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X comme X

Par Clementinebeauvais @blueclementine
Je voulais qu'il soit question aujourd'hui de l'interdit et des tabous en littérature jeunesse, et puis... je me suis souvenue que j'avais déjà écrit un article de blog sur le sujet! Je vais donc, pour aujourd'hui, me concentrer sur le thème de la sexualité dans la littérature jeunesse.
Le mot 'sexualité' recouvre un très grand nombre de choses différentes, et depuis Freud on sait (ou du moins, certaines personnes pensent) que les histoires pour enfants contribuent à répondre aux besoins de l'enfant quant à son apprentissage de la sexualité dans son rapport à sa famille et aux autres, même quand on ne parle jamais de quéquette.
Mais le sexe - explicitement - est aussi très présent en littérature jeunesse, à la fois fictive et informative:

X comme X

dès le titre...

X comme X

... on sait à quoi s'attendre

Petite anecdote. Ma petite soeur, qui devait avoir à l'époque 8 ou 9 ans, avait emporté Le guide du zizi sexuel un été, quand on était partis en vacances avec ma joyeuse bande de cousins. Evidemment, elle et nos deux cousins à peu près du même âge qu'elle (10 et 12 ans) passaient leur temps à le lire en rigolant comme des otaries. Le jour du départ, après deux semaines de vacances, c'est la consternation: Le guide du zizi sexuel a disparu! on le cherche de la cave au grenier, sans succès. On retourne à Paris la mort dans l'âme, pleurant la perte de ces pages légendaires, surtout celle où on passe le doigt dans un trou pour faire comme si le monsieur dessiné avait un gigantesque zizi avec un ongle au bout. Quelques jours plus tard, ma tante nous appelle: elle a retrouvé Le guide du zizi sexuel tout au fond du sac de notre tout petit cousin, 6 ans à l'époque...
Comme quoi les éditeurs ont raison de parier sur ce genre d'ouvrages, parce que ça fascine et ça intéresse à tous les âges.

X comme X

Gros Problème n° 1.

Mais tant que tout ça reste virtuel ('Comment ça se passe un rapport sexuel?' expliqué à des gamins dont la descente testiculaire n'est même pas vaguement amorcée), tout va bien. Là où ça se gâte, c'est en littérature ado, où le sexe n'est plus du tout un horizon lointain mais une possibilité bien réelle, une préoccupation quotidienne, qui apporte avec elle son lot de Gros Problèmes.
Petite pub en passant: l'un des épisodes de mon podcast en anglais sur la littérature jeunesse, Kid You Not, est justement sur le sexe dans la littérature pour ados: vous pouvez le trouver ici. La thèse qu'on déploie dans cet épisode, c'est que le sexe en littérature ado est rarement 'gratuit'; rarement un élément indépendant, superflu, positif, sans conséquences. Quand il apparaît, il y a, la plupart du temps, une dimension morale et prescriptive évidente. 
X comme X
On parle souvent de Pour Toujours, de Judy Blume, comme l'un des premiers livres pour ados où la sexualité est présentée de manière explicite, extrêmement clinique et pratique. C'est presque un manuel de la première fois, et clairement il cherche à prévenir les maladies non désirées et les bébés graves. Ou l'inverse.
De nos jours, il est presque impossible de trouver un bouquin pour ados digne de ce nom qui ne parle pas de sexe. Mais c'est rarement, encore une fois, une sexualité décomplexée, facile, sans problèmes. En général, le sexe porte à conséquences. Il y a un nombre extraordinaire de grossesses adolescentes en littérature ado, surtout en fantasy, certaines extrêmement dangereuses pour la mère (Twilight), le père (Entre chiens et loups de Malorie Blackman), certaines glamourisées à l'excès (Twilight à nouveau), mais la plupart accentuant plutôt la violence infligée au corps de la mère pendant la grossesse.
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Le sexe lui-même est souvent une violence, qu'elle soit d'ailleurs déplorée ou non par le livre pour ados. Les situations de viol, ou du moins très limite, sont légion. Dans Entre chiens et loups, les deux personnages ont beau être fou amoureux, leur premier rapport sexuel a lieu quand l'héroïne est en captivité, et le héros est l'un de ses ravisseurs. Elle tombe immédiatement enceinte. Symboliquement, cette scène est un viol. Sans parler du dernier Twilight où la nuit de noces laisse cette nouille de Bella couverte de bleus, et aussi enceinte.
On perçoit à travers ces représentations de la sexualité adolescente la terreur des adultes vis-à-vis, en particulier, des filles - leur désir de les prévenir, de les protéger. Mais aussi, de manière plus dérangeante, l'ambivalence, l'étrange fascination des adultes pour la sexualité adolescente: la mettre en scène de façon si violente et répétitive, c'est aussi s'en délecter, c'est aussi réaffirmer le pouvoir narratif et symbolique d'une sexualité pourtant extrêmement taboue dans notre société.
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On a aussi, cependant, des portraits plus positifs, plus assurés, plus optimistes, plus forts de la sexualité adolescente. L'excellent Candy d'Anne Loyer présente sans concessions la décision d'une jeune fille d'avorter, en toute indépendance des adultes et avec l'aide de son amie et de son nouveau copain. J'appelle ce genre de livres des représentations éthiques, et non morales, de la sexualité en littérature jeunesse. L'adolescent reste un agent libre, responsable, même s'il est parfois traumatisé. Il n'y a pas de voyeurisme de la part de l'adulte, pas de pression symbolique de l'adulte pour qu'il se conforme à un rôle préfabriqué.
Mais quid du sexe 'pur', de la représentation telle quelle de la sexualité ado, des plaisirs, des questions, des problèmes, en mode cash, sans complexes? Il y a clairement des limites. On peut avoir un mal fou à 'vendre' un projet très cru pour ce genre de lectorat, parce que c'est un thème qui rebute un peu les parents, les profs et les bibliothécaires, et que les ados ne dépensent pas beaucoup leur propre argent en livres.
En tant qu'auteur, on se heurte facilement à un mur si on ne moralise pas les représentations du sexe chez les ados, si on ne les enveloppe pas de conseils, de prescriptions, d'attentes, et si on décrit la sexualité sans mentir, c'est-à-dire en ce qu'elle est de jouissive, tendre, visqueuse, douloureuse, nauséeuse, imparfaite, euphorisante.

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