure-tampon sur laquelle la petite fille peut, sans 'danger' psychologique, projeter la colère et la jalousie qu'elle éprouve à l'encontre de sa propre mère (un déplacement symétrique s'opère, on peut dire, sur la figure de la bonne marraine, qui condense quant à elle les sentiments positifs que la fillette projette sur sa maman). Ces contes permettent ainsi de résoudre, au moins en partie, le conflit psychologique profond auquel est en proie la petite fille vis-à-vis de sa mère.
Il y a beaucoup d'autres exemples, évidemment, et Bettelheim a lancé toute une tradition d'analyse psychanalytique freudienne de la littérature jeunesse. La nourriture dans les livres pour enfants est notamment un thème récurrent de ce genre d'études: le plaisir oral, omniprésent dans la littérature jeunesse, est souvent analysé comme un déplacement 'acceptable' des désirs érotiques de l'enfant.
Ce qui est très intéressant, c'est que les auteurs et illustrateurs jeunesse contemporains, ayant baigné dans ces découvertes théoriques liées à leurs productions, ont commencé à les prendre en compte lors de leur création. Ou comment la critique influence l'art... L'un des maîtres en la matière, c'est le britannique Anthony Browne, l'un des meilleurs auteurs/ illustrateurs de toute l'histoire du livre jeunesse (mais aussi très charmant pour ses 66 ans) (tais-toi cerveau).
Regardez un peu ce qu'il fait dans cette image magnifique au début de son adaptation en album d'Hansel et Gretel:
F comme Freud (et Fées)Il y a des milliers de choses à analyser là-dedans, mais ce qui nous intéresse ici c'est bien sûr l'ombre de la maman sur le mur, qui avec le rideau entrouvert se retrouve étrangement affublée d'un chapeau de sorcière... (le triangle noir répond d'ailleurs au 'chapeau' de l'église au fond des bois dans le tableau, et il y en a d'autres un peu partout).
Browne a truffé son album de telles références. D'un point de vue freudien, évidemment, c'est le corps de la mère-sorcière que les enfants tentent de consommer en mangeant la maison, c'est la mère-sorcière qui punit/castre son fils en l'enfermant dans une cage, c'est en tuant la mère-sorcière que Gretel exorcise ses angoisses et sa haine vis-à-vis du côté obscur de la maternité... Browne s'amuse à nous montrer qu'il sait très bien ce qu'il fait dans cet album inspiré bien plus par Bettelheim que par Grimm.
De nos jours, l'analyse psychanalytique freudienne des livres pour la jeunesse per se est un peu dépassée, mais avec l'avènement de l'analyse lacanienne elle a trouvé un second souffle. Et son discours reste très intégré à d'autres approches théoriques: on peut parler de déplacement, de répression, de désir et d'érotisme dans le livre jeunesse sans forcément faire de son article une analyse freudienne.
Pour finir, petite réflexion sur l'écriture du livre jeunesse. Est-ce que ça veut dire qu'on devrait tous faire du Browne et mettre plein de symboles phalliques, maternels, etc, dans nos livres pour enfants? Est-ce que ça nous ouvrira magiquement la porte à la fois à des critiques dithyrambiques chez les adultes intellos et à une profonde passion du côté des enfants? (beaucoup ont argumenté que c'est précisément sa portée psychanalytique qui fait le succès d'Harry Potter). La réponse est non. Ou du moins, pas sans savoir exactement ce qu'on fait.
La plupart des gens qui font ça se retrouvent avec des histoires qui donnent envie de hurler de rire tellement il y a d'épées-phallus, de tunnels-utérus et de complexes d'Oedipe à la mords-moi-le-noeud. Si t'es pas George Lucas ou Anthony Browne, il y a 99,9% de chances pour que ça rate si c'est fait intentionnellement.
Mais inconsciemment, de toute façon, tout livre écrit avec sincérité risque fort de regorger de tels symboles. Parfois plus que vous ne le souhaiteriez...
Rangez vos phobies, chez hystériques; mercredi on parlera des Gardiens.

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