Non, pas eux.
Il n'est pas non plus question d'Hugo Lloris ou de Fabien Barthez. Non, ce qu'on appelle 'gardien', en littérature jeunesse, c'est tout adulte médiateur du livre jeunesse: libraires, bibliothécaires, professeurs, et puis évidemment, au niveau du consommateur, parents et 'adultes co-lecteurs', comme on dit dans le jargon.
Ces adultes-là sont métaphoriquement 'de garde', aux portes d'entrée de la littérature jeunesse, influençant par leurs décisions et leurs actes vis-à-vis du livre pour enfants l'intégration et la place accordée aux nouveaux textes qui se présentent.
Bien sûr, ce ne sont pas toujours des décisions et des actes conscients; et l'absence d'acte est tout aussi importante. Le fait de ne pas acheter, de ne pas chroniquer, de ne pas promouvoir, de ne pas faire étudier a tout autant d'impact sur la place de tel ou tel livre dans l'univers de la littérature jeunesse. Ce sont les gardiens qui décident si un livre va être jugé 'commercial', 'bon pour les enfants', 'de mauvais goût', 'utile', etc. C'est souvent une question de mode, parfois une question de fond. Fréquemment, les catégories de gardiens se contredisent entre elles, parce qu'elles ont bien évidemment des intérêts divergents.
Pourquoi c'est un concept important? Parce que les goûts, les désirs, les bêtes noires des gardiens doivent être pris en compte à tous les stades de la création du livre. Leur approbation est synonyme d'entrée d'argent dans le compte en banque, et leur désapprobation est synonyme de livres envoyés au pilon. Combien de fois entend-on, en tant qu'auteur jeunesse: 'Les enfants vont adorer, mais pas les parents, donc on ne peut pas prendre le bouquin'?
Ca paraît absurde, mais c'est parfaitement logique. L'enfant est pauvre. Sauf exceptions, il ne dépense pas ses 10 euros mensuels d'argent de poche en livres jeunesse. C'est maman, papa, tonton, marraine et papi qui achètent les bouquins. C'est la bibliothécaire qui choisit ceux qu'elle met en exergue sur les rayons du CDI, inéluctablement avec un degré de préférence personnelle. C'est le prof de français qui les donne à étudier. Et donc, à part quand on s'appelle Zep, intituler son bouquin 'Le guide du zizi sexuel' risque de faire grincer des dents et serrer les cordons des bourses du côté des gardiens, nonobstant l'indubitable attrait de ces quelques mots sur l'enfant-lecteur potentiel.
Que serait devenue Matilda si la bibliothécaire avait été fan de Cinquantes Nuances de Grey au lieu des Grandes Espérances?
L'enfant, en réalité, a un pouvoir décisionnel remarquablement limité sur ses propres lectures. Bien sûr, il peut formuler des demandes, mais si celles-ci sont jugées inappropriées, souvent les parents marchandent: 'Tu as droit à une BD/ un Chair de Poule seulement si tu prends aussi un "vrai" livre'.En tant que critique de la littérature jeunesse, c'est important d'essayer de détecter où et quand un livre jeunesse fait des concessions aux gardiens. La littérature jeunesse porte nécessairement les cicatrices d'un très grand nombre d'influences et d'exigences adultes, alors même que son lectorat est censé appartenir à une toute autre catégorie d'individus. Ces 'balafres', ces coups portés à l'histoire et aux illustrations originales des créateurs, sont autant de rappels que c'est une littérature à la merci des adultes, profondément ancrée dans les réalités matérielles, pédagogiques, économiques et politiques des sociétés qui la créent.
Sur ce joyeux point d'orgue, à vendredi! On parlera du Héros - et de son trépidant parcours.