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H comme Héros

Par Clementinebeauvais @blueclementine
Ca me démange féministiquement d'ajouter 'et Héroïne', mais ça serait pas correct, puisqu'en réalité on va parler du Héros et du parcours du héros (hero's journey) en tant que motif littéraire et mythologique, et que c'est un motif qui a d'abord été théorisé comme masculin. Mais bon, je suis sûre que Dieu se montrera indulgente vis-à-vis de ce sexisme temporaire.
Le héros, c'est qui?
C'est lui:

H comme Héros

Même si ça fait des siècles qu'il a une crampe au bras


H comme Héros

♫ Il a les yeux sabre laser ♬


H comme Héros

L'original, sous la plume de Thomas Taylor


Le héros, c'est en mythologie et en littérature la figure indétrônable des grandes épopées, des poèmes épiques et des sagas aux millions de dollars. Pourquoi? Comment? C'est ce qu'a tenté d'expliquer le mythologiste Joseph Campbell dans son grand classique, Le héros aux mille visages (1949), qui comme le bouquin de Bettelheim dont je vous parlais l'autre jour est à la fois une oeuvre de base pour le critique de la littérature (jeunesse ou de genre, mais aussi générale) et à la fois désuète à bien des égards.
H comme Héros
Dans ce livre, Campbell théorise le monomythe, c'est-à-dire le parcours typique du héros mythologique ou légendaire (héros religieux inclus). Cette entreprise très structuraliste (et, on le verra plus tard, structuralisante) fait émerger un nombre de stades récurrents et archétypaux. Certains sont désormais bien connus - 'l'appel', 'l'initiation', 'le retour', 'la descente aux Enfers', etc. Mais ce livre extrêmement dense et touffu en recèle beaucoup d'autres, et recense aussi des personnages-types qui accompagnent et aident le héros dans sa quête.
Campbell précise bien, évidemment, que nulle histoire ne possède tous les aspects du monomythe (certains sont d'ailleurs contradictoires).
Etant donné que pour les mythes et légendes dont il est question, les similarités archétypales d'un continent à l'autre et d'un millénaire au suivant n'ont rien d'intentionnel, ce genre de livre pose beaucoup de questions quant à la possibilité d'une structure narrative commune à l'entendement humain - un 'inconscient collectif', inné ou acquis. Qu'on y croie ou non, la force narrative de ces monomythes, leur pouvoir fédérateur, est assez indéniable.
En littérature jeunesse, on a beaucoup étudié, il y a un temps, le monomythe et ses déclinaisons. Certains chercheurs avancent la thèse intéressante que la littérature jeunesse évolue dans le sens de la littérature adulte, mais avec des siècles, voire des millénaires de 'retard': elle est encore très ancrée dans le mythe, mais se 'déplace' de plus en plus vers d'autres archétypes héroïques, ceux du héros romantique, puis du héros moderne voire post-moderne.
Ces orientations correspondent à une évolution vers un plus grand rattachement au monde moderne dans tout son désenchantement (un terme non-péjoratif): un réalisme accru, un recentrement sur l'intériorité, une mixité des genres, une ambivalence éthique et psychologique, et un sentiment d'impossibilité, pour le protagoniste, à comprendre entièrement - et donc à dominer - le monde.
Que peut en tirer l'écrivain pour la jeunesse? On en revient à se demander, là encore, s'il faudrait 'faire exprès' de copier le monomythe pour s'assurer un succès de librairie. En littérature jeunesse et de genre, c'est, il faut bien l'admettre, une formule qui fonctionne. Il est bien connu que George Lucas s'est fortement inspiré du Héros aux mille visages pour écrire La Guerre des étoiles, et m'est avis que James Cameron a aussi fait une check-list pour Avatar. Harry Potter, de manière non-intentionnelle si l'on en croit Jo Rowling, est une application en règle de la structure du monomythe.

H comme Héros

je dis ça, je dis rien

Je suis assez cynique en la matière. Oui, copier le monomythe est une option bête et facile, mais c'est aussi indéniablement une option efficace. Si vous vous débrouillez un minimum en écriture, vous allez vous retrouver avec une histoire d'un conventionnel consternant, mais qui risque en effet d'avoir du succès. Ce genre de bouquins platitudinaux se vend bien et trouve un lectorat. Pour peu que vous sachiez aligner trois mots, vous pouvez (mais ne vous attendez pas à gagner mon respect) nous pondre un roman d'aventure/ fantasy à base de 'Xanthus Pryce est un garçon normal jusqu'au jour où un magicien vient le chercher pour lui annoncer qu'il est le fils d'un roi-elfe en exil'.
Quant au bon écrivain, ilouelle ne va pas se contenter de copier le mythe. Ilouelle va l'adapter, en briser les codes, trouver des réincarnations originales des personnages-types, mélanger les genres avec poésie, humour, et caractère. Ilouelle ira au-delà des elfes, des licornes, des nains et autres dames du lac. Ilouelle ne cédera pas à la facilité en faisant son marché chez Campbell: 'je vais vous prendre un kilo cinq de rite initiatique et une petite descente aux Enfers bien chaude'. Ilouelle fera un livre mémorable, intéressant, plein de défis et de surprises pour le lecteur.
Il n'y a aucune honte à utiliser le monomythe de Campbell, comme il n'y a aucune honte à s'entraîner à dessiner en copiant les grands maîtres. Mais les enfants méritent mieux qu'une littérature sur recette.
C'est votre choix, comme disait Evelyne Dhéliat. Allez, bon week-end et à lundi! on passera au concept très important d'Identification.

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